Umar Timol, 5 Questions pour Île en île


Le poète Umar Timol répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 26 minutes réalisé à Beau-Bassin (Île Maurice) le 19 juin 2009 par Thomas C. Spear.
Caméra : Anjanita Mahadoo.

Notes de transcription (ci-dessous) : Ashwiny O. Kistnareddy.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Umar Timol.

début – Mes influences
07:45 – Mon quartier, Mon enfance
10:25 – Mon oeuvre
23:03 – L’insularité


Mes influences

J’aimerais parler d’une anecdote à propos de la mère. Ma mère est décédée l’année dernière. Comme toutes les femmes de sa génération, elle n’avait pas fait beaucoup d’études. Mais elle adorait la lecture et il y a toujours eu beaucoup de livres à la maison. Quand j’étais petit, ma mère m’achetait un Mickey Parade tous les mardis ou les jeudis, quand il sortait. Quand je rentrais de l’école, il y avait cette impatience parce que je savais que ma mère allait m’apporter un Mickey Parade.

Ma mère m’a transmis l’amour des livres. Les samedis, on se rendait à Curepipe où se trouvait le plus grand supermarché de l’île, Prisunic. Souvent, on se rendait à la Librairie Le Trèfle et ma mère m’achetait des BD comme Tintin. Ainsi, j’ai découvert très tôt le plaisir de posséder et de lire des livres.

Aujourd’hui encore j’aime aller dans une librairie. J’ai un budget de livres ; tous les mois, j’aime bien m’en acheter deux ou trois. J’y passe peut-être une heure à la librairie et donc là, il y a cet élément, cette attente. Je ne sais pas au fond si je vais acheter un livre sur la religion ou un livre sur autre chose. Au fond, le choix est assez fugitif. Je sais que le soir je vais me concentrer sur la lecture, c’est important. Peut-être qu’il y avait déjà chez moi cette sensibilité, mais c’est grâce à ma mère qui avait cet amour pour la lecture qu’elle s’est développée. J’espère transmettre cela à mes enfants, parce que la lecture est essentielle.

Le livre est un moyen d’accéder à la vérité du monde… peut-être illusoire.

Lire, c’est une façon de mieux me comprendre et de comprendre la vie.

Il y a plusieurs auteurs qui m’ont influencé. En particulier, Charles Baudelaire que j’ai découvert à l’âge de 19 ans. Les Fleurs du Mal, texte absolument magnifique, mais aussi je me suis retrouvé dans le texte. Entretemps, j’ai évolué et j’ai relu ce texte différemment. La poésie peut servir à exprimer ce qu’il y a dans les tréfonds de mon être.

Parmi les auteurs mauriciens que j’aime, il y a Ananda Devi. J’ai lu tous ses romans, et je trouve sa poésie sublime. Récemment, j’ai lu son roman Indian Tango : une écriture parfaitement maîtrisée. J’ai lu plusieurs romans de Le Clézio, comme Le Chercheur d’Or et L’inconnu sur la terre. Dans ses livres on découvre un imaginaire vraiment inouï. C’est un auteur qui nous parle de choses peut-être banales, mais c’est un auteur profondément mystique.

Il y a de nombreux romanciers que j’aime : Andre Brink pour la littérature africaine, Vikram Seth, A Suitable Boy… La littérature indienne d’expression anglaise des écrivains comme Anita Desai ou des romancières qui vivent aux États-Unis comme Jhumpa Lahiri. Pendant longtemps j’ai lu beaucoup de livres écrits, comme c’est le cas dans toutes les sociétés colonisées, par des auteurs occidentaux. Quand j’ai découvert Vikram Seth, ce que j’ai aimé, c’est que cet auteur parle de moi. Le personnage de Mme Rupa Mehra est une Indo-Mauricienne au fond. Jhumpa Lahiri nous parle de la migration des Indiens. C’est un peu narcissique de se retrouver dans les personnages.

J’aime bien la littérature française, des auteurs comme Philippe Claudel par exemple, mais j’aime aussi la littérature du monde, comme Mario Vargas Llosa et Gabriel García Márquez, l’auteur del’Automne du patriarche.

Très modestement, je me nourris de toutes ces influences, parce que je lis tous les jours. Il y a un auteur que j’ai découvert récemment, Pesoa, ses fragments, The Book of Disquiet ; c’est extrêmement déprimant – il a compris que la vie est une tragédie, il refuse des compromis – mais il y a une grande poésie à ses textes.

Mon quartier et mon enfance

On se trouve ici [à Beau-Bassin] dans le district de Plaines Wilhems, un quartier résidentiel multiculturel, assez idéal, paisible, avec peu de magasins, une douceur de vie.

Quand j’étais petit, le samedi, mes cousins et cousines les Ghanty venaient chez moi et on se rendait à Curepipe. C’était la grande balade à Prisunic, qui à l’époque il nous paraissait immense ; c’était une vraie aventure. Ensuite on se rendait à la librairie Alouette et Le Trèfle pour acheter des livres. Enfant, on peut vivre intensément le bonheur sans se poser trop de questions. Ces samedis-là étaient merveilleux…

L’Île Maurice est une île assez paradoxale. Je suis musulman. Les enfants sont encore innocents : mon fils est ami avec tout le monde. Il n’y a pas encore de communautés pour lui. Après, il y a ces ghettos. J’étais musulman dans une école catholique… Petit, on allait au-delà de ces cloisonnements. On a tendance à le perdre après. C’est une société où il y a pas mal de divisions.

Mon œuvre

Mon écriture poétique est une tentative de résoudre un certain nombre de contradictions. Les Pensées de Pascal me reviennent : nous vivons dans un monde infini. On vit dans l’action, on se crée, mais on vit dans le néant. Le décor, c’est le néant. Comment réconcilier ce désir de vivre et le néant ? J’essaie d’exprimer ce paradoxe.

J’ai parlé de Le Clezio et L’inconnu sur la terre. L’auteur nous éveille au réel. Thématique du mystique et du soufisme. Finalement, le réel est assez extraordinaire. Il y a la beauté inouïe du monde et en même temps le monde est assez affreux, il y a beaucoup de gens qui souffrent. Ce sont peut-être des clichés, mais je pense exprimer ce paradoxe dans ma poésie.

Par exemple, il y a un film que j’aime, Red Line, un film qui parle de guerre : une guerre dans un cadre idyllique où le cinéaste nous renvoie constamment à la beauté du monde et à la souffrance des êtres. Comment réconcilier ce paradoxe ? Je n’ai pas les réponses à cette question…

Écrire, c’est une tentative de résoudre cette question. Écrire, c’est avant tout une quête existentielle.

Il y a une autre thématique qui m’intéresse : la question identitaire à Maurice. On a la chance d’évoluer dans une société plurielle. Cela se passe plutôt bien, mais il y a des lieux de fracture… Ce n’est pas toujours évident. On passe à côté de l’Autre. Nous avons un rapport difficile à l’Autre. Il est essentiel de s’enrichir au contact de l’Autre.

L’identité, c’est un lieu d’ancrage et un lieu de dépassement.

Ce lieu d’ancrage doit me permettre d’aller à la rencontre de l’Autre, de faire preuve d’empathie, essayer de comprendre l’Autre. Cela signifie connaître sa culture. À Maurice, on reste confiné dans les ghettos de l’esprit, parce qu’on est en contact avec l’Autre, mais on reste hypocrite à la limite. C’est un problème assez grave si on considère d’autres pays, par exemple, Israël où il y a un refus de l’Autre. À Maurice, il y a une difficulté à accepter, il me semble, la différence. Ce que je dis dans ma poésie, c’est d’aller au-delà de cela.

Notre société est obsédée par les apparences. Je dis pour rire que l’Ile Maurice, c’est l’île des fous et des mégalomanes ; peut-être que ce n’est pas faux ! Culte des apparences, le besoin de mépriser l’Autre, à cause de sa peau ou parce qu’il n’a pas réussi. Nous sommes une société du mépris. Je pense qu’il y a un discours où l’on blâme les Autres parce qu’ils sont différents de nous. Nous ne faisons pas l’effort de la complexité dans les relations à l’Autre. Il faut comprendre l’Autre avant de procéder à une caricature ; c’est ce que j’ai essayé de dire dans mon écriture.

Je suis possédé, d’une certaine façon : j’aime les mots, j’aime l’écriture. Parfois je lis un texte et j’ai envie de pleurer parce que c’est trop beau.

Il y a une citation de Kafka que j’aime : « la littérature est une hache qui brise la mer gelée en deux » [« Un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous »]…. C’est une hache qui me brise un deux, en dix….

J’aimerais aller au bout de ce que je peux faire. Je suis hanté par l’écriture, peut-être la sensibilité poétique, je ne sais pas. C’est une aventure poétique. Pour moi la littérature c’était pour les autres… J’ai publié quelques textes dans L’Express, un journal local, quelques recueils… et puis je me suis dit qu’effectivement ce n’est pas si mal que ça. Je ne sais pas où sont les limites. Maintenant j’en suis au stade où je me dis : il y a un petit quelque chose, il y a comme une petite étincelle.

L’écriture ? c’est essayer de transmuer le torrent de mots, au fond, qui m’habite, un océan qui est là et il faut en parler, il faut l’écrire, il faut l’évacuer….

La souffrance de l’artiste mauricien : personne ne le comprend. Il est plus simple d’être un comptable. À Maurice, être artiste, c’est un peu bizarre. Ce type de conversation est assez inconcevable avec mes compatriotes. Acheter, c’est dans l’utopie. J’aimerais bien entendre cette question : ton livre parle de quoi ?

Au fond, vous êtes confiné dans cette solitude. Ici, vous êtes un peu comme un extraterrestre, vous n’existez pas vraiment, vous êtes un fantôme. C’est assez pénible. Il y a le SMIC quand même l’auteur. On vit passionnément son écriture, mais au bout du compte il n’y a rien, c’est chercher le miroir de l’Autre, pas parce qu’on est narcissique, mais parce qu’on l’attend de l’Autre.

L’Insularité

Je suis insulaire sans l’être tout à fait. Cette île m’influence et influence mon écriture. Il y a un sentiment d’étouffement, parce que c’est une île minuscule. Ce que j’écris découle de cette expérience insulaire. Mon imaginaire s’enrichit de nombreuses choses : je suis inscrit ici, mais en même temps mon imaginaire voyage constamment, je suis de l’île sans l’être tout à fait. Mon écriture est assez narcissique : mon souci principal en écrivant, c’est d’arriver à me comprendre, à mieux me cerner.

L’insularité c’est déjà moi, je vis en moi, j’écris ce que je suis.

Il y a l’insularité parce qu’on vit dans une île, mais il y a aussi l’insularité de mon être. Un roman, cela veut dire qu’il faut parler beaucoup des Autres… j’ai écrit un roman, mais cela parle beaucoup de moi au fond. C’est peut-être cela mon insularité.


Umar Timol

Timol, Umar. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Beau-Bassin (2009). 26 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 1er juin 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 23 mars 2010 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Anjanita Mahadoo.
Notes de transcription : Ashwiny O. Kistnareddy.

© 2010 Île en île


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mis en ligne : 23 mars 2010 ; mis à jour : 26 octobre 2020