René Maran

René Maran, photographie © Harlingue-Viollet Éditions Albin Michel, D.R.

photographie © Harlingue-Viollet
Éditions Albin Michel, D.R.

Né à Fort-de-France le 5 novembre 1887, René Maran demeure le grand oublié de cette littérature que l’on nomme aujourd’hui « francophone ». Alors que Léopold-Sédar Senghor en a lui-même fait le « précurseur de la négritude », et malgré un prix Goncourt gagné deux années après la victoire de Proust, le nom de Maran reste méconnu de la plupart des spécialistes en lettres francophones. Il est vrai que les origines de Maran font de lui un auteur difficile à catégoriser.

Le jeune Maran fut très vite contraint de déménager dans « la métropole », à Bordeaux plus précisément, alors que son père est muté au Gabon. D’autre part, ses parents n’étaient pas d’origine martiniquaise, mais guyanaise. Enfin, l’auteur de Batouala passa la plupart de sa vie entre la France et l’Afrique, en Oubangui notamment, ce qui rend d’autant plus problématique la catégorisation de l’appartenance géographique de cet écrivain, mais ceci explique aussi son intérêt pour la communauté noire, non seulement antillaise, mais aussi d’Afrique, de France et des États-Unis (on notera au passage l’importance de sa correspondance avec Alain Locke).

L’œuvre de René Maran est celle du déchirement : fidèle corps et âme à la France (il voudra même s’engager dans l’armée lors de la première guerre mondiale), il n’en demeure pas moins critique du système colonial, système qui empêcha son père d’obtenir la Légion d’honneur. Sa fonction d’administrateur des colonies le met dans une position délicate : il se doit de servir son pays qu’il chérit tant, mais ne peut s’empêcher de se sentir solidaire des peuples d’Afrique équatoriale française. Ce sentiment de double appartenance sera cristallisé dans son roman Un homme pareil aux autres.

Mais c’est surtout avec Batouala, roman qu’il juge « trop noir et ineuropéen » pour les Français, qu’il se fera connaître, roman qui force l’admiration des uns, et provoque la colère des autres, notamment des responsables de l’administration coloniale qui interdit la diffusion du livre en Afrique (Maran sera contraint de démissionner de son poste).

La préface de Batouala (1921) constitue en effet une véritable diatribe contre le système colonial puisque Maran s’attaque de manière directe à la façon dont l’administration coloniale gère ses territoires de l’Afrique Équatoriale Française. La corruption de cette administration coloniale – que Marguerite Duras dénoncera également en parlant de l’Indochine – s’accompagne de débordements en tous genres de la part des hauts fonctionnaires. Ces débordements, surtout causés par les abus d’alcool, seront justifiés par la fameuse « mission civilisatrice » de la France que Maran attaque de plein fouet, racontant dans cette préface que les villages concernés sont peu à peu pillés et dépeuplés.

Toutefois, la prise répétée de quinine, le manque répété de sommeil, et la mort de ses proches pousseront René Maran à un retour en France sans fanfare, où il meurt le 9 mai 1960, laissant derrière lui une œuvre inspirée du naturalisme à la Balzac, mais qui emprunte également des rythmes de l’Afrique qu’il a tant aimée.

– Stève Puig


Oeuvres principales:

Romans:

  • Batouala, véritable roman nègre. Paris: Albin Michel, 1921, 1938. Avec des illustrations de Lacovleff. Paris: Éditions Mornay, 1928. Édition définitive avec « Youmba, la mangouste »: Albin Michel, 1985, 1989, 1999. Avec une présentation, notes, questions et après-texte par Josiane Grinfas: Paris: Magnard, 2002.
  • Djouma, chien de brousse… Paris: Albin Michel, 1927.
  • Journal sans date, roman inédit. Les Oeuvres libres (Paris) 73 (1927): 105-236.
  • Le cœur serré. Paris: Albin Michel, 1931.
  • L’homme qui attend, roman inédit et complet. Les Oeuvres libres (Paris) 176 (1936): 37-130.
  • Un homme pareil aux autres. Paris: Éditions Arc-en-Ciel, 1947.
  • Mbala, l’éléphant. Illustrations de G. Barret. Paris: Éditions Arc-en-Ciel, 1947.
  • Bacouya, le cynocéphale. Paris: Albin Michel, 1953.

Essais:

  • Asepsie noire ! Paris: Laboratoires Martinet, 1931, 45 p.; Paris: Jean-Michel Place, 2006, 64 p.
  • Le Tchad de sable et d’or. Documentation de Pierre Deloncle. Paris: Revue française, 1931.
  • Afrique Équatoriale Française: terres et races d’avenir. Illustré par Paul Jouve. Paris: L’Imprimerie de Vaugirard, 1937.
  • Livingstone et l’exploration de l’Afrique. Paris: Gallimard, 1938.
  • Brazza et la fondation de l’A.E.F. Paris: Gallimard, 1941.
  • Les pionniers de l’empire. Paris: Albin Michel, 1943-55. Tome 1: Jean de Béthencourt. Anselme d’Isalguier. Binot le Paulmeir de Gonneville. Jacques Cartier. Jean Parmentier. Nicolas Durand de Villegaignon. Jean Ribaut. Tome 2: Samuel Champlain. Belain d’Esnambuc. Robert Cavelier de la Salle. Tome 3: André Brüe. Joseph-François Dupleix. René Madec. Pigneaux de Behaine.
  • Savorgnan de Brazza. Paris: Éditions du Dauphin, 1951.
  • Bêtes de la brousse. Paris: Albin Michel, 1952.
  • Félix Éboué, grand commis et loyal serviteur, 1885-1944. Paris: Éditions Parisiennes, 1957.
  • Bertrand du Guesclin, l’épée du roi. Paris: Albin Michel, 1960.

Nouvelles:

  • Peines de cœur. Paris: « Univers, » 1944. (« Peines de cœur », « L’homme qui attend », et « Deux amis »).
  • Le petit roi de Chimérie, conte. Préface de Léon Bocquet. Paris: Albin Michel, 1924, 237 p.

Poésie:

  • La maison du bonheur. Paris: Le Beffroi, 1909.
  • La vie intérieure; poèmes (1909-1912). Paris: Le Beffroi, 1912.
  • Le livre du souvenir, poèmes, 1909-1957. Paris: Présence Africaine, 1958, 2021.

Correspondance:

  • Correspondance Maran – Gahisto. Introduction de Romuald Fonkoua, avec la collaboration de Bernard Michel. Paris: Présence Africaine, 2021.

Prix et distinctions littéraires:

  • 1921     Prix Goncourt, pour Batouala.

Sur l’œuvre de René Maran:

ouvrages collectifs:

  • Hommage à René Maran. Paris: Présence Africaine, 1965. Textes de : Charles Astruc, Mercer Cook, Albert Darnal, Manoel Gahisto, Charles Kunstler, Léopold-Sédar Senghor, René Violaines ; témoignages de Charles Bareilley, Odet Denys, François Descoeurs, A. Fraysse, J. Jacoulet, Albert Maurice, Pierre Paraf, Jean Portail, François Raynal, Martial Sinda, Paul Tuffrau et le texte intégral de Djogoni de René Maran.
  • Francofonía 14 (2005), numéro dirigé par Lourdes Rubiales. Articles de : Pierre-Philippe Fraiture, Pierre Halen, Marie-Hélène Koffi-Tessio, Roger Little, Buata Malela, Anthony Mangeon, Bernard Mouralis, Lourdes Rubiales et une lettre inédite de René Maran à André Fraisse.
  • Présence Africaine 187-188 (2013). Éloge de l’écrivain. « René Maran revisité ». Textes de Sylvie Brodziak, Elsa Geneste, Boris Lesueur, Roger Little, Buata Bundu Malela, Marc Michel, Paul B. Miller, Boniface Mongo-Mboussa, Bernard Mouralis, Nimrod et Mathieu Renault.
  • Interculturel Francophonies 33 (juin-juillet 2018). « René Maran: une conscience intranquille », textes réunis et présentés par Roger Little. Essais par : Kusum Aggarwal, Ferroudja Allouache, Florent Sohi Blesson, Sylvie Brodziak, Loïc Céry, Juan Fandos-Rius, Tunda Kitenge-Ngoy, Boris Lesueur, Katrien Lievois, Roger Little, Buata B. Malela, Hanétha Vété-Congolo et « Deux Amis » (nouvelle par Maran).

essais, études:

  • Cameron, Keith. René Maran. Boston: Twayne, 1985.
  • Cook, Mercer. « René Maran ». The French Review 17.3 (January 1944): 157-159.
  • Cook, Mercer. Five French Negro authors. Washington, D.C.: The Associated Publishers, 1943.
  • Edwards, Brent Hayes. The Practice of Diaspora: Literature, Translation, and the Rise of Black Internationalism. Cambridge: Harvard University Press, 2003. (Chapter 2 on René Maran).
  • Fabre, Michel. « Rene Maran, The New Negro and Negritude ». Phylon 36.3 (3rd quarter 1975): 340-351.
  • Fabre, Michel. « Autour de René Maran ». Présence Africaine 86 (2ème semestre 1973): 171.
  • Guimendego, Maurice. « Le roman Batouala de René Maran: portrait satirique du colonisateur ou materia prima pour l’histoire? » Francofonía 10 (2001): 61-77.
  • Janken, Kenneth. « African American and Francophone Black Intellectuals during the Harlem Renaissance ». Historian 60.3 (Spring 1998): 487-505.
  • Little, Roger. « René Maran on Lucie Cousturier, a Champion of Racial Understanding ». Research in African Literatures 34 (Printemps 2003): 126-36.
  • Ojo-Ade, Femi. René Maran, the Black Frenchman: a Bio-Critical Study. Washington, D.C.: Three Continents Press, 1984.
  • Onana, Charles. René Maran; Le premier Goncourt noir, 1887-1960.Paris: Duboiris, 2007.
  • Sanko, Hélène. « Les Mots pour le dire: L’Afrique d’après Batouala de René Maran ». Francographies 2 (1993): 131-41.
  • Trautmann, René. Au pays de Batouala: noirs et blancs de l’Afrique. Paris: Payot, 1922.

Filmographie:

  • René Maran, l’éveilleur de consciences. Film documentaire réalisé par Barcha Bauer et Serge Patient. France 3 Aquitaine, La Lanterne, RFO Guyane, Prodom Canal Antilles, 2007, 52 min.

Traductions:

in English:

  • Batouala. Trans. Adele Szold Seltzer. New York: Thomas Seltzer, 1922.
  • Batouala; a Negro novel from the French. London: Jonathan Cape, 1922.
  • Batouala; a true Black novel. Trans. Barbara Beck and Alexandre Mboukou. Washington: Black Orpheus Press, 1972.
  • Batouala. Trans. Alexandre Mboukou; Introduction by Donald E. Herdeck. Rockville, Maryland: New Perspectives, 1973.

en español:

  • Batuala; verdadera novela de Negros. Prólogo, traducción y notas de José Mas. Madrid: V.H. Sanz Calleja, 1922.
  • Batuala. Buenos Aires: Ediciones Siglo Veinte, 1945.

Batouala a également été traduit en polonais (1923).


Liens:

sur Île en île:

  • Batouala, extraits de la préface du roman (1921), par René Maran.

ailleurs sur le web :


Retour:

dossier René Maran préparé par Stève Puig

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mis en ligne : 12 novembre 2004 ; mis à jour : 1 août 2021