Galerie Monnin, Wilson Bigaud

Raras de Wilson Bigaud (1972) collection de Michel Monnin, photo de Bill Bollendorf

Raras de Wilson Bigaud (1972)
collection de Michel Monnin, photo de Bill Bollendorf

Wilson Bigaud est né à Port-au-Prince en janvier 1928. En 1945, âgé de dix-sept ans, il est l’un des premiers à s’inscrire au Centre d’Art qui vient d’ouvrir et il commence à peindre sous la direction du professeur Borno. Tout de suite, il devient un chef de file de cette jeune peinture haïtienne qui s’affirme et, à l’égal de Hector Hyppolite, Philomé et Sénèque Obin, Préfète Duffaut, Castera Bazile, etc…, il contribue au renom croissant de l’art haïtien à l’étranger. Il obtient trois premiers prix dans le cadre d’expositions organisées par le Centre d’Art et le Foyer des Arts Plastiques. Sa toile intitulée « Paradis » remporte le deuxième prix en 1950 lors d’une exposition internationale à Washington. Ce tableau est actuellement la propriété du Modern Art Museum de New York. Pour des raisons de santé, il cesse néanmoins de peindre pendant plus de dix ans, jusqu’en 1962…     Pour certains, Wilson Bigaud n’est qu’un passé que l’on retrouve sur les murs de l’Église Épiscopale de Port-au-Prince, au Musée de l’Art Moderne à New York, au Musée de l’Art Haïtien du Champ de Mars et dans les grandes collections étrangères; passé jonché de « paradis terrestres », « d’enfers », de « jardins merveilleux » et d’autres sujets considérés comme typiques de l’art naïf pictural haïtien. Si dans ce domaine, Bigaud n’a rien à envier à un Jasmin Joseph, Philippe Auguste, André Normil, c’est pourtant grâce à ses peintures décrivant la vie de tous les jours qu’il passera à la postérité, à sa chaleur aussi, à son humour et à son exubérance qui font qu’Haïti est unique dans la Caraïbe. On sent chez Bigaud l’amour charnel de sa patrie et de ses frères. Il est aussi cet observateur impartial à qui ne peuvent échapper l’ironie et la saveur des tribulations de la vie quotidienne.

Dans une cinquantaine d’années, c’est très certainement dans les toiles de Bigaud que l’on retrouvera l’Haïti de notre époque. Son oeuvre est une fresque magistrale et saisissante, une chronique savoureuse qui évoque tour à tour la campagne et la ville. C’est le témoignage attentif et sincère d’un artiste lucide qui regarde vivre en laissant vivre, qui nous raconte son pays, tantôt en paysan, tantôt en citadin, mais toujours en toute simplicité. Jamais, il ne cherche à atténuer la férocité des contrastes et inégalités qui sont monnaie courante en cette terre de soleil, de sourires et de soupirs.

Bigaud, c’est une encyclopédie de la vie haïtienne. Tout est passé en revue:

  • la végétation tropicale, la faune, la culture des champs, le déboisement, la coumbite et le repas en commun;
  • la caille du paysan, les villages, les villes, la marchande d’oranges, de griots, le spéculateur en café, le boutiquier, le cireur de souliers;
  • les ravages du transistor en province, les installations électriques et hydrauliques dans les rues, dans les maisons;
  • les bienfaits du ventilateur électrique, du réfrigérateur à kérosène, de la lampe à gaz, les têtes bobêche et les lampes à huile;
  • la pêche, la chasse, la plage, l’étal du boucher, l’abattoir, le dispensaire, l’Église, les bars, les bals, les bagarres, l’hôpital, les bordels, les parties de dés, de cartes, les fêtes paroissiales;
  • le curé, le gendarme, le houngan, l’autorité, les protestants, les francs-maçons, les trembleurs, le humfort, les Témoins de Jéhova, l’initiation des hounsis, le baptême, la première communion, le mariage, le mariage gâté, le mariage en voiture, à pied, à cheval;
  • les lavandières, les tafiateurs, les amis, les bourgeois, les mendiants, les chiens, les avions, le port;
  • les ânes, le carnaval, le Palais National, les rues, la danse, les marchés, les jeux des enfants, les cabris, les tchoules, les maoulés;
  • la Fête-Dieu, la visite au Houngan, le débit de clairin, l’arrestation des voleurs, la veillée funèbre, l’enterrement, le chant du coq, la gaguère, le joueur de banjo, les souris et les rats;
  • les petits matins, la préparation de la cassave, les raras, les tambours et les vaccines;
  • la souffrance, la laideur, la misère, les richesses, la vanité et la vanité des choses, la beauté et la joie.

     Bigaud aime à se promener dans la campagne, son bâton à la main, son chapeau de paille sur la tête, allant par les sentiers escarpés, d’un village à un hameau, d’une commère à un compère, palabrant gentiment, faisant provision d’oxygène et d’images, d’attitudes et de gestes, d’anecdotes et de tripotages. De retour chez lui, soucieux de ne rien oublier, il fait des croquis, dessine et peint, avide de fixer sur la toile à jamais, l’expérience toute fraîche d’un jour qui s’efface…

– Michel Monnin, carnets écrits entre 1975 et 1979 (inédits)


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mis en ligne : 1 octobre 2002 ; mis à jour : 16 octobre 2020