Évariste Parny

Évariste Parny

Évarist Parmy (1753-1814) 
Banque d’images, BnF

Né à Saint-Paul, Île Bourbon (La Réunion), le 6 février 1753, éduqué à Rennes et à Paris, le Chevalier Évariste-Désiré de Forges-Parny devient le poète le plus en vogue de la période préromantique. Sainte-Beuve, qui le qualifie de « maître », lui consacre un de ses Portraits contemporains en 1844 et explique que ce poète créole « a occupé une grande place dans la littérature de son siècle » (118). Élu à l’Académie française en 1803, Parny meurt le 5 décembre 1814 à Paris, isolé, déchu et aigri. Son influence littéraire reste aussi réelle que diffuse et mal comprise pendant deux siècles. Aujourd’hui sa renommée n’est plus à faire, dans son île natale comme en critique littéraire, grâce en grande partie aux travaux de Catriona Seth dont la thèse (1995) et la magistrale biographie Évariste Parny, 1753-1814 : Créole, révolutionnaire, académicien (2014) attestent que Parny est bien « le plus grand poète français du tournant des Lumières ».

Évariste est le petit-fils de Pierre Parny qui s’engage comme domestique en 1698 au service du nouveau gouverneur de l’Île Bourbon mandaté par Louis XIV, Jacques de La Cour de Saulais. Boulanger d’origine bourguignonne, l’ambitieux Pierre obtient une concession à Saint-Paul, acquiert des esclaves qu’il maltraite « jusqu’à la barbarie » selon Antoine Boucher, le futur gouverneur de l’île qui est alors propriété de la Compagnie Française des Indes. Pierre exploite avec succès une grande plantation de café et s’intègre rapidement à la classe dominante de la colonie, assurant ainsi l’avancement de sa famille. Il achète le titre « de Forges » et envoie ses fils étudier en France. Ce n’est qu’en 1780 que la famille Parny reçoit par décret officiel du Parlement de Paris le titre aristocratique « de Forges de Parny », titre qu’Évariste va refuser de porter après la Révolution, au vu de ses convictions intimes et de ses activités de fonctionnaire au service de la jeune République.

Brilliant élève, Évariste étudie latin et grec, littérature et musique, mathématiques, philosophie et théologie au Collège de Rennes. En 1767, il obtient un prix de versification. Il se destine au clergé et en 1771, il entre au séminaire de Saint-Firmin à Paris. Mais l’hypocrisie ambiante le dégoûte et va plus tard inspirer ses dernières œuvres satiriques, sources de sévères critiques de la part de ceux qui, comme Chateaubriand, l’admirent et imitent ses Élégies mais rejettent son anticléricalisme. Parny quitte Saint-Firmin après seulement six mois, et rejoint ses frères dans les Gendarmes de la Garde du roi, corps d’élite qui lui accorde beaucoup de loisirs. Il fréquente les salons littéraires parisiens et participe à L’Ordre de la Caserne dont plusieurs membres sont d’Outremer comme lui : jeunes épicuriens, érudits et mondains, militaires et écrivains, leur cercle comprenait aussi plusieurs femmes comme les célèbres sœurs Sentuary également nées à Bourbon, tou·s·tes uni·e·s par l’amitié, la passion pour les arts, et la recherche du plaisir.

Bientôt rappelé à ses devoirs militaires et familiaux, Parny s’embarque en mai 1773 à L’Orient (Lorient aujourd’hui) pour rentrer servir dans les troupes militaires de Bourbon. La traversée durera plus d’un an et demi, avec escales à Rio de Janeiro, au Cap de Bonne Espérance, et à Port- Louis, Île de France (Maurice aujourd’hui). Il a à peine vingt ans et passe deux années formatrices à Bourbon, où il tombe amoureux de la jeune Créole Esther Lelièvre, à qui il donne des leçons de musique et qu’il immortalisera sous le nom d’Éléonore. Cet amour nourrit sincérité et lyrisme et assure le succès immédiat de ses Poésies érotiques publiées à Paris en 1778, où il renouvelle une forme poétique négligée par les écrivains des Lumières. En cela il est le vrai précurseur de Lamartine et surtout Baudelaire (Lionnet 2017) :

Déjà la nuit s’avance, et du sombre orient
Ses voiles par degrés dans les airs se déploient. […]
Un long calme succède au tumulte des sens (Souvenir)

Et si je cesse de t’aimer
Crois que j’aurai cessé de vivre (Élégie XIII)

Il redécouvre aussi les paysages tropicaux de sa petite enfance, et comme l’explique Prosper Ève, éminent historien de l’esclavage à La Réunion, il se porte témoin accablé et accablant du « spectacle des outrances de la société bourbonaise » (10-11 n.4). Plus tard, il sera envoyé en mission en Inde, et passera plusieurs mois sur la côte de Coromandel et à Pondichéry. Grâce à ces voyages dans diverses régions des empires coloniaux français, hollandais, portuguais et anglais, il prend connaissance des visages variés du colonialisme européen. Il apprécie les mérites réels de la différence culturelle mais témoigne aussi de l’universalité des préjugés humains sous tous les ciels. Il prend en horreur les guerres de conquête. Ces expériences font de lui le premier vrai écrivain-monde de langue française, celui qui comme Montaigne croit au relativisme et se montre sceptique de la supériorité présumée de l’Europe. Esprit frondeur et libre penseur, il ne participe pas activement à la Révolution, mais dénonce déjà les injustices profondes faites aux peuples qu’il apprend à apprécier, comme dans cette lettre de 1785 envoyé de Pondichéry à son frère :

Ce monde si souvent troublé
Par la politique étrangère,
Ce monde toujours désolé
Par l’Européen sanguinaire,
Sous les maux qu’y laissa la guerre
Gémira longtemps accablé.

Poète lyrique, sensuel et romantique, il chante Éléonore et exprime avec justesse la découverte de l’amour et l’éveil des sens ; mais, critique acerbe et ironique de l’oppression et de la mise en hiérarchie des cultures du monde, il sait aussi tourner en dérision les illusions de l’universalisme culturel, comme dans le long poème Le Voyage de Céline (1806). Son épopée philosophique et satirique, La guerre des dieux anciens et modernes (1799), assure sa notoriété. Elle est citée tant par G.H.W. Hegel dans son Esthétique que par Flaubert dans Madame Bovary. Elle cause scandale dans les milieux conservateurs Parisiens et Sainte-Beuve regrettera cette virulente attaque du Christianisme ; il taxe l’œuvre de « grand crime » de Parny. Celui-ci y est bien disciple de l’anticlérical Voltaire, qui admirait son talent lyrique et comparait ses élégies amoureuses à celles du poète latin Tibulle. Parny influence également le poète russe métis et romantique Pouchkine qui le cite avec admiration et apprécie sa critique des préjugés de race.

L’œuvre de Parny porte certes les marques de son éducation poétique classique et de l’approche des droits humains ancrée dans la philosophie des Lumières. Mais sa sensibilité indianocéane est aussi nourrie par la poésie traditionnelle malgache et les conventions thématiques et formelles des hain-teny (Rakotobe-d’Alberto). Ayant grandi entouré par les esclaves de sa famille, dont la plupart étaient d’origine malgache, y compris la nounou qui l’a sans doute accompagné en France lorsqu’il est envoyé à l’âge de neuf ans au pensionnat de Rennes (c’était alors la coutume chez les Créoles blancs fortunés de voyager avec leurs esclaves-serviteurs). Il a donc été bercé par la tradition orale malgache qui laisse des traces dans ses Chansons madécasses de 1787. Long poème en prose, dont trois mouvements sont mis en musique par Ravel en 1925, cette œuvre figure toujours au répertoire des meilleures sopranes contemporaines (telles l’Américaine Jessye Norman ou la Tchèque Magdalena Kožená). Parny y met en garde le peuple malgache contre les envahisseurs Européens, et les vers qui ouvrent la Chanson V, « Méfiez-vous des blancs, habitants du rivage », firent scandale sur scène à Paris en 1926. Anti- et post-colonial avant la lettre, Parny représente le meilleur de l’esprit des Lumières, mais sa perspective est avant tout celle d’un poète de grand talent et d’un penseur dont l’altérité créole le marginalise par rapport aux voix critiques de l’élite parisienne. Les descriptions que donnent de lui Chateaubriand et Sainte-Beuve révèlent les formes subtiles de dévaluation ethnique et culturelle de ses succès, ce dont il était bien conscient. Sa force a été de savoir adroitement railler les préjugés dont sont affublés les écrivains racialisés, et d’ouvrir de nouvelles pistes pour des auteurs comme Aimé Césaire et Ananda Devi.

– Françoise Lionnet

Présentation d’Évariste Parny adaptée pour Île en île par Françoise Lionnet de ses recherches publiées dans les articles et éditions notés ci-dessous. 


Oeuvres principales:

Poésie et prose:

  • Épître aux insurgents de Boston, pamphlet. Paris: sne, 1777.
  • Poésies érotiques. Paris: sne (« À l’isle de Bourbon »), 1778.
  • Opuscules poétiques. Amsterdam: sne, 1779.
  • Oeuvres de M. le chevalier de Parny, contenant ses opuscules poétiques et ses poésies érotiques. À l’Isle de Bourbon: Lemarié, 1780.
  • Chansons madécasses, traduites en français, suivies de Poésies fugitives par Évariste Parny. Avec trente vignettes gravées sur bois, en couleurs, par J. E. Laboureur. À Londres et à Paris: Hardouin et Gattey, 1787.
  • Oeuvres complètes du chevalier de Parny. 2 Vols. Paris: Hardouin et Gattey, 1788.
  • La guerre des Dieux. 1799. La Guerre des dieux anciens et modernes, poëme en 10 chants, 2e édition. Paris: Didot, an VII. La guerre des Dieux, poème en dix chants. Paris: Debray, 1808.
  • Goddam, poème en 4 chants. 1804. 3e édition, Paris: Capelle et Renaud, an XII.
  • Porte-feuille volé, contenant: 1. Le paradis perdu, poème en quatre chants; 2. Les déguisements de Vénus, tableaux imités du grec; 3. Les galanteries de la Bible, sermon en vers. Paris: Debray, 1805.
  • Les voyages de Céline, poème. Paris: Debray, 1806.
  • Les Rose-Croix, poème en douze chants. Paris: Renouard et Debray, 1807.
  • Poésies inédites. Paris: Tissot, 1808.
  • Oeuvres d’Evariste Parny. Paris: Debray, 1808, 1812.
  • Oeuvres complètes de Parny. Bruxelles: A. Wahlen, 1824; Bruxelles: J.P. Meline, 1834.
  • Parny. Œuvres complètes, textes présentés et annotés par Gwenaëlle Boucher. 4 vols. Paris: L’Harmattan, 2010. Vol. 1: La Guerre des Dieux, Les Déguisements de Vénus; Vol. 2: Les Galanteries de la Bible, Le Paradis perdu, Goddam, Les Rose-Croix; Vol. 3: Isnel et Asléga, Jamsel, Le Voyage de Céline, Élégies, La Journée champêtre, Le Promontoire de Leucade, Les Fleurs, Les Tableaux, Chansons madécasses; Vol. 4: Mélanges, Opuscules, Lettres, Réponses, Discours de réception à l’Académie française.

Traductions:

in English:

  • Selected Poetry and Prose of Évariste Parny. In English translation with French Text. Translated by Peter Low and Blake Smith. Introduction and edited by Françoise Lionnet.  New York: The Modern Language Association, 2018.

Sur l’oeuvre d’Évariste Parny:

  • Boucher, Antoine. Mémoire pour servir à la connaissance particulière de chacun des habitans de l’Isle Bourbon. 1710. Texte établi et présenté parJean Barassin. Aix-en-Provence: Association des Chercheurs de l’Océan Indien et Institut d’Histoire des Pays d’Outre-mer, 1978.
  • Boucher, Gwenaëlle, anthologie présentée par. Poètes créoles du XVIIIe siècle: Parny, Bertin, Léonard. Vol. 1. Paris: L’Harmattan, 2009.
  • Chateaubriand, François-René. Essai sur les révolutions anciennes et modernes. Œuvres complètes de Chateaubriand, Vol. 1. Paris: Garnier, 1861.
  • Ève, Prosper. Les esclaves de Bourbon. La mer et la montagne. Saint-Denis: Presses universitaires de La Réunion, 2003.
  • Lionnet, Françoise. « Creole (Creolization) ». Wiley Blackwell Encyclopedia of Race Ethnicity and Nationalisms. Vol. 1. Oxford: Blackwell, 2016: 494-97.
  • Lionnet, Françoise. « Worlding Baudelaire: Geography, Genre, and Translation ». Approaches to Teaching Charles Baudelaire’s Prose Poems, edited by Cheryl Krueger. New York: Modern Language Association, 2017: 128-38.
  • Lionnet, Françoise. « Introduction ». Selected Poetry and Prose of Évariste Parny. In English translation with French Text. Translated by Peter Low and Blake Smith. Introduction and edited by Françoise Lionnet.  New York: The Modern Language Association, 2018.
  • Meitinger, Serge. « Les Chansons madécasses de Parny: Exotisme et libération de la forme poétique ». L’exotisme, sous la direction d’Alain Buisine et Norbert Dodille. Paris: Didier Érudition, 1988: 294-304.
  • Moore, Fabienne. Prose Poems of the French Enlightenment: Delimiting Genre. Farnham (UK): Ashgate Publishing, 2009.
  • Racault, Jean-Michel. « ‘Méfiez-vous des blancs, habitants du rivage’: Anticolonialisme et intertextualité dans les Chansons madécasses de Parny ». Apprendre à porter sa vue au loin, sous la direction de Sylvaine Albertan-Coppola. Lyon: ENS Éditions, 2009: 295–310.
  • Rakotobe-d’Alberto, Noro. « L’univers culturel malgache dans les Chansons madécasses d’Evariste Parny ». Lumières et océan Indien: Bernardin de St-Pierre, Évariste Parny, Antoine de Bertin, sous la direction de Chantale Meure et Guilhem Armand. Paris: Classiques Garnier, 2017: 67-84.
  • Sainte-Beuve, Charles-Augustin. « Poètes et romanciers modernes de la France – L. Parny ». Revue des deux-mondes 8 (1844): 816-43.
  • Sainte-Beuve, Charles-Augustin. Portraits contemporains. Vol. 4. Paris: Calmann-Lévy, 1889.
  • Seth, Catriona. « Les Chansons madécasses de Parny : une poésie des origines aux origines du poème en prose ». Aux origines du poème en prose : la prose poétique, sous la direction de Nathalie Vincent-Munnia, Paris, Champion, 2003: 448-457.
  • Seth, Catriona. Evariste Parny, 1753-1814 : Créole, révolutionnaire, académicien. Paris: Hermann, 2014.

Liens:

ailleurs sur le web:


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Dossier Évariste Parny préparé par Françoise Lionnet

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mis en ligne : 3 janvier 2021 ; mis à jour : 3 janvier 2021