Daniel Honoré, 5 Questions pour Île en île


Daniel Honoré répond aux 5 Questions pour Île en île, dans le Jardin de l’État à Saint-Denis de la Réunion, le 8 juillet 2009.

Entretien de 40 minutes réalisé par Thomas C. Spear.

Notes de transcription (ci-dessous) : Fred Edson Lafortune.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Daniel Honoré.

Notes techniques :  Vous entendrez parfois du vent dans le microphone et une scie électrique pendant la dernière partie de l’entretien.

début – Mes influences
04:08 – Mon quartier
09:30 – Mon enfance
13:54 – Mon oeuvre
24:16 – Le créole
30:35 – L’insularité


Mes influences

La lecture a toujours été une passion pour moi. Tout jeune, je passais tout mon temps dans les bouquins. Des auteurs m’ont absolument marqué. Je ne parlerai pas des classiques français qu’on a étudiés à l’école.

Des auteurs qui m’ont finalement apporté quelque chose, et qui ont une influence sur ce que j’ai écrit par la suite :

John Steinbeck que j’ai découvert à 15 ou 16 ans à travers Les raisins de la colère. J’ai beaucoup aimé ce roman pour son dénouement. La chute plus précisément : cette jeune femme qui va redonner la vie à un vieillard qui est en train de mourir en lui donnant le sein. L’image est si extraordinaire qu’elle restera à jamais dans ma mémoire. C’est un auteur à qui je pense encore aujourd’hui.

Jorge Amado, je l’ai découvert un peu plus tard quand j’ai commencé à écrire. Il m’a appris que parler de son pays et de ce que l’on voit tous les jours pouvait être assez extraordinaire pour les autres. Il n’est pas toujours nécessaire de parler seulement des choses universelles. Parler des choses de tous les jours peut susciter l’admiration des autres.

Ce sont deux auteurs à qui je dois beaucoup de ce que je fais aujourd’hui.

Mon quartier

J’habite une petite ville qui s’appelle Sainte-Suzanne, une ville de moyenne importance d’environ 25 000 habitants. Elle a joué un certain rôle historique parce qu’après la ville de Saint-Paul – qui a été le berceau de la population réunionnaise – les premiers habitants se sont dirigés vers l’est et se sont établis dans un lieu non loin de la rivière Sainte-Suzanne. C’est un endroit très calme où les gens se connaissent, se saluent et se parlent. C’est en même temps un endroit de passage extrêmement animé.

Pour les touristes qui viennent à la Réunion, Sainte-Suzanne représente un endroit intéressant. Sur le plan géographique, il y a l’une des plus belles cascades de l’île un peu pompeusement appelée Niagara. Ça n’a rien avoir avec le grand Niagara. Il y a un phare unique à la Réunion qui joue un rôle important dans l’histoire du pays. À Sainte-Suzanne, il y a des familles qualifiées de « Gros Blancs » qui étaient à la base du développement économique de l’île. Elles ont eu les plus grands champs de canne. On peut aujourd’hui encore visiter certaines de ces habitations. On y trouve des éléments pour mieux comprendre la Réunion.

Sainte-Suzanne est pour moi un centre de vie.

Mon enfance

Originaire de Chine, mon père est arrivé à la Réunion de Canton au début du XXe siècle. Ma mère était une descendante d’esclave, affranchie à l’époque, avec des racines africaines et malgaches. Mon père a travaillé très longtemps comme petit commerçant. Ma mère a pris la relève quand il a décidé d’arrêter de travailler. Je suis issu de ce milieu plutôt pauvre, de petits commerçants, sans grande facilité dans la vie. Je suis allé à l’école à l’âge de 4 ou 5 ans. Au lieu de fréquenter une école publique, j’ai fréquenté une école dite « École marron » : une petite école comme une garderie d’enfants avec un accueil familial. On donnait aux enfants les premiers rudiments de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. On les entretenait dans un bain de langage, ce qui leur permettrait d’attendre l’âge de six ans pour aller dans une école publique.

J’ai grandi dans cette atmosphère où j’ai été pris en charge par une jeune demoiselle issue certainement d’une bonne famille, mais appauvrie. Pour gagner sa vie, elle apprenait à lire et à écrire aux enfants.

J’ai grandi aussi dans une atmosphère familiale avec mon père, ma mère, ma grand-mère et mes oncles. Ma grand-mère m’a beaucoup marqué. C’était une amoureuse des histoires. Tous les soirs, j’étais au pied de son lit pour l’entendre raconter des histoires. Cela a eu une influence sur moi puisqu’aujourd’hui je suis devenu écrivain et conteur. Je travaille beaucoup avec les enfants.

Mon œuvre

J’écris depuis une trentaine d’années. J’ai toujours eu la passion de l’écriture. Depuis les années 1970, je me suis mis vraiment à écrire. À cette époque, j’avais pris l’engagement d’écrire, non pas pour le plaisir d’écrire, mais pour que la langue créole soit reconnue en tant que langue porteuse d’écriture, capable de transmettre des choses par écrit. Dans l’imagination populaire, écrire en créole n’était pas possible à cause de son vocabulaire plutôt restreint et de ses structures langagières. Elle aurait été une espèce de patois. De l’avis de la population, dire que la langue créole est une langue d’écriture était un choix politique qui aurait pu avoir un rapport avec l’indépendance de l’île, le rejet de la France. C’était donc un moment extrêmement difficile pour tous ceux qui voulaient s’engager dans la promotion de la culture réunionnaise, de sa langue en particulier. Un moment difficile qui a découragé plus d’un. Personnellement, j’ai continué sans relâche dans cette lutte.

J’écris de la poésie. Quand on a été pendant un certain temps privé de parole, on a envie de crier, de montrer ses tripes et d’ouvrir son cœur.

J’écris aussi des textes en prose. J’ai travaillé sur la nouvelle et sur le roman. J’ai écrit un roman autobiographique pour expliquer à ceux qui ne me connaissaient pas, pourquoi je m’étais engagé dans le combat politique et culturel.

À partir des années 1990, j’avais besoin de me replonger dans le fin fond de la culture réunionnaise. Je me suis rendu compte finalement qu’écrire de la fiction permet de s’évader soi-même, de retrouver une certaine humilité et d’aller à la rencontre des gens qui eux-mêmes possèdent des choses que vous ne possédez pas. C’était un moyen de se donner des forces. Par la suite, j’ai travaillé sur ce que je pourrais appeler « l’héritage immatérielle d’une population ». Je suis allé à l’écoute des anciens pour collectionner des proverbes et des vieux dictons. J’ai publié deux recueils de proverbes réunionnais.

J’ai travaillé sur les devinettes créoles qui sont extrêmement intéressantes parce qu’elles n’ont rien à voir avec les devinettes à la française. J’ai travaillé également sur les expressions de la langue créole qui sont très riches et sur la collecte des contes traditionnels. J’écris un essai sur les contes de la Réunion. Cela m’a amené, avec l’aide de quelques amis qui ont le même intérêt que moi pour la culture de l’île, à mettre sur pied des stages de formation pour conteurs. Depuis cinq ans, nous formons des jeunes dans la tradition réunionnaise du contage. C’est une satisfaction extraordinaire.

Le créole

J’éprouve autant de plaisir à écrire en français qu’en créole. Le créole réunionnais est une langue que l’on a héritée des premiers habitants de l’île ayant des cultures et des langues complètement différentes. La mise en commun de ces langues a donné naissance à la langue créole. C’est une des choses les plus importantes, car il n’y pas de culture sans langue. Pendant très longtemps, on a empêché les élèves de s’exprimer en créole. Mais, malgré toutes les pressions et tous les barrages, cette langue continue à exister. Elle existe encore parce qu’elle fait partie de nous, de notre personnalité. Nous avons donc à la Réunion deux langues : le français et le créole.

L’important, c’est de pouvoir donner au créole tous les outils dont il a besoin. C’est pourquoi écrire en créole est un acte de revendication. Les gouvernements qui se sont succédés ont permis la reconnaissance du créole en tant que langue maternelle et langue d’enseignement.

L’Insularité

Être un insulaire a des avantages et des inconvénients. Les inconvénients, c’est l’isolement qu’ont subi les Réunionnais pendant très longtemps. On n’avait pas vraiment la possibilité de quitter l’île pour aller ailleurs. Il n’y avait que les grands propriétaires qui pouvaient envoyer leurs enfants étudier en France. La majeure partie de la population restait enfermée ici, coupée du reste du monde. C’était un handicap majeur qui, matériellement, économiquement et culturellement a pesé sur le développement de l’île. Jamais nous n’avons eu la possibilité d’échanger et de prendre contact avec les autres.

La modernité nous apporte des choses extraordinaires. Les Réunionnais peuvent aujourd’hui voyager tous les jours. Ils sont au courant de tout ce qui se passe dans le monde grâce aux médias. Ils peuvent partager avec le monde leurs productions culturelles et intellectuelles.

Être un insulaire dans un pays comme la Réunion avec 800 000 habitants n’est pas toujours facile, pas facile de se confronter avec l’extérieur.


Daniel Honoré

Honoré, Daniel. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Saint-Denis (2009). 40 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube : 10 mai 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 11 décembre 2009 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Notes de transcription : Fred Edson Lafortune

© 2009 Île en île


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mis en ligne : 11 décembre 2009 ; mis à jour : 26 octobre 2020