Vinod Rughoonundun, 5 Questions pour Île en île


Le poète et nouvelliste Vinod Rughoonundun répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 26 minutes réalisé à Quatre Bornes (Île Maurice) le 20 juin 2009 par Thomas C. Spear.
Caméra : Anjanita Mahadoo.

Notes de transcription (ci-dessous) : Lucie Tripon.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Vinod Rughoonundun.

début – Mes influences
04:56 – Mon quartier
09:10 – Mon enfance
17:14 – Mon oeuvre
22:30 – L’insularité


Mes influences

Lorsque j’étais gamin, l’institutrice à l’école primaire m’avait demandé de ranger un placard et j’y ai volé un livre.

« Ma première lecture était celle d’un livre volé. »

Il n’y avait pas beaucoup de livres à la maison, je fréquentais la bibliothèque. J’ai lu les classiques. Le premier auteur qui m’a marqué, c’est un peu Victor Hugo, mais j’ai beaucoup aimé Baudelaire et Apollinaire et surtout Keats dont les mots sont brillants de luminosité à travers les petits détails.

Enfant, je lisais très tard, jusqu’à pas d’heure à l’aide d’une torche sous ma couverture pour ne pas me faire prendre par mes parents. J’ai lu Tagore, Dostoïevski, des auteurs mauriciens dont les livres étaient disponibles, ce qui n’était pas beaucoup le cas à l’époque à Maurice. J’ai découvert l’existence d’Édouard Maunick comme poète dans une librairie de Curepipe où je trainassais le midi. Dans la vitrine était exposée l’anthologie de la poésie de Maunick dans l’édition de Pierre Seghers. Je la voulais. J’ai économisé mon argent et acheté ce livre dans lequel j’ai découvert l’écriture d’Édouard Maunick par les extraits dans l’anthologie.

J’habitais à Belle Rose. Un matin, je partis acheter du sucre dans une boutique de quartier. Le vendeur arracha une feuille de papier pour en faire un cornet et y mettre le sucre. Je m’aperçus que c’était une page de la revue Essor qui servait d’emballage. Les gens n’avaient pas connaissance de la valeur de ce type de revue.

« J’essayais de m’intégrer dans la mouvance littéraire mauricienne, de suivre le parcours de ceux qui étaient avant moi. Ce que je voulais avant tout, c’était écrire aussi bien que possible et comme eux. »

Mon quartier

Je me suis installé à Paris, il y a plus d’une quinzaine d’années.

« Lorsque je raconte, que j’écris, mon imaginaire se situe à Maurice. Il y a un va et vient permanent entre Paris et Maurice. »

Dans mon recueil de nouvelles Daïnes et autres chroniques de la mort, je parle uniquement de Maurice.

L’ivrogne Kikolo, je l’ai imaginé ici dans ce quartier. Il y avait à l’époque un enseignant qui a sombré dans l’alcoolisme. Il se tenait de temps en temps debout devant le temple. Cette image m’a fait imaginer le personnage de Kikolo.

Dans la nouvelle « Daïnes », quand je parle de ces jeunes garçons qui vont voir les Daïnes faire leurs simagrées au buché funéraire, c’est qu’il existait auparavant à Trianon, pas très loin de Saint-Jean, un endroit où on brûlait les corps.

Pour « Prémila, la protégée des dieux », je me suis inspiré d’une de mes cousines que j’avais vue de passage à Maurice lors du décès d’un oncle. Elle a eu une vie très difficile et, je ne sais pas si elle avait une relation privilégiée avec lui, mais je l’ai inventée.

« L’imaginaire part toujours d’un petit détail, d’une réalité rencontrée quelque part. »

Quand j’écris des textes poétiques, c’est un mélange de sensations amassées ici comme à Paris.

« Je travaille beaucoup la nuit, et souvent la nuit, le bruit des voitures me fait penser à la rumeur de la mer. »

Mon enfance

Ma mère s’étonne que j’aie tant de souvenirs. Alors que je n’avais pas trois ans, je me rappelle d’un voyage que l’on avait fait la nuit, suite au décès de ma grand-mère paternelle. Ce sont des flashs.

Je me rappelle du jour de la naissance de ma dernière sœur ; avec ma sœur ainée, on jouait ensemble dans la cour sous un manguier. À l’époque, je fréquentais l’école payée, pas une véritable maternelle à l’époque mais dans le temps à Maurice il y avait beaucoup de ces maternelles privées où on apprenait à lire et écrire.

Je n’aimais pas du tout aller à l’école. Nous habitions à Quartier Militaire, dans un logement de fonction car mon père était policier. La maison était située dans un tournant et l’école payée était juste en face. Je traversais la moitié de la rue, m’asseyais au milieu et commençais à gueuler comme un putois pour montrer combien je ne voulais pas y aller.

« Je me souviens que j’étais un mauvais gamin, pas obéissant comme élève. J’aimais beaucoup ma liberté et je faisais souvent l’école buissonnière. J’allais traîner à Curepipe, au Trou-aux-Cerfs. J’allais beaucoup au cinéma en séance de matinée. C’était toute l’ouverture sur le monde, c’est très important dans une île. »

Il n’y avait pas grand chose à la télévision à l’époque, il n’y avait que les livres et le cinéma pour savoir ce qui était ailleurs.

Mon souvenir le plus précieux est celui d’un soir où je prends mon vélo de Belle Rose pour aller écouter la conférence qu’un de mes professeurs de littérature française Guy Runghen devait donner sur Apollinaire à l’Alliance Française qui se situait, à l’époque, à Quatre-Bornes.

Dès le lendemain, à la bibliothèque du collège, j’emprunte des bouquins d’Apollinaire. Une semaine plus tard, je rends visite chez lui ; j’avais trouvé son adresse dans le bottin. Je frappe, son père m’ouvre. Guy Runghen arrive, « Ah, c’est toi ! Allez, entre. » On va dans sa chambre et je lui expose l’objet de ma visite ; lire sa thèse sur Apollinaire. Il est étonné ; j’avais 15 ans. Il me répond qu’il n’a qu’un seul exemplaire de son manuscrit, mais il me le prête. J’ai relu plusieurs fois le manuscrit que je n’ai pas beaucoup compris. J’ai apprécié ce geste et cette confiance.

Souvent quand je reviens à Maurice, je vais le voir ; il a compté dans mon parcours d’apprentissage. Un jour chez lui, les mains qui tremblent, il me donne des feuilles de papier sur lesquels il avait écrit, et me dit : « Vinod, qu’en penses-tu ? » Je lui réponds, « C’est toi qui m’as formé, comment puis-je te donner mon avis ? ». Et il me dit que parfois l’élève dépasse le maître… Guy Runghen est un jalon extrêmement important pour moi.

Mon œuvre

Depuis Daïnes et autres chroniques de la mort, je n’ai pas publié en mon nom, mais j’ai collaboré à des parutions collectives, magazines et revues.

« L’œuvre qui m’a fait connaître, la première publication c’est Mémoires d’étoile de mer qui tout de suite a eu un succès et qui a dormi dans mon tiroir des années, car je n’étais pas sûr si c’était valable littérairement parlant. C’est Brigitte Masson, de la maison d’édition mauricienne La Maison des Mécènes qui l’a lu, fait lire et décidé que mon manuscrit était publiable. Ma vie d’écrivain a démarré. »

« Après il y a eu La saison des mots qui a été très apprécié, et plus tard Chair de toi, la première fresque poétique parlant d’érotisme. On cultive à Maurice une certaine bigoterie et une grande hypocrisie par rapport à l’érotisme, la sensualité et la sexualité. Je voulais rentrer un peu dans le lard par rapport à tout ça et dire qu’il n’y a rien de malsain. »

On m’avait coincé dans l’image du poète. J’ai décidé de tâter de la prose, et c’est à partir de là qu’est sortie me recueil de nouvelles, Daïnes et autres chroniques de la mort. Depuis, j’ai été publié de façon variée.

Je travaille en ce moment sur un texte, il me manque trois ou quatre pages pour le terminer. J’attends le bon moment pour terminer ce texte qui se passe pour partie à Maurice et l’autre à Paris. Le thème est l’homosexualité féminine ; un énorme tabou dans la société mauricienne. Je crois que temps est venu de bousculer les pensées bien assises et bigotes.

L’Insularité

L’insularité est à fois ouverture et fermeture.

Lorsqu’on est face à la mer, on est le dos à l’océan, lorsqu’on est face à la terre, derrière, il n’y a que de l’eau et une terre si petite.

« Moi, souvent lorsque je parle de Maurice, je parle de caillou sur mer. »

« L’insularité m’a énormément marqué. Dans Mémoire d’Étoile de Mer, je ne parle que de la mer, de toute la richesse, du jeu du flux et du reflux de la pensée. On est enfermé dans une pensée, dans une île, dans un système de pensée de l’île qu’on ne peut pas remettre en question. Chose que je refuse, je crois en l’être humain et en la liberté de pensée. »

Nous avons le droit d’être libre. Si l’on plante un palmier dans un pot, il grandira dans les limites du pot, mais si on le met en terre, alors il grandira normalement.

« Maurice est ce pot. L’ouverture, on peut la rêver ailleurs. Il n’y a que ça qui reste ; qu’est-ce qu’il y a de l’autre côté de l’horizon, de l’océan ? là, l’imaginaire s’en va et s’épanouit. »

En France, je peux aller en week-end en Bretagne, à Lorient, à Caen, Nice ou encore Bordeaux. À Maurice, je dois prendre l’avion pour aller à Rodrigue ou à La Réunion, ce qui prend plus qu’un week-end.

« Il y a une identité insulaire au niveau de la littérature mauricienne et heureusement. Je ne vois pas l’intérêt d’écrire comme le ferait un de Bonnefoy ou un Giono. Notre identité culturelle et littéraire est en train de se faire actuellement et c’est grâce aux artistes – ce ne sont pas les politiques – qui créent cette identité mauricienne, notre histoire étant trop jeune pour que l’identité soit déjà assise. »


Vinod Rughoonundun

Rughoonundun, Vinod. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Quatre Bornes (2009). 26 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 25 mai 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 3 mars 2010 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Anjanita Mahadoo.
Notes de transcription : Lucie Tripon.

© 2010 Île en île


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mis en ligne : 3 mars 2010 ; mis à jour : 26 octobre 2020