Max Rippon, « Sur la route de Dillon » (hommage à Aimé Césaire)

aux milliers de voix d’espérance

Mon ancrage dans les plis creux des sillons brûlés de ma glaise sans voix
N’est pas ce boulet lourd aux pieds que l’on croit
Pareil au plomb lestant la quille du plus chétif des esquifs
J’ai attendu le jour venu pour porter ma proue naïve à l’avant des vagues lardées
J’ai attendu le jour de mes ailes assez fortes
De mon cri plus puissant libéré de ses tisons en feu
Pour faire le cadastre des océans capricieux
Mosaïques d’écumes étanchant mes soifs
Et si je songe aux rives du fleuve Niger
Et si je fais mes ablutions dans ses eaux si familières
Et si je fais face au regard si perçant des Dogons
Et si je prends place à la tablée de Tombouctou
C’est pour tester à la lumière du phare d’Alexandrie
Le chemin balisé par la ruse des Nubiens chevauchant les felouques de Philae
Je proclame à travers toi Césaire Aimé
Mes identités d’Alcyon Cove à Altamira
De Kamel Kissing à la Mitad del Mundo
De Bambara à Tivoli de Damas à Calcutta
Car je suis moi aussi de ces ailleurs
Car je suis ce quantième du monde…
Ne regardez pas la puissance du tanin qui a fait brunir ma peau
Ouvrez mon cœur avec la délicatesse de vos scalpels d’ivoire
Pour entendre ma voix vous chanter le langage des genèses
Que j’ai conservé si longtemps au chaud sous mes pas
Me voilà revenu à la vie mon innocence drapée dans ce boubou en basin brodé
Que tes mots ont tissé tout exprès ces jours derniers
Me voilà paumes offertes docile à tes commandements
Disponible pour tes engagements
Hostile à tout renoncement…
J’accepte la force que tu me donnes
D’aller au bout de mes forces

* * *

Je ne me dérobe point à l’urgence de faire rebondir la parole de morne en morne
Offrande dévêtue de tout artifice
Immédiatement digeste aux faims les plus prestes
Comme le plus paisible des bols alimentaires
Donnez à mon amylase la puissance de mâcher chaque degré difficile
Pour enfin fouler de mes pieds joints l’ultime bordée de l’horizon qui fait encore distance


Ce poème, « Sur la route de Dillon », par Max Rippon, est offert en hommage au poète disparu le 17 avril 2008 et publié pour la première fois sur Île en île avec la permission de l’auteur.

© 2008 Max Rippon


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mis en ligne : 29 avril 2008 ; mis à jour : 16 novembre 2015