Mimi Barthélémy, Naissance d’une vocation

Tressage d’une vie d’artiste, par Mimi Barthélémy

Ma carrière artistique se caractérise par un triple engagement : celui de la comédienne dans la pratique d’un théâtre sur la mémoire de son pays ; celui de la conteuse dans la pratique du conte et la transmission du patrimoine oral de son peuple et enfin celui de l’artiste francophone dans la défense des langues françaises, celle de sa terre d’origine et celle de sa terre d’accueil

Lorsque à 16 ans, la jeune bachelière que j’étais quitte Haïti pour la France je ne tarderai pas à comprendre le sens douloureux du mot exil. Je vécus le déchirement d’avoir quitté ma terre, ma famille, mes amis pour m’ancrer dans un monde totalement nouveau. Or j’avais été élevée dans le respect et l’admiration de la culture française. J’avais des liens de parenté avec des Français, j’appartenais à une famille mulâtre cultivée. Mon pays avait conservé l’usage de la langue française après l’Indépendance et en avait fait la langue nationale. Apparemment tout concourait à une adaptation heureuse. Ce ne fut pas le cas. J’ignorais les codes, la mentalité d’un pays vieux encore bouleversé par les stigmates de la guerre. Mon français fortement influencé par les créolismes et les anglicismes nord-américains différait du français de France.

Originaire du continent américain, j’étais plus sensible aux moeurs américaines qu’à celles de la France des années 1956 qui ne connaissait pas encore la fièvre de la modernisation. C’était une France coloniale en pleine guerre d’Algérie. Une France qui avait envers ses colonisés ou ex- colonisés un rapport de domination, de supériorité et d’arrogance conforté par des arguments civilisateurs et racistes. À l’émigré étranger, la France n’offrait que le choix de l’assimilation. En cours d’études à l’Institut des Sciences Politiques de Paris, j’épousai un ancien élève de l’Institut, d’origine lorraine, qui entreprit une carrière diplomatique. C’est ainsi que nous partîmes en poste en Amérique latine, au Sri Lanka et enfin au Maroc de 1962 à 1972. C’était le début d’une longue errance qui fut en bien des points des plus fructueuses puisque par la magie du détour elle a orienté mes futurs choix artistiques.

Engagement de comédienne dans la pratique du théâtre sur la mémoire de mon pays

Pour évoquer d’abord mes premiers pas vers un théâtre contestataire et militant, il faut savoir que l’Amérique Latine et plus particulièrement la Colombie ont été pour moi l’occasion d’approcher des personnalités culturelles phares des années 1960. Mon initiation artistique s’est faite par la fréquentation assidue du TEC, le Teatro Experimental de Cali, fondé et dirigé par Enrique Buenaventura, et de la Casa de la Cultura de Bogotá fondée et dirigée par Santiago Garcia. J’ai eu l’opportunité de découvrir, grâce à eux, les œuvres d’auteurs contemporains engagés européens et latinos-américains comme Brecht, Kantor, Grotowski, Eduardo Manet, Jose Triana, Arrabal, Borges, Joao Cabral Do Melo Neto et cetera.

J’ai découvert par la suite, et grâce à mon initiation en Colombie, les théâtres contestataires : théâtre occitan de la Carriera dirigé par Claude Alranq, L’Odin Théâtre d’Eugenio Barba, le théâtre du Soleil de Mnouchkine, celui de Peter Brook et le Bread and Puppet qui mettaient en scène l’acteur conteur, osaient confronter les différents genres artistiques et s’ouvraient aux cultures étrangères dont ils nous révélaient les grands textes.
Sous la direction du metteur en scène hondurien Rafael Murillo Selva, que j’avais connu également en Colombie, j’ai participé, en France, en amateur, entre 1975 et 1978, à deux de ses mises en scène, Le Chant du Fantoche Lusitanien de Peter Weiss qui dénonçait le rôle de la colonisation portugaise en Angola et Sebastien va de compras de Manuel Jose Arce qui dénonçait l’envahissement du consumérisme de type nord américain et l’impérialisme économique dans nos pays, arrière-cour des USA. J’étais son adjointe, en 1979, dans sa mise en scène, en anglais, de Sebastien va de compras à Santa Cruz, Californie avec The Bear Republic Theatre, troupe professionnelle qui regroupait des nord-américains de différentes ethnies. C’est à cette occasion que j’ai connu El Teatro Campesino Chicano dirigé par Luis Valdes, théâtre militant de grand renom.

Ma formation dans le métier s’est faite d’abord sur le tas, une pratique du théâtre pendant de longues années. J’ai commencé dans des troupes d’amateurs avant de travailler avec des professionnels. J’ai suivi des stages de techniques corporelles et vocales de l’acteur avec, entre autres, Eduardo Manet et le Roy Hart Théâtre et j’ai été tour à tour comédienne et metteur en scène comme on le verra plus avant. J’ai appris ainsi le travail de la scène en découvrant ses codes, son langage, ses contraintes, ses angoisses et ses joies. Je me suis initiée au travail collectif dans le sein d’une équipe composée d’un metteur en scène, d’un ingénieur lumière, d’un scénographe, de régisseurs et de comédiens. J’ai appris le respect du texte de l’auteur, l’interprétation du comédien, la relation au public dans le respect et le partage et l’engagement de soi pour une cause vitale.

Mes études universitaires orienteront ma pratique du théâtre vers le sujet essentiel qui la concernera, celui d’Haïti et de son histoire, et des trois composantes de son identité : l’Europe, l’Afrique, l’Amérique Noire et amérindienne. Mes années à l’Institut des Sciences Politiques de la rue Saint Guillaume à Paris m’apprendront la rigueur, le sens critique, l’ouverture à un monde infiniment plus vaste que celui de la petite île dont j’étais originaire, la curiosité envers les comportements sociaux, religieux et politiques des citoyens et la découverte de l’Europe. Ma licence et ma maîtrise de lettres espagnoles à l’Université de Nanterre, Paris X en 1975 me mèneront aux portes de l’Afrique. Mon sujet de maîtrise sous la direction du professeur Charles Minguet, était : « Etude de la Autobiografia de un cimarron de Miguel Barnett. Le rôle des éléments africains dans la culture des derniers esclaves de Cuba ».

Cette recherche me ramenait subtilement aux relations ancestrales entre Haïti et l’Afrique par le détour de Cuba. À ce propos, Alejandro Carpentier, qui était alors attaché culturel de Cuba en France, au cours d’un rendez-vous qu’il m’avait accordé m’a fait remarquer que j’aurais mieux fait de rechercher les apports africains dans la culture haïtienne plutôt qu’à Cuba que je connaissais moins bien. Je n’étais sans doute pas encore prête à affronter ma propre culture. Le déclencheur de ces retrouvailles s’est fait lors de la mise en scène aux côtés de Rafael Murillo Selva de Loubavagu, o el otro lado lejano en 1980-1981 au Honduras avec les Garifunas. Lors de cette expérience j’ai vécu dans ma chair pendant un an et demi les retrouvailles avec Haïti à travers la culture sœur des Garifunas.

À mon retour du Honduras en 1981, riche d’une expérience qui me renvoyait le miroir d’une identité semblable à la mienne (amérindienne, noire et blanche), j’entreprenais à l’Université Paris VIII de Vincennes un doctorat de troisième cycle sur la pratique du théâtre sous la direction du professeur André Veinstein. En 1984 je soutenais ma thèse dont le titre était : « Loubavagu ou l’autre rive lointaine. Parmi les théâtres de l’identité, le théâtre des Indiens caraïbes noirs, dits Garifunas. Étude comparative ». Les Garifunas sont originaires de l‘île de Saint Vincent. Ils sont le fruit du métissage d’esclaves nègres marrons échappés des plantations de canne à sucre de Guadeloupe et de femmes arawaks raptées par des indiens caraïbes. Les Garifunas, dits Caraïbes noirs, étaient imprégnés de la culture française fort répandue au XVIIIe siècle dans les îles de la Caraïbe. Les Garifunas parlent l’espagnol ou l’anglais selon qu’ils vivent au Honduras ou à Belize. Mais qu’ils soient du Honduras ou de Belize ils parlent tous le « garifuna », une langue où l’on retrouve de l’amérindien, de l’africain et du français. Les Garifunas pratiquent la religion des ancêtres très proche du vodou d’Haïti. Agriculteurs et pêcheurs, ils vivent sur les côtes caribéennes du Honduras dans un contexte rural et tropical qui ressemble fort au monde rural haïtien. Mon séjour chez les Garifunas a été l’occasion pour moi de retrouver Haïti par le biais du recul géographique, culturel et ethnique.

Mes premiers pas vers le théâtre, mon apprentissage sur le tas et mes études universitaires ont abouti à une pratique du théâtre sur la mémoire de mon pays. Je devais résister à la perte d’identité, à l’aliénation à laquelle me condamnait mon assimilation à la France. C’est dans une optique de résistance pour ma survie mentale, de révolte et de militance que j’aborde le théâtre. Dès lors, je me consacre à écrire, à jouer, à mettre en scène l’histoire de l’esclavage dans la Caraïbe et l’histoire d’Haïti, l’histoire de ma famille et l’évocation de mon enfance. C’était ma manière d’affirmer mon appartenance à une terre et à une culture que j’avais mis de côté pour mieux me fondre dans la culture française ainsi que de prôner ma différence.

Comme j’avais fort apprécié Les nonnes d’Eduardo Manet, pièce qu’il avait située à Saint-Domingue pendant la guerre d’Indépendance, je lui proposai de créer un spectacle sur Haïti pendant l’occupation américaine. C’est ainsi que naquit Ma’Déa, tragédie inspirée de Médée et transposée en Haïti. J’écrivis le rôle de Ma’déa que j’interprétai avec d’autant plus d’engagement que, à mes yeux, ce personnage s’identifiait à Haïti trompée par les Gringos comme Médée l’avait été par Jason. J’avais de bonnes raisons de replacer ce drame dans le contexte haïtien car à l’époque de l’occupation américaine mon grand-père était président d’Haïti. C’était ma façon de revisiter le passé par le détour de cette fiction tragique. En 1985, la pièce a été créée au Petit Théâtre de Poche Montparnasse où elle a eu un certain succès et le texte a été publié chez Gallimard la même année.

En 1989, à l’initiative du Centre Culturel Français de Bamako, pour les deux cent ans de la Révolution Française, le metteur en scène occitan Claude Alranq, et moi-même échafaudions un montage dramatique et musical sur la traite des Noirs et les révoltes de Saint-Domingue en 1780-1794. Créé en mars 1983 à Bamako avec la troupe des « Nyogolons », ce spectacle dont le titre est Bleu, Blanc, Noir reçut un chaleureux accueil du public malien. Au festival International des conteurs de Bamako, j’avais rencontré Claude Alranq à qui j’avais parlé de l’histoire d’Haïti. C’est alors que nous avions eu l’idée de créer La Cocarde d’Ébène, dont Bleu, Blanc, Noir n’était qu’une ébauche.

Je cite Claude Alranq :

« J’ai écouté Mimi Barthelemy pendant des heures et des jours se raconter et raconter son pays. Nous avons confronté ce vécu à celui d’Anne Clément, à ses expériences de comédienne occidentale. J’ai réagi en mâle, en intello, en paysan. Nous sommes ressortis pêle-mêle avec trois personnages : la prêtresse vodou, la reine libertine, le savant démocrate : Thénéssile, Pauline Bonaparte, Olivier Sernin : Un enfant est né. Il avait les malheurs et le bonheur de nos siècles de couchage. Le ministère de la Culture du Burkina Faso envoyait deux danseuses et un musicien. La Compagnie Gargamela, Théâtre des Antipodes amenait la logistique. Le Printemps des Comédiens (de Montpellier) coproduisait ; Le chantier était ouvert en trois langues. En trois musiques ; À trois gestes. Nous faisions le pari d’un seul langage. » (Avant-propos de La Cocarde d’Ebène éditée chez Avant-Quart 1989).

Sans rentrer plus avant dans les détails, notons que Thénéssile est le nom de mon arrière-grand-mère paternelle, ce qui n’est pas anodin car toutes ces pièces ont en commun de se nourrir de l’Histoire de mon pays et de ma famille.

En cette même année de la célébration des 200 ans de la révolution française j’ai créé Soldats marrons à la suite d’une commande de la MJC De Ris Orangis. Ce spectacle que j’ai écrit et mis en scène n’a pas vieilli après quinze ans de tournées en France et dans de nombreux pays francophones. Ce n’est qu’en 2006 que j’ai pu le présenter en Haïti dans une tournée organisée par les services culturels de l’Ambassade de France. La tournée à Port-au-Prince et dans huit provinces a été l’occasion de revivre avec mes compatriotes l’histoire douloureuse et glorieuse de notre Indépendance. Le parti pris que j’avais choisi était de montrer l’histoire à travers les jeux et les yeux de la petite Haïtienne que j’étais, qui s’identifiait à l’histoire et aux héros de son peuple. Le détour de l’enfance permettait de donner du recul, de la fraîcheur et de l’innocence à des faits qui ne le sont en rien.

La dernière lettre de l’Amiral pour lequel j’ai reçu en 1992 le prix Arletty de l’Universalité de la Langue Française et qui sera repris sous le titre de Caribana en 1999 mis en scène par Emmanuel Plassard est une adaptation personnelle et un développement du texte de l’artiste colombien Jonier Marin. Ce spectacle créé à Chevilly Larue en 1991 est une ode au métissage à travers le récit de l’épopée douloureuse des nègres déportés d’Afrique vers la Caraïbe, lors de la Traite. Dans la première version, le pianiste catalan José Maria Balanya jouait au piano le rôle de l’occident conquérant et dans la seconde version le pianiste cubain Alfredo Rodríguez partageait avec moi la problématique du métissage assumé.

En 1998 je jouai comme comédienne dans Le Mistero Buffo Caraïbe, texte de Dario Fo qui dans une langue poétique, politique et comique donne la parole aux exploités, affirmant ainsi leur dignité si souvent bafouée. Contrairement aux trois spectacles précédents, je ne suis pas à l’origine de ce projet. C’est Dominique Lurcel, le metteur en scène qui eu l’initiative de monter une version caribéenne, avec sept artistes d’origine afro-antillaise, du Mistero Buffo de Dario Fo. La verve subversive du grand « jongleur » Dario Fo m’enthousiasma ainsi que l’idée de travailler avec une équipe de comédiens noirs dans un contexte caribéen. Le spectacle fut créé en automne 1998 au Théâtre de Choisy le Roi et reprogrammé au théâtre de la Tempête, à la Cartoucherie de Vincennes en Mars et avril 1999. J’y interprétais une vierge Marie tropicale au verbe haut, populaire et non conformiste.

Mon avant-dernier spectacle créé en 2000, Une très belle mort est inspiré par les propos d’un centenaire français sur le savoir bien mourir. Sur scène deux femmes. Des doigts de l’une coule du sable fin, scénographie vivante unique et éphémère comme le sont le temps, le théâtre et la vie. Des lèvres, de la voix, et du corps de l’autre femme coule l’histoire dessinée dans le sable. Le retour d’une vieille iguane vers sa terre natale est un joli prétexte pour parler de la vie qui se glisse dans les plis de la mort. Ce spectacle écrit, joué et conté par moi-même sous la direction de Nicolas Buenaventura dans une scénographie vivante d’Élodie Barthélémy, est placé dans le contexte géographique de la frontière entre Haïti et la République Dominicaine.

Engagement de conteuse dans la pratique du conte et la transmission du patrimoine oral de mon pays

En 1983 Maurice Alezra, le directeur du café-théâtre parisien « La Vieille Grille » me proposa de me joindre au Groupe des Chevaux de Feu que je venais écouter et de me présenter avec eux dans son lieu. Il avait eu vent de mes talents de conteuse. Le metteur en scène des Chevaux de Feu, Jean-Marie Binoche, accepta la suggestion d’Alezra. Il me mit en scène dans deux contes chantés d’Haïti qu’il théâtralisa et qu’il intégra dans son spectacle, Le bruit de l’eau dit ce que je pense. Après une série de représentations à la Vieille Grille, nous jouerons au Théâtre du Chaudron à la Cartoucherie de Vincennes, puis partirons en tournée théâtrale en Colombie, au Venezuela, au Nicaragua et en Martinique sous les auspices de l’AFAA (Association française d’action artistique).

On dit que l’art du conte est un art du détour. Eh bien, curieusement, c’est par le détour du théâtre que je me suis mise à conter. Je commençai par théâtraliser mes contes que je jouais dans des réseaux de théâtre. Je resterai toujours marquée par ces débuts, ainsi que par les influences qu’a eues sur ma formation le théâtre militant, en étant une conteuse de scène habitée par la passion de son île et célébrant son identité menacée et retrouvée. Lorsque rapidement je cesserai de théâtraliser mes histoires pour devenir une conteuse à voix nue, je me définirai toujours comme une conteuse de scène ; mon goût immodéré pour les planches en est en grande partie la cause.

J’aborde le conte avec mes acquis universitaires, mes acquis théâtraux et ma mentalité de femme du XXe siècle. Je me différencie ainsi dès le départ du conteur traditionnel du coin du feu. Ma pratique du conte commencera donc dans les années 1980 et bénéficiera d’un contexte politique riche de toutes les avancées des années précédentes, mai 68 compris, favorable à l’émergence des cultures minoritaires. En effet, en 1981, dès l’arrivée au pouvoir des socialistes, les cultures minoritaires bénéficieront d’un appui gouvernemental qui contribuera à faire connaître leurs musiques, leurs littératures, leurs productions théâtrales et leurs traditions orales.

Les bibliothèques municipales, les bibliothèques départementales de prêt, l’organisme de La Joie par les Livres, disposant de moyens financiers de l’État, et souhaitant développer la lecture publique prirent l’initiative de programmer les conteurs, français et étrangers dans leurs locaux pour des séances de contes. Les conteurs commencèrent à s’organiser à l’initiative de Bruno de la Salle. Ils se rassemblèrent, se formèrent sur le terrain, participèrent à des projets collectifs, à la radio ou sur scène, et ils présentèrent en public des œuvres du patrimoine français ou mondial, comme les Mille et une nuits, L’Épopée du Roi Arthur, La guerre des Corbeaux et des Hiboux…On entrait dans l’ère du Renouveau du conte.

C’est ainsi que dans le cadre de ce renouveau furent programmés des séances collectives ou individuelles de contes dans des bibliothèques, des maisons des jeunes et de la culture, des salles privées, des lieux associatifs, des hôpitaux et des théâtres.

Avec le temps et la pratique je me posais des questions sur l’art du conte, sur la question du répertoire, des versions des contes, de la langue et de l’écriture du conteur, de la voix du conteur, des fonctions du conte, de la liberté du conteur et de son rapport au public. Il s’agissait pour moi de clarifier la spécificité du conte par rapport à celle du théâtre.

Au tout début, mon répertoire de contes était réduit, il se résumait à une dizaine de contes haïtiens, certains venus de l’enfance et d’autres tirés de la première anthologie dont j’ai disposé. J’avais eu en Colombie la chance d’être initiée au conte-chanté par l’ethnologue haïtien Rémy Bastien, auteur de l’Anthologie du folklore haïtien publié à Mexico en 1946. Cet ouvrage fut pendant quelques années ma principale source d’information sur les contes haïtiens.

J’ai eu, par la suite, la chance de trouver à la bibliothèque de l’American History de Washington le travail de l’ethnologue haïtienne Suzanne Sylvain Comhaire, publié en anglais et en créole avec des transcriptions de chants de contes. C’est une oeuvre d’une richesse et d’une valeur incalculables qui m’a été précieuse. Je me suis nourrie également des travaux réalisés par des ethnologues du Bureau d’ethnologie de la République d’Haïti et du livre du Docteur Price Mars : Ainsi parla l’Oncle, un essai d’ethnographie sur les croyances populaires et le rôle essentiel de l’Afrique dans la culture orale haïtienne, publié en 1928.

J’ai puisé aussi mes sources chez les anthropologues étrangers, particulièrement les américains comme Zora Neale Hurston, Roger Abrahams, Courlander, Diane Wolkstein et Elsie Clews Parsons. À partir de ces sources j’ai pu commencer à construire mon répertoire, j’ai pu le nourrir, en le variant selon mes désirs et selon les commandes des programmateurs.

Mais la question de la version personnelle du récit semblait être le point essentiel à préciser. De quelle manière chaque conteur revisite-t-il le récit transmis et comment le raconte-t-il à son tour ? Il ne peut pas décemment restituer au public les contes notés et recueillis par les ethnologues. La matière brute demande d’être réécrite, revisitée par celui qui les racontera. Quant au conte qui a été raconté de bouche à oreille, il sera forcément différent dans la bouche de celui qui le fera vivre.

Pour écrire mes propres versions des contes, j’ai d’abord fait un travail de traduction du créole au français, puisque ces contes d’origine rurale sont racontés en créole. Puis je me les suis réappropriés en y mettant ma patte, ma langue d’artiste, mon âme. Ma version gardait la patine créole, sa saveur et ses images, tout en étant écrite en français, dans mon français. Ce long travail de réappropriation me rendait ainsi auteur de ma propre version.

Le travail d’écriture est, en ce qui me concerne, un va-et-vient entre le travail sur table et le travail sur scène devant l’auditoire. La version se modifie, s’affine, selon les réactions du public, selon les trouvailles du conteur. Le texte sera donc soumis à des rajouts, à des coupures jusqu’à ce qu’il trouve sa forme juste.

Avec la pratique et l’expérience je découvrais ainsi les différences fondamentales existant entre l’approche du conteur et celle du comédien. Contrairement au comédien qui est au service de l’auteur, j’étais au service de mon propre texte et j’avais en outre pleine liberté de le modifier à ma guise. Contrairement au comédien qui joue un personnage, le conteur dit « je ». Il n’est pas un personnage, il est lui-même, celui qui a vu et entendu et qui vient témoigner. Il s’engage dans le récit en son nom propre. Il peut à l’occasion dans le récit faire vivre des personnages mais ce n’est pas sa vocation première.

Une autre spécificité du conteur est sa liberté. Il est libre de s’écarter de son récit et d’y retourner, il est libre d’orienter son texte comme il l’entend, de chanter, ou de s’interrompre pour apostropher quelqu’un, il est libre de s’asseoir, de se mettre debout, de danser. Il évolue dans une improvisation toute naturelle du geste, du déplacement, des ruptures. Le conteur à voix nue est son propre metteur en scène. Dans sa relation au public le conteur diffère encore une fois du comédien, il aime avoir une certaine lumière dans la salle pour pouvoir plonger son regard dans celui qui l’écoute. C’est une nécessité vitale, sinon il aura tendance à basculer dans le monologue théâtral. Le conteur sollicite son auditoire, l’invite à participer, à chanter, à répondre, à « l’assister » dans le sens positif du terme.

J’ai profité pleinement de la liberté qui m’était offerte par ce genre artistique en prenant le risque de tenter des rencontres de genres, de faire des percées dans des domaines différents. J’ai été ainsi amenée à travailler en 1998 avec cinq autres conteuses de différentes régions de France dans une création collective dont le titre était Ainsi soient-elles. Chacune à notre manière, nous manifestions notre rogne contre le carcan de notre éducation religieuse et ses effets néfastes sur nos vies de femmes. C’était notre liberté d’outrepasser les tabous pour mieux éclore, grandir, être enfin soi.

Mes études universitaires avaient eu comme effet de survaloriser la part européenne de mon métissage et de faciliter mon assimilation en France. La prise de conscience de l’abandon de ma part haïtienne ne tarda pas à se manifester par la perte progressive de ma voix, perte de la mémoire et de l’usage du créole… Il s’agissait d’une aliénation de l’être qui avait toutes les chances de déboucher sur la folie, le suicide ou la révolte. Ma révolte a commencé d’abord au sein de la famille. Elle a suivi le même déroulement historique que celui d’Haïti lors de sa lutte d’Indépendance contre la France. Le processus s’est déroulé comme suit : insurrection, marronnage, guerre et rupture.

J’avais désormais à faire face à une triple quête : la quête de mon identité culturelle, la reconquête de la voix et la quête de la voie artistique. La reconquête de ma voix perdue s’est faite à la suite d’une longue thérapie réalisée avec le Roy Hart Théâtre dans les années 1970-1980. Une fois la voix redécouverte, posée, aguerrie, ample, il semblait urgent de ne pas s’enferrer dans les formations mais de passer à l’action. Avec confiance j’ai utilisé ma voix parlée et chantée dans les contes. C’est ainsi que sont nés mes récitals de contes.

Mon désir d’approfondir la connaissance du patrimoine oral de mon pays pour mieux m’en nourrir, le préserver, le faire connaître, apprécier et respecter justifiera mon engagement de conteuse dans la transmission de ce patrimoine. Tous mes spectacles de théâtre, tous mes récitals de contes, toutes mes interventions bénévoles et humanitaires, toutes mes parutions dans l’édition, toutes mes interventions à la radio ou à la télévision étaient tournés vers Haïti et la Caraïbe. Je suis devenue « la conteuse haïtienne ».

J’avais à ma disposition ces joyaux que sont les contes chantés d’Haïti. Des contes comme « L’oranger magique » et « La reine des poissons » ont marqué dans ce sens le début de ma carrière. J’ai commencé par conter les contes que j’avais gardés de mon enfance. C’était le cas de « L’oranger Magique » un des plus connus du répertoire haïtien et dont les versions sont nombreuses. L’orphelin malmené par sa marâtre hérite de sa défunte mère d’un chant et d’un oranger magique qui poussera, fleurira et donnera des oranges, lui permettant de se nourrir et de survivre. Ce conte a pris une dimension considérable lorsque je l’ai conté avec une sculpture mobile représentant un arbre créé par l’artiste Pierre Andres. Le drame de la déforestation de notre île se glissait dans ce spectacle. J’aime à dire que mon peuple a un pied dans le merveilleux et un pied dans le tragique. L’oranger magique était une métaphore de cet état de fait car il est à la fois merveilleux et tragique.

Le récital a évolué avec l’arrivée d’un guitariste guadeloupéen qui m’a accompagnée dans mon récit avec infiniment de finesse. Dans la tradition haïtienne le conte n’est pas accompagné par un instrument de musique, ni par un tambour comme dans les Antilles françaises et encore moins par une guitare. Le banjo ou le banza auraient pu se concevoir mais la guitare nous emmenait dans un contexte hispanique étranger à nos coutumes. Avec l’arrivée du guitariste guadeloupéen dans ce contexte de conte d’Haïti, je brisais volontairement un mode traditionnel. Je le brisais également en ne prenant pas la voix haut perché du conteur traditionnel mais en posant ma voix dans le registre de contralto qui est le mien. Cette distance voulue donnait au conte une dimension nouvelle, plus universelle tout en gardant sa différence.

Le conte de « La reine des Poissons » a eu deux vies. La première regroupait autour de moi une chanteuse, un guitariste et un saxophoniste. C’était une version musicale ensoleillée et pleine de gaîté, enregistrée comme L’oranger magique par les éditions Vif Argent.

La deuxième version était plus intime puisque j’étais accompagnée seulement par le guitariste classique Amos Coulanges. Cette version à deux voix a reçu le Becker d’or lors du 3ème Festival d’Acteurs d’Évry en 1989. La reine des poissons est la femme mythique que l’on retrouve dans les contes du monde entier, sirène des profondeurs des mers qui envoûte les pêcheurs. C’est encore un thème qui appartient à l’humanité mais il est traité dans un contexte spécifique du vaudou haïtien.

Par la suite, j’ai rassemblé des contes pour en faire des spectacles. Tendez Chanter l’amour et Les îles animales sont deux spectacles musicaux de contes. Le premier mis en scène par Emmanuel Plassard, créé à Chevilly Larue en1995 et présenté au festival d’Avignon en 1996, s’approche de la comédie musicale. Il a été créé avec deux guitaristes et un percussionniste, qui jouaient, chantaient et dialoguaient avec moi, la conteuse qui disait, dansait et chantait. Le répertoire des chants et musique de ce spectacle était essentiellement tiré de la musique populaire et religieuse haïtienne. Ce spectacle est composé de trois contes chantés haïtiens. Le thème est celui de l’envol de trois femmes hors de la domination de leur mari ou de leur père. Le CD de Tendez Chanter l’amour a été réalisé par la compagnie Ti Moun Fou en 1996.

Je suis accompagnée par un pianiste cubain dans Les îles animales, spectacle de contes qui tourne depuis 1999, le pianiste cubain a composé sa propre musique sur des contes originaires des grandes Antilles. Le thème du spectacle est la création des grandes Antilles, Cuba, Porto Rico, Haïti, Saint-Domingue et la Jamaïque, dont la morphologie est curieusement animale. Mon objectif était de souligner que l’espace caribéen est vaste et ne se réduit pas aux seules Antilles françaises comme un certain franco-centrisme tente de le faire croire. Manuel Anoyvega Mora et moi avons imbriqué le récit et la musique de telle façon que pratiquement je raconte comme si je suivais une partition musicale tout en improvisant régulièrement ma mise en espace. Les Editions Lirabelle ont édité le CD des Îles Animales en 2001.

Tous ces récitals et ces spectacles de contes permirent à mon auditoire de France, des pays francophones et non francophones d’appréhender différents aspects de la culture orale haïtienne et caribéenne. Mon tout dernier spectacle, Le Fulgurant, créé en 2006, évoque une Haïti mythique et épique, celle qui vivra toujours dans l’imaginaire et à la fois évoque le chaos dans lequel notre monde s’enfonce. Chango, Dieu du Tonnerre, de l’Orage et de l’Eclair s’incarnera sur terre pour lutter contre le désordre et l’arbitraire. Encore une fois le merveilleux côtoie la tragédie.

Le travail vocal a contribué fortement à me faire prendre conscience de ma féminité. J’ai alors abordé le thème de la femme qui prend son envol dans le spectacle de contes Tendez chanter l’amour ; dans mes récitals de contes j’ai aussi insisté sur le thème du prix à payer pour garder sa liberté de femme. Cependant je n’ai pas voulu m’engager trop avant dans la prise de position féministe, persuadée que la cause de l’être humain, sexes confondus, est primordiale.

Curieusement Le Fulgurant est un spectacle qui exalte l’homme fort, le héros. Dans ce monde occidental où les hommes tout en gardant leur pouvoir sont désorientés et fragilisés, il m’a semblé intéressant de camper des hommes d’excellence qui ont le sens des valeurs et de la responsabilité même s’ils peuvent faillir parfois. C’est ma façon de lâcher prise, d’abandonner notre surpuissance de femme pour considérer l’autre dans sa différence.

Une nouvelle quête s’imposait à moi : l’affirmation de soi, l’émergence de l’être profond débarrassé de tout parasitage de mode ou de codes. Cette quête m’amènera de plus en plus à travailler seule sans filet et avec le désir d’aller plus loin, au delà de mes propres limites, de me révéler en quelque sorte à moi-même. Dans les deux derniers spectacles, je suis sans musicien. Dans Une très belle mort, en silence, la plasticienne réalise sur scène sa scénographie, tandis que j’interprète, je chante et je conte. Dans Le Fulgurant je suis seule sur scène.

Engagement comme artiste francophone dans la défense des langues françaises, celle de ma terre d’origine et celles de ma terre d’accueil

Les termes d’artiste francophone me conviendraient mieux que ceux de conteuse haïtienne. C’est en tout cas ce à quoi j’aspire et ce qui semble s’imposer en observant mon travail de ces dernières années. Je vais tâcher de m’en expliquer en m’arrêtant d’abord sur le terme artiste.

Durant ma carrière, j’ai été davantage conteuse que comédienne et dans la fréquence de mes spectacles et dans le temps consacré aux contes. Dans les années fastes, je jouais cent fois par an des spectacles et des récitals de contes. J’ai créé un lieu du conte « Le petit Contoire » à la Cité Véron en 1987 où je présentais des conteurs au public du dimanche et j’ai monté ma propre structure d’entreprise de spectacle sous forme d’association loi 1901, la Compagnie Ti Moun Fou en 1995.

Cependant, plus le temps passait, plus la pratique des contes sous forme de récital – sans mise en scène, sans scénographie, une formule en quelque sorte du conte à voix nue – envahissait mon temps aux dépens des spectacles mis en scène. On pourrait évoquer des raisons économiques qui se justifient d’ailleurs de plus en plus. J’ai cherché à présenter mes spectacles dans le monde du théâtre, scènes nationales, scènes municipales. L’entrée de ce monde n’a pas été facile car j’étais connue comme conteuse et n’avais pas accès à ces créneaux pour la bonne raison qu’en France les secteurs culturels sont compartimentés et étanches. La vraie raison de cette frilosité vis à vis de mes spectacles c’est qu’ils sont inclassables même aux yeux des programmateurs de contes.

Dans Soldats marrons je travaille sur trois plans, le plan historique, celui de l’évocation et enfin celui du conte. Soldats Marrons peut être vu comme un spectacle de pédagogie ludique, ou tout simplement le fait d’une conteuse qui raconte l’histoire épique de son pays mêlée à ses souvenirs personnels. C’est un travail original dans lequel je reste conteuse tout au long du spectacle.

Une très belle mort, créé en 2000, est inspiré par les propos d’un centenaire français, ami de mon père, sur la mort. Ma rencontre avec lui en fin d’année 1999 m’a inspirée et j’ai écrit un récit sur la mort sereine de mon père, de ses frères et de sa sœur pour pouvoir immortaliser l’ami centenaire, celui qui cherchait à faire la nique à la mort, sa forte conscience de son imminence lui donnant une terrible envie de vivre. Ce spectacle est un monologue à caractère sociologique qui décrit le comportement de l’Haïtien face à la mort, mais il appartient, à cause de son traitement sur trois plans à la fois, au théâtre, au conte, et à l’autobiographie.

Le Fulgurant est un récit épique et mythique caribéen dans lequel deux récits s’imbriquent pour évoquer l’incarnation sur terre de Chango, Dieu de l’Eclair, de l’Orage et du Tonnerre. Ce n’est ni une pièce de théâtre, ni un récital de contes. Ce spectacle a une dimension épique par son contenu et par la démesure des situations, des actions, des personnages, du langage. Il est truffé de rituels chantés ou psalmodiés, d’effets comiques, de berceuses tendres, de nombreux chants populaires et religieux, de situations anachroniques que tour à tour j’interprète comme comédienne, conteuse, chanteuse, danseuse et prêtresse.

Dans le spectacle pour jeune public Jeux de cailloux j’introduis le mode clownesque pour faire passer un message sur la diversité des langues francophones et le rôle de passerelle que joue le français de France.

Dans mon autre spectacle pour jeune public, Le voyage en papillon, c’est à travers le chant, la danse et les poèmes et les contes que j’ouvre une fenêtre vers la Guyane, ses contes, sa flore et sa faune. Mon but était d’établir des liens entre les différentes terres alors que les Haïtiens sont mal accueillis et souvent méprisés dans les départements français d’Outre-mer. Mon souhait est aussi de raffermir ces liens grâce à une meilleure connaissance mutuelle pour éventuellement imaginer la possibilité de construire « l’Utopie » que défendaient José Marty et Anthénor Firmin, à savoir les États-Unis de la Caraïbe.

Dans ce même ordre d’idées, j’ai mis dans mes textes des chansons en créole guadeloupéen comme dans Anansi l’Araignée. J’ai fait un CD édité chez Enfances et Musiques sous le titre Chantez Dansez Haïti Guadeloupe ; je me suis fait accompagner par un pianiste cubain qui a amené la couleur de sa culture dans le spectacle Les Îles animales.

J’ai été très vite sensible à l’ouverture vers le bassin caribéen pour éviter de tomber dans l’écueil de l’insularité et j’ai toujours revendiqué le terme de « caribéen » plutôt que « d’antillais » qui a été accaparé par la France. C’est donc par le travail de l’artiste dans toute sa palette que je revendique ce terme ainsi que celui de « francophone », ce qui sera le point final de mon propos.

Je suis francophone car je n’emploie pas le créole, la langue vernaculaire des contes haïtiens, ni dans mes récitals, ni dans mes spectacles, ni dans mes écrits. Je m’exprime dans la langue française dans laquelle j’ai plaisir et facilité à m’exprimer sans nier pour autant la présence du créole dans ma langue d’artiste. J’ai très peu pratiqué le créole dans le sein de ma famille et encore moins au Pensionnat des Sœurs de Sainte Rose de Lima à Port-au-Prince où j’ai suivi toutes mes études primaires et secondaires. Mon créole est pauvre et très francisé, privé des images et des dictons dont regorge cette langue savoureuse. Certes le français a été la première langue nationale du pays et depuis une vingtaine d’années il partage ce titre avec le créole. La production littéraire du pays qui est de haut niveau est essentiellement en français bien que depuis quelques années on assiste à une production créole conséquente. Mais le créole est parlé par toute la population haïtienne tandis que le français est de moins en moins parlé. Cette diglossie est le faite de la désaffection de l’État haïtien pour le français ; la langue n’est plus obligatoire pour les études primaires et secondaires sauf dans certaines écoles privées. Du côté de la France, on constate une perte d’intérêt envers la présence du français en Haïti, perte d’intérêt généralisée d’ailleurs en ce qui concerne le français dans le monde.

La « francophonie » en termes senghoriens devait être cet humanisme intégral qui se tisse autour de la terre dans une symbiose des énergies dormantes de tous les continents, de toutes les races qui se réveillent à leur « chaleur complémentaire ». Cette définition de la francophonie m’a intéressée au plus haut point car elle remettait en question l’approche impérialiste que la France avait à notre égard, nous les francophones hors de France et elle justifiait ma lutte pour l’expansion des langues françaises dans le monde. La francophonie est aussi diverse que les peuples qui la composent.

C’est la raison pour laquelle je suis engagée dans la connaissance et la défense des langues françaises, celle de ma terre d’origine et celle de ma terre d’accueil. Les différentes activités que je citerai ici témoignent de mon engagement. J’ai publié une trentaine de livres de contes et de monologues, pour enfants et pour adultes, qui sont tous en français. La plupart de ces textes ont été rodés sur scène sauf Haïti Conté qui est une compilation de contes haïtiens de 300 pages, éditée chez Slatkine, en Suisse en 2004.

Dans les textes bilingues, le créole a été confié à des spécialistes de la langue. Mais ma langue d’artiste est continuellement enrichie par la présence du créole, si bien qu’il arrive très souvent que mon auditoire me dise sa surprise d’avoir tout compris ce que je disais, persuadé que je ne m’exprimais qu’en créole. Ce qui laisse entendre qu’une langue n’est pas seulement le propre de mots mais elle s’exprime aussi par des images, une gestuelle, un comportement, une mélodie, un rythme et une sensibilité amoureuse.

J’ai participé à plusieurs ouvrages collectifs francophones : Contes et Nouvelles Francophone édités par les Echanges Internationaux en 1994 ; en 1996 les éditions Québec Amérique de Montréal m’ont sollicitée pour participer à un ouvrage collectif dont le titre est Tout un monde à raconter ; Aux éditions Syros Les plus beaux contes de Conteurs en 1999 et Cœurs de Conteurs en 2000. J’ai également participé à deux ouvrages collectifs qui regroupaient des écrivains francophones dont les titres sont À peine plus qu’un cyclone aux Antilles aux Éditions Balcon sur l’Atlantique, en 1998 et Finisterres du Soleilen Suisse aux Éditions de la Vouivre en 2001.

J’ai présidé le jury des « Jeux de la Francophonie » à Madagascar en 1999, manifestation organisée par le Ministère de la Jeunesse et des Sports. J’ai participé également à l’événement « Dix mots du français comme on l’aime » organisé par le ministère de la Culture en 2001, 2003 et 2006. Je serai brève quant aux nombreux voyages à l’étranger dans le cadre de colloques sur la francophonie ou de salons du livre ou de spectacles de contes ou de théâtre. En 2000 j’ai reçu le grade de Chevalier de l’ordre national du Mérite et en 2001 celui d’officier de l’ordre des Arts et des lettres. Quelle meilleure preuve de mon intégration en France et de ma participation à la connaissance de la langue française ?


Ce texte, « Naissance d’une vocation » par Mimi Barthélémy est publié sur Île en île avec la permission de l’auteure. Une version de ce texte a été publiée en espagnol sous le titre « Mi Carrera Artística » dans la revue argentine (du Centro Lantinoamericano de Creación e Investigación Teatral) CELCIT 33 (février 2008).


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mis en ligne : 30 septembre 2008 ; mis à jour : 27 octobre 2018