André Schwarz-Bart

André Schwarz-Bart, photo service de presse des Éditions du Seuil, D.R., vers 1959

photo service de presse des Éditions du Seuil, D.R., vers 1959

André Schwarz-Bart naît le 28 mai 1928 à Metz (France), descendant d’une famille juive polonaise dont la majeure partie a péri dans l’Holocauste. Toute son écriture part de cette Histoire indicible et intraduisible, et explique pourquoi chacun des romans exigeait un long et sinueux parcours. Dans Le Dernier des Justes, l’histoire juive du 12e siècle jusqu’à la Shoah se décline par la chronique familiale des Lévy, patronyme qui réapparaîtra dans le premier roman écrit avec sa femme, Simone Schwarz-Bart. Cette saga juive, de facture classique, se conçoit selon un ordre chronologique, alternant des portraits de personnages tout à fait saisissants, qui ensemble avec les séquences descriptives, nous font mesurer le climat antisémite en Europe. Ainsi, les monologues intérieurs de l’enfant, Ernie Lévy, souffre-douleur des Hitlerjugend, puis de l’adulte qui partira de sa propre volonté au camp de concentration comme « Le Dernier des Justes », ont couronné ce roman du prix Goncourt en 1959. Le succès inespéré du roman propulse le timide autodidacte sur la scène internationale. Accusé de plagiat et selon certains lecteurs juifs, d’une représentation trop victimaire des Juifs, Schwarz-Bart se tourne, grâce à l’incitation de son épouse guadeloupéenne, vers une Histoire tristement semblable, à savoir l’esclavage aux Antilles.

La Mulâtresse Solitude (1972) est un roman historique incomparable dans l’histoire littéraire antillaise : structuré selon l’avant et l’après du Middle Passage, il tisse comme une ligne de démarcation totale entre l’Ancien et le Nouveau Monde, l’abîme océanique y étant comme représenté par une page entièrement vide, coupure totale. Deux volets y opposent la vie de la Diola, Bayangumay, à celle de sa fille, conçue dans un viol lors de la traversée, « l’esclave d’eau douce », Solitude. Schwarz-Bart se base sur les rares traces de l’historiographie pour ré-inventer ce qu’a dû être la vie de la légendaire Solitude. Appartenant à la première génération d’enfants bâtards, elle ne comprend rien aux tourbillons de l’Histoire, aux événements révolutionnaires qui allèrent déboucher sur la première abolition de l’esclavage en Guadeloupe (1794-1802).

Après ces romans, André Schwarz-Bart a choisi le silence, tant les écueils d’une écriture « juste » aux yeux de toute la critique et des lecteurs sont nombreux. Il l’annonce dès Un Plat de porc aux bananes vertes (1967), roman méconnu à cause de son opacité, sa structure éclatée (journal intime à fin ouverte), ses télescopages entre le réel et le rêvé, et qui se termine sur une béance. « La Disparition » (Perec) d’un auteur préoccupé par une écriture excavatrice d’histoires celées, qui briserait les tabous de l’univers de Plantation et accuserait les nombreuses séquelles de l’esclavage comme les marasmes modernes (chômage, globalisation, aliénation) des sociétés départementales ne signifie pas, cependant, une fin d’engagement ou de travail artistique. Les Schwarz-Bart, pour « inclassables qu’ils ne paraissent » (voir Ndiaye), publient ensuite une encyclopédie Hommage à la femme noire en six tomes. Des illustrations et des notices bio-bibliographiques, légendes et proverbes illustrent les femmes noires qui sont restées invisibles et inaudibles dans les annales de l’Histoire, de la Reine de Saba à Harriet Tubman, de Sojourner Truth à Alice Walker, de la Mulâtresse Solitude à la génération de « guerrières de l’imaginaire » contemporaine, dont Simone Schwarz-Bart.

André Schwarz-Bart meurt le 30 septembre 2006 à Pointe-à-Pitre. En plus de son épouse, l’écrivaine Simone Schwarz-Bart, lui survivent deux fils, dont le saxophoniste guadeloupéen-newyorkais, Jacques Schwarz-Bart, très présent dans la presse au moment du décès du père par la sortie de son disque, Soné Ka-La.

Le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres rend hommage à « la poésie lumineuse » et au « message humaniste » de l’écrivain, « un esprit universel, un éclaireur du dialogue des cultures et des civilisations ».

« Écrivain par accident » (d’après Jean-Louis Ezine), André Schwarz-Bart n’aurait jamais, et sans doute ne s’intéresserait nullement pas à avoir, la place d’un Elie Wiesel, d’un Primo Lévy, ou encore d’une Cynthia Ozick, car il a toujours fui la scène médiatique. De plus, selon lui, les deux tragédies (la Shoah et l’esclavage antillais) ne s’excluent pas mutuellement (Scharfman 1994). Ensemble avec d’autres auteurs de la diaspora noire, tels Paule Marshall (voir Meyer), Toni Morrison ou Caryl Phillips, Schwarz-Bart rapproche les deux tragédies et leurs mémoires respectives, une position qui ne va guère en soi. La critique rechigne à l’adopter comme écrivain antillais. Ainsi, dans The Crisis of Identity, Studies in the Guadeloupean and Martiniquan Novel (1985), Frederick Ivor Case observe que le roman La Mulâtresse Solitude aurait dû être écrit par un Antillais (« should have been written by a West Indian »). Bref, il reste de nombreuses réfutations à considérer André Schwarz-Bart comme « écrivain caribéen ». Ce genre de confrontation reste problématique, comme le souligne encore Wendy Zierler dans son article « My Holocaust is not Your Holocaust ».

Depuis Le Dernier des Justes, l’œuvre d’André Schwarz-Bart est traduite dans de nombreuses langues et constamment rééditée dans le monde entier.

– Kathleen Gyssels


Oeuvres principales:

Romans:

  • Le Dernier des Justes. Paris: Seuil, 1959; 1980.
  • Un Plat de porc aux bananes vertes (avec Simone Schwarz-Bart). Paris: Seuil, 1967; 1996.
  • La Mulâtresse Solitude. Paris: Seuil, 1972; 1996.
  • L’Étoile du matin. Paris: Seuil, 2009.
  • L’Ancêtre en Solitude (avec Simone Schwarz-Bart). Paris: Seuil, 2015.
  • Adieu Bogota (avec Simone Schwarz-Bart). Paris: Seuil, 2017.

Essais:

  • Hommage à la femme noire. (six tomes) (avec Simone Schwarz-Bart). Paris: Editions Consulaires, 1989.

Prix et distinctions littéraires:

  • 1959     Prix Goncourt, pour Le Dernier des Justes.
  • 2006     Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.
  • 2008     Prix Carbet de la Caraïbe, à titre posthume, avec sa femme Simone Schwarz-Bart, pour l’ensemble de leur oeuvre.

Sur l’oeuvre d’André Schwarz-Bart:

  • Brahimi, Denise. Appareillages: dix études comparatistes dans la littérature des hommes et des femmes dans le monde arabe et aux Antilles. Paris: Deuxtemps Tierce, 1991: 16-27.
  • Brodwin, Stanley. « History and Martyrological Tragedy: The Jewish Experience in Sholem Asch and André Schwarz-Bart ». Twentieth Century Literature 40.1 (Spring 1994): 72-91.
  • Brodzki, Bella. « Nomadism and the Textualization of Memory in André Schwarz-Bart’s La Mulâtresse Solitude » . Yale French Studies 83.2 (1993): 213-230.
  • Bruner, Charlotte H. « A Caribbean Madness. Half Slave, Half Free ». Canadian Review of Comparative Literature 11 (1984): 236-248.
  • Case, Frederick Ivor. The Crisis of Identity. Studies in the Guadeloupean and Martiniquan Novel. Sherbrooke: Naaman, 1985, chapitre 4.
  • Cox, Timothy J. Postmodern Tales of Slavery in the Americas: from Alejo Carpentier to Charles Johnson. New York: Garland, 2001.
  • Ezine, Jean-Marc. »Naissance et mort d’un mythe: André Schwarz-Bart: le dernier des éléphants ». Le Nouvel Observateur 2002 (16-26 mars 2003): 54.
  • Friedemann, Joë. « Le Dernier des Justes d’André Schwarz-Bart : de l’humour au ricanement des abîmes ». Les Lettres Romanes 42 (février-mai 1988): 97-112.
  • Gyssels Kathleen. « L’identité féminine et l’espace clos dans le roman caribéen: l’œuvre de Simone et André Schwarz-Bart et de Beryl Gilroy ». Canadian Review of Comparative Literature / Revue canadienne de littérature comparée 22.3/4 (1995): 787-801.
  • Gyssels, Kathleen. « Shoah en Slavernij de werken van André Schwarz-Bart ». Alma Mater (Leuven, Belgique) 3 (1996): 337-355.
  • Gyssels, Kathleen. Filles de Solitude. Essai sur l’identité antillaise dans les (auto)-biographies fictives de Simone et André Schwarz-Bart. Paris: L’Harmattan, 1996.
  • Gyssels, Kathleen.  » ‘La négritude face aux Lumières’: les Schwarz-Bart polémiquent contre Voltaire et Rousseau ». Études francophones 8.2 (1998): 29-44.
  • Gyssels, Kathleen. « Writer in Between : de Joods-Antilliaanse André Schwarz-Bart ». Tussenfiguren. Schrijvers tussen de culturen. Leynse Elizabeth, éd. Amsterdam: Het Spinhuis, 1998: 255-274.
  • Gyssels, Kathleen. « (Post-)modernité postcoloniale d’Un plat de porc aux bananes vertes d’André et Simone Schwarz-Bart ». Le roman francophone actuel en Algérie et aux Antilles. Daniëlle De Ruyter-Tognotti et M. Van Strien-Chardonneau, éds. CRIN 34 (Amsterdam: Rodopi, 1998): 85-102.
  • Gyssels Kathleen. « Ethnobiographies and the Slave Narrative Tradition: the Novels of André and Simone Schwarz-Bart ». Anales del Caribe 16-18 (2000): 95-119.
  • Gyssels Kathleen.  » ‘Capitale de la douleur’: Paris dans L’Isolé soleil et Un plat de porc aux bananes vertes » . The French Review 73.6 (2000): 1087-1099.
  • Gyssels, Kathleen. « Du paratexte pictural dans Un plat de porc aux bananes vertes (André et Simone Schwarz-Bart) au paratexte sériel dans Écrire en pays dominé (Patrick Chamoiseau) ». French Literature Series 29 (2002): 197-213.
  • Gyssels, Kathleen. « Caribbean Waves: the Oppressed Language as Language of the Oppressed in Paule Marshall’s Praisesong for the Widow and Simone and André Schwarz-Bart’s Un plat de porc aux bananes vertes » . Bridges Across Chasms. Towards a Transcultural Future in the Caribbean. Bénédicte Ledent, éd. Liège: L3 (Liège Language and Literature), 2004: 185-197.
  • Gyssels, Kathleen. « André Schwarz-Bart, héritage et héritiers dans la diaspora noire ». Pardès 44 (2008): 149-173.
  • Gyssels, Kathleen. « Le marranisme absolu dans l’œuvre d’A. et de S. Schwarz-Bart ». Présence Francophone 79 (2012): 39-62.
  • Hanania, Cécile. « Fonctions de l’anamnèse dans Un plat de porc aux bananes vertes. Syncrétisme et sacrements ». Études Francophones 18.2 (2003): 9-22.
  • Kaufmann, Francine. « Le Dernier des Justes: Genèse, Structure et Signification ». Paris: Université de Paris X, Thèse de 3e cycle, 1976.
  • Kaufmann, Francine. Pour relire « Le Dernier des Justes »: réflexions sur la Shoah. Paris: Méridiens Klincksieck, 1986.
  • Kaufmann, Francine. « L’oeuvre juive et l’oeuvre noire d’André Schwarz-Bart ». Pardès 44 (2008): 135-148.
  • Menton, Seymour. « The Last of the Just: Between Borges and Marquez ». World Literature Today 59 (Autumn 1985), 517-524.
  • Meyer, Adam. « Memory and Identity for Black, White, and Jew in Paule Marshall’s The Chosen Place, the Timeless People » . MELUS 20.3 (Fall 1995): 99-120.
  • Miller, Christopher L. « Trait d’union: Injunction and Dismemberment in Y. Ouologuem’s Le Devoir de Violence » . L’Esprit créateur 23 (Winter 1983): 62-73.
  • Miller, Robert. « Rhétorique et culture dans Un plat de porc aux bananes vertes de Simone et André Schwarz-Bart ». Nouvelles écritures francophones. Vers un nouveau baroque? Jean-Cléo Godin, éd. Montréal: Université de Montréal, 2002: 143-151.
  • Ndiaye, Christiane. « Simone Schwarz-Bart, quel intérêt? Classer l’inclassable ». Présence Francophone 61 (2003): 112-120.
  • Ormerod, Beverley. « Un Plat de porc aux bananes vertes« . Essays in French Literature 8 (1971): 82-93.
  • Petit, Jacques. « La mulâtresse Solitude » . Le Français dans le monde 88 (avril-mai 1972): 44-46.
  • Rampersad, Arnold. « Introduction to A Woman Named Solitude » (pour la traduction en anglais de Ralph Manheim). Berkeley/San Francisco: D.S. Ellis, 1985, vii-xxv.
  • Randall, Marilyn. « Le contexte littéraire et la mauvaise littérature ». La Littérarité. Louise Milot et Fernand Roy, éds. Québec: Presses Universitaires de Laval, 1991: 219-233.
  • Rosello, Mireille. Littérature et identité créole aux Antilles. Paris: Karthala, 1992.
  • Scharfman, Ronnie. « Exiled from the Shoah: André and Simone Schwarz-Bart’s Un plat de porc aux bananes vertes » . Auschwitz and After: Race, Culture, and the ‘Jewish Question in France’. Lawrence D. Kritzman, éd. New York: Routledge, 1994: 250-263.
  • Scharfman, Ronnie. « Towards a Poetics of Hybridity ». Discours sur le métissage. Identités métissées. En quête d’Ariel. Sylvie Kandé, éd. Paris: L’Harmattan, 1999: 191-207.
  • Sellin, Eric. « The Other Voice of Yambo Ouologuem ». Yale French Studies 53 (1976): 137-62.
  • Van Delft, Louis. « Les Écrivains de l’Exode: Une lecture d’André Schwarz-Bart ». Mosaic 7.3 (Spring 1975): 193-205.
  • Weinberg, Henry A. « La mulâtresse Solitude« . The French Review 46 (1972/73): 1072-1073.
  • Wilson, Elizabeth Betty. « History and Memory in Un Plat de Porc aux Bananes vertes and Pluie et Vent sur Télumée Miracle » . Callaloo 15.1 (Winter 1992): 179-189.
  • Zierler, Wendy.  » ‘My Holocaust is not my Holocaust’: ‘Facing’ Black and Jewish Experience in The Pawnbraker, Higher Ground and the Nature of Blood » . Holocaust and Genocide Studies 18.1 (Spring 2004): 46-67.

Traductions:

auf Deutsch:

  • Der Letzte der Gerechten. Trad. Mirjam Josephsohn. Frankfurt am Main: S. Fischer, 1959.
  • Die Mulattin Solitude. Trads. Eva et Gerhard Schewe. Berlin: Volk und Welt, 1975.

in English:

  • The Last of the Just. Trad. Stephen Becker. New York: Atheneum, 1960; Cambridge (Massachusetts): R. Bentley, 1981: Woodstock (New York): Overlook, 2000.
  • A Woman Named Solitude. Trad. Ralph Manheim. New York: Atheneum, 1973; Syracuse (New York): Syracuse University Press, 2001.
  • In Praise of Black Women: Volume 1, Ancient African Queens ; Volume 2, Heroines of the Slavery Era ; Volume 3, Modern African Women ; Volume 4, Modern Women of the Diaspora. Trad. Rose-Myriam Réjouis, Stephanie Daval and Val Vinokurov. Introduction: Howard Dodson. Madison: University of Wisconsin Press, 2001-2004.

en español:

  • El último justo. Trad. Fernando Acevedo. Barcelona: Seix Barral, 1959.
  • Un plato de cierdo con platanos verdes. Trad. Jacinto-Luis Guereña. Madrid: Aguilar, 1970.
  • La mulata Soledad. Trad. Jacinto-Luis Guereña. Madrid: Aguilar, 1973.

in italiano:

  • L’ultimo dei Giusti. Trad. Valerio Riva. Milano: Feltrinelli, 1960; 1993 (4e édition).
  • Un piatto di maiale con banane verdi. Trad. Valerio Riva. Milano: Feltrinelli, 1967.
  • La mulata. Trad. Augusto Donaudy. Milano: Rizoli, 1973.

in het Nederlands:

  • De laatste der rechtvaardigen. Trad. Eveline van Hemert. Utrecht: Bruna, 1960; 1985; 1992; Amsterdam: Meulenhoff, 2003.
  • Een schotel varkensvlees: logboek van een Antilliaanse vrouw. Trad. C.P. Heering-Moorman. Amsterdam: Knipscheer, 1993.
  • Mulattin Solitude. Trad. Eveline van Hemert. Amsterdam: Meulenhoff, 2002.

Liens:

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Dossier André Schwarz-Bart préparé par Kathleen Gyssels

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mis en ligne : 21 octobre 2006 ; mis à jour : 23 avril 2021