Jean-Louis Robert

Jean-Louis Robert, photo © Josyane Robert Saint-Denis, janvier 2008

photo © Josyane Robert
Saint-Denis, janvier 2008

Jean-Louis Robert est né le 12 janvier 1957 à Saint-André, à l’île de La Réunion. Fortement attaché à son île, c’est avec une sorte d’appréhension qu’il doit la quitter en 1975, après son Baccalauréat, pour aller faire son service militaire dans l’Hexagone. Mais, comme il le soulignera bien plus tard – avec un certain recul donc – dans Creuse, ta tombe (2006), « Incapable de continuer à vivre dans ce pays de mille et une vaches, je reviens dans mon île natale afin de mettre une parenthèse fermante à un segment honteux de mon existence ». L’expérience sera donc courte, puisqu’un an plus tard, en 1976, il referme cette parenthèse et est effectivement de retour dans son île pour entamer des études à l’Université : d’abord une Maîtrise de Géographie, et ensuite, attentif à l’appel des mots, une Licence de Lettres (qui le conduira à l’enseignement… et sans doute, à la littérature). C’est à la fin des années 1980 qu’il commence à publier quelques textes dans les courriers des lecteurs de journaux de l’île. Puis, en 1999, il édite enfin son premier recueil : Larzor et autres contes créoles. Lauréat en 2004 du prix local LanKRéol pour sa nouvelle Lo Gou zoliv vèr (2005), il est conforté dans ses choix et dans sa pratique littéraire. Il poursuit ainsi son travail d’écriture en conjuguant toujours singulièrement les genres et les langues : nouvelles, contes, romans, poésies, tantôt en français, tantôt en créole, et souvent, les deux ensembles. Il vit aujourd’hui du côté du Bois de Nèfles, dans les hauteurs qui surplombent la ville de Saint-Denis.

Jean-Louis Robert est par conséquent un écrivain et un poète de l’île de La Réunion. Toutefois, cette désignation ne lui convient pas tout à fait. Pour le définir par sa pratique d’écriture, il faudrait avoir recours à cette autre langue, la sienne, le créole réunionnais : Jean-Louis Robert est un fonnkozèr. Mot à mot, en créole, fonnkozèr signifie « un parolier du fond du cœur ». Mais cette traduction est elle aussi sans doute trop radicale, puisque fonnkozèr, qui est la contraction de fonnkèr (« le fond du cœur ») et de kozèr (qui vient du français « causer », c’est-à-dire « parler »), peut tout à la fois renvoyer à celui qui vous parle d’un lieu intérieur, du fond de son cœur à lui, ou à celui qui vous parle d’un autre lieu, le fond de votre propre cœur : « kol out kèr èk mon kèr / la vi i pran son tan pou / inséliz ramar anou / san farlang nout kèr ». Il faut par conséquent retenir que Jean-Louis Robert est, avant tout, un poète de l’abyme. Non pas nécessairement de l’abîme et des tréfonds de l’être, mais de la mise en abyme et de la mise en perspective de ses mots à lui au fond d’autres mots, d’autres paroles, d’autres voix…

Pour qualifier cette même pratique d’écriture, dans une postface rédigée au dos de l’un des recueils du fonnkozèr, Jean-Philippe Watbled avait, lui, eu recours à un néologisme : « mélangue ». Ce qui, déjà, nous confirme qu’il n’est pas possible de parler de Robert sans être, comme lui, imaginatif et inventif. Comme lui, il faut savoir ruser, jouer avec les mots, et se promener entre les langues. Car, dans le « mélangue », il est toujours question de langues : du mélange des langues, du mélange de ces deux mêmes langues indissociables dans son œuvre, le créole et le français. C’est ainsi que, lorsque vous lui demandez de vous faire parvenir quelques éléments de biographie le concernant, il vous répond :

Maryé dépi 1981, li na dé gran garson i sar ankor lékol. Profésèr fransé, li asiz son travay lékritir si sak li apèl « lo mélang » : sa in manyèr ékri, i may kréol sanm fransé, i prétan farlang tout bann talibanaz i rod mèt dann bwat konsèrv (in sèl bwat) la lang isi, in lang lo fonnkèr lé plis-k-inn. Dayèr, bann liv li la finn fé sorti i rantr dann plis-k-inn katégori.

Il s’agit là d’une traduction (arrangée) qu’il a fait de l’ouverture de cette même postface de Jean-Philippe Watbled : « Jean-Louis Robert […] est marié et père de deux enfants. Professeur de lettres, il poursuit une œuvre personnelle fondée sur ce qu’il appelle « le mélangue ». Il a publié plusieurs ouvrages appartenant à des genres différents ».

La langue, toujours la langue, lancinante et envoûtante : « sak mi roœd roul parol la roul ziska toultan roul » (« Ce que je cherche roule ces paroles là roule pour toujours roule »). Jean-Louis Robert ne se présente pas en français mais, « dann krwazé la lang » (« au croisement de la langue »), en créole. D’ailleurs, ce n’est pas par son œuvre qu’il commence, puisque, avant toute chose, il n’est ni écrivain, ni poète, ni même fonnkozèr, mais père de famille. Son mariage et ses deux fils passent avant. Faut-il voir là un signe particulier ? Oui, parce que la famille est le cœur dans lequel prend d’abord corps le langage : intime, à partager entre proches… La langue de Robert est la langue de l’intimité, cette intimité créole voilée par les ambitions et les « talibanaz » du français. Il ne s’agit donc pas de détourner le créole du français (comment pourrait-il en être ainsi, puisque Jean-Louis Robert est français), mais de retourner le créole dans le français. La multitude de ces liens, dans son œuvre, ne se lit pas par le biais d’une langue nationale autre, mais par le biais d’une langue régionale, elle-même fruit de bien d’autres langues, qui vient se mêler et s’entremêler à la langue nationale. C’est un « mélangue » vous dit-on, c’est un maillage, c’est un « tramayaz ».

Ainsi, depuis le recueil de contes Larzor et autres contes créoles, jusqu’à sa dernière publication en 2007, le recueil de fonnkèr justement intitulé Tramayaz, en passant par le « roman » Creuse, ta tombe, ou les contributions en « nouvelles » à la revue en ligne Mondes Francophones, l’auteur a témoigné de la richesse et de la diversité de sa démarche : son œuvre n’est pas un tout totalitaire, mais elle se fragmente en une multitude de parcelles qui correspondent à autant de lieux de mémoire et de vie. Cette diversité travaillée en fond par le mélange (des genres et des langues, mais il faut y voir, en effets : des cultures…) semble ainsi permettre de réajuster les rapports qu’entretenaient entre eux les deux espaces séminaux de l’auteur : la France du continent et celle de l’océan Indien. Ce qui les unit ? Un langage. Et dans les creux de ce langage, un malentendu : l’une a cru que l’autre lui appartenait, l’autre a cru qu’elle ne pouvait exister que par l’une. Alors, non, rappelle le fonnkozèr, il n’y a pas l’une et l’autre, mais il y a les deux, ensemble, dans un rapport d’égalité :

i di elle est discrète ou èl lé in lanbaratèz
èl na rin gèp ou elle est un peu obèse
i di èl lé in sarèt saviré
ou elle est digne d’être admirée
i di èl lé in fanm zakavol
ou elle est la beauté créole
i di èl i fard koman in poupèt koklèt
ou elle est la reine des coquettes
i di èl i èm done manzé la lang
ou elle l’a chaud, le sangue
i di èl i koné ryink rod lo bout
ou avec elle on fait fausse route
i di toultan èl i ramas mansonzri
ou elle a tout d’une égérie
i di èl lé kouyon koman la line de Mars
ou elle est la plus gentille des garces
i di èl la fine bwar do-lo kikiy
ou elle est un beau brin de quille
i di elle fleure bon ou èl i san malang
èl i yenk-yenk ou elle chante ma langue
elle est super bien sapée ou èl lé an yang
tout koman domoun i pé larg si èl
i fane dann trou nwar lo syèl
kank out kèr èk son kèr
lé mayé dann tramay lamour

« (tramayaz la lang) ». Tramayaz (p. 92-93)

– Stéphane Hoarau


Oeuvres principales:

Romans:

  • À l’angle malang. Saint-Denis (La Réunion): Grand Océan, 2004.
  • Creuse, ta tombe. Îlle-sur-Tête (France): K’A, 2006.
  • Reviens, Cortázar. Paris: L’Harmattan, 2014.

Poésie et fables:

  • Au nom de l’impur, suivi de Lang bifide : femme fanm. Saint-Denis: Grand Océan, 2000.
  • Mettre bas la capitale la poésie j’ouïs. Sainte-Clothilde (Réunion): Orphie, 2004.
  • Tramayaz. Îlle-sur-Tête: K’A, 2007.
  • Babrius, Fables grecques (traduction en kréol réunionnais). Îlle-sur-Tête: K’A, 2009.
  • La langue ankor / Encore la lang. Îlle-sur-Tête: K’A, 2020.

Contes:

  • Larzor et autres contes créoles. Paris: L’Harmattan, 1999.
  • Dédalage.Saint-Clotilde: Orphie / Saint-Denis: Département de La Réunion, 2003.
  • Le Petit erre.Saint-Clotilde: Orphie, 2005.

Nouvelles:

  • Lo gou zoliv vèr. Saint-Denis: Udir, 2005.
  • Concours de bleus. Paris: L’Harmattan, 2009.
  • Je vais sauter ce soir et autres nouvelles à chute. Paris: L’Harmattan, 2013.
  • voir aussi les liens ci-dessous.

Discographie:

  • Poésique en mélangue. Poèmes de Jean-Louis Robert dits par lui-même. Îlle-sur-Tête: K’A (poèt larénion n° 13), 2007 (CD audio).

Textes dans des ouvrages collectifs:

  • « Kitsch ». Revue Noire 16 (1995).
  • « Dann ron diallèle ». Vers d’autres îles Saint-Denis: UDIR, 2003.

Divers:

  • Collaboration à Paysages fertiles, ouvrage collectif dirigé par Christiane Fauvre-Vaccaro, École des Beaux-Arts de la Réunion, 2006.
  • Collaboration à Carnavalesques 4, Aspect & K’A, 2010.

Sur l’oeuvre de Jean-Louis Robert:

  • Hoarau, Stéphane. « Astuces et ruses de deux « fous cartographes » réunionnais: André Robèr et Jean-Louis Robert ». Plaisance 28 (2013, Editions Pagine, Rome).
  • Marimoutou, Jean-Claude Carpanin. « Contes/nouvelles de Jean-Louis Robert : entre intertextualité et créolisation ». Démons et merveilles : le surnaturel dans l’océan Indien. Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo, Jean-Claude Carpanin Marimoutou, Bernard Terramorsi, éds. Saint-Denis: Université de La Réunion, 2005: 355-385.
  • voir aussi les liens ci-dessous.

Liens:

sur Île en île:

  • icon_audio Poésique en mélangue, trois poèmes du recueil Tramayaz par Jean-Louis Robert dits par l’auteur :« (l’histoire sitarane) », « (l’angoisse est nacre je crois) » et « (la pousyèr mon zyètwal) ».

textes de Jean-Louis Robert en ligne ailleurs sur le web:

études et articles choisis:

portrait:

  • Hoarau, Stéphane. « Jean-Louis Robert » (portrait en créole réunionnais). Maloya.org (2007).

Retour:

Dossier Jean-Louis Robert préparé par Stéphane Hoarau

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mis en ligne : 3 juin 2008 ; mis à jour : 4 octobre 2020