Vairaumati no Ra’iatea, Un extrait d’Arioi

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L’héroïne découvre les Arioi, les acteurs venus donner leurs représentations à Maupiti.

Je suis née à Maupiti dans les Iles de la Grande Alliance. Et quand commence mon histoire, j’avais l’âge où une jeune fille peut recevoir ses premiers tatouages. Je rêvais de tatouages bleu-océan sur mes mains et mes pieds, comme en ont nos princesses. Mais je savais que je ne devais rien attendre et cela, véritablement, ne me donnait aucun chagrin puisque je savais que je n’y avais pas droit. Nous les Manahune [1], nous sommes la pourriture de la terre et nous le savons. C’est pourquoi nous nous entendons si bien avec la terre, nous savons la faire produire, nous connaissons quand vient le temps d’arracher le taro [2] ou de planter un maiore [3] nouveau. Et la terre nous aime. Elle est la seule à nous aimer. Personne ne nous donne comme elle les moyens de nous protéger. Jusqu’aux sommets, elle a enchevêtré les plantes et les arbres. Leurs racines enjambent des précipices, leurs troncs servent d’échelles et leurs feuillages cachent les entrées des grottes. Qu’une condamnation à mort soit annoncée, et nous filons, nous, les Manahune de Maupiti, derrière ces amis protecteurs.

Le jour où mon histoire commence, j’étais cachée aussi; mais les racines étaient des jambes d’hommes et de femmes, les arbres, des corps humains, et les feuillages, de longs cheveux aux odeurs de mono’i [4], les tiges, des bras et des doigts s’agitant au-dessus de têtes tant ils étaient heureux.

Cachée! Toute petite, tout aplatie, le ventre à même le sol, tout le corps allongé, et sous mon menton, mes deux poings. Du fond de l’assistance où on m’avait relégué au dernier rang parce que Manahune, j’étais née, Manahune je devais rester par la volonté de nos dieux. Du fond de la foule qui avait envahi la plage dès qu’on avait su qu’ils arrivaient, je m’étais glissée, rampant comme un margouillat heureux; j’étais passée sous des jambes, j’avais contourné des pieds, j’avais évité les larges derrières étalés sur les pe’ue.[5] On ne m’avait pas remarquée, tout le monde était bien trop excité par leur arrivée. Et moi qui les voyais pour la première fois, même si tous ces corps autour de moi avaient voulu me boucher la vue, j’aurais trouvé des échasses… pour mes yeux, rien que pour mes yeux, les échasses; que mes yeux se réjouissent et encore et encore de la merveille qui nous était arrivée ce jour-là chez nous: une troupe d’Arioi [6] sur son bateau!

Notes:

  1. Le petit peuple.
  2. Un tubercule nourriture de base des anciens Maohi.
  3. L’arbre qui donne les fruits à pain
  4. Une huile extraite du coco et parfumée aux fleurs
  5. Une natte
  6. Troupe d’acteurs et d’artistes aux compétences diverses et qui étaient reliés au culte de Oro, le dieu principal de Taputapuatea, dans l’île de Ra’iatea

Cet extrait est tiré du roman Arioi de Vairaumati no Ra’iatea, publié à Papeete: Au Vent des Iles, 2001, pages 9 et 10.
Il est reproduit sur Île en île avec la permission de l’auteur et de l’éditeur.
© 2001 Vairaumati no Ra’iatea  © 2002 Île en île


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mis en ligne : 8 juin 2002 ; mis à jour : 26 octobre 2020