René Bélance, « Agave », « Décret », « Berge » et « Trame »

Agave

Je n’ai plus d’amour à glaner
sur le dos des mornes chauves
Juste un peu d’espoir survit
à la glu de l’avalasse
Même un chant d’apocalypse
ne cure la plaie des matins de famine
Mon nez ouvert au rut du hourvari
fait la sourde oreille au bonheur du cleptomane
Mais le départ à la source
vient heurter cette masure sédentaire
de lianes bayahondes et tuffeau
liant les pieds nus de mon cheval


Décret

Je nourris ma torpeur
et recule timide clément
et lâche de nier l’élan
quand l’effort est peine à ma souffrance
J’implore mes morts vieux de composer mon être
et me rêve bâtard défait sans lien sans loi
dans la douceur de ma faim
Mou de cultiver ma peur
j’élis l’aube et me nie
déplorant la voie royale
Mais nul même au départ noble et déjoué
Je vide ma main naïve
à combler l’appel de l’autre rive


Berge

Rien n’est debout, hormis ma toge
Je cultive mon secret mon rite entériné
pour l’aveuglement des acolytes et penche
un œil court sur l’arrêt la strate et le lit
du retour inactuel  Je me loue et me change
à l’espoir improbable  Nuit comme la porte du
sépulcre de l’autre berge où va ma stupeur
et l’âge froid

En toi le feu l’eau l’éclair quand ma course
s’embrouille  Et quand plus rien ne remue
l’œil découvre le jet du néant de nos alarmes
Tu couves quelle paix dans la faim miraculeuse
des fruits sans carpe où fermente le vin d’abysse
que ta conque offre au soleil  Hier tu nageais
dans la houle sans pleurer le bonheur des banqui-
ses hors des algues  Et tu longes front radieux
à l’encontre des palmes les baies ouvertes
au chant des agonies  Ai-je besoin de grimper
si tard au sommeil si ma voix n’a d’écho
que le soupir des grottes  L’ombre chasse loin
la lueur accrochée à mon front dans la peur
Les mailles de la nuit se plient sur la claie
mélangée aux brindilles sans couleur  Je n’ai
jamais vécu que sur mon aile  Je m’enlise pieds
défaits dans la peur des lendemains

Rien ne porte l’étendard de l’œuvre nulle
Frippé muet je suis l’otage
Amer à l’espoir dans la taie du sommeil
Une marche creuse mène au corps des joies
meubles au seuil

Mon aile à la glu de la tombe  Et colle
mon front au fer du recul  Ma peau éprouve
l’alarme des rires froids dans la molle allée
où j’erre inconnu

Que mon îlet chasse une voie d’eau Sirène
Ma couche épie une main d’aloès et vive
inaliénable une palme à mon éveil lunaire
La sueur gelée de menthe à ma soif allogène
Un bandeau loué à la nuit ma vareuse pour un
étendard à l’aléa

Je vois qu’une bouche à l’hostie ouvre le four
d’une faim pérenne  Mon galop blanc dans la nuit
liée suit la verdure à l’accueil des crucifères
Tu m’es l’amiante la glu le feu du miel
où va mon ombre en carène

Nous avons du coup franchi les portes interdites
Au pèlerin l’écho des plages où chaque pas mesure
l’éternité de ma faim polie  Suis-je troublé
par l’émoi de vivre en chimère et bercer le doute

Nul serment s’il n’est promesse de fleurs pour
mon sommeil las aux patères affectées à ma peur
J’ai le dé des causes et riche de mes alarmes
pivot reclus du sang

Comment passer l’eau si le gué des bras n’ouvre
une auberge au courrier du projet

Partir un soir sans loi ni leurre et porte ouverte
la saveur offerte d’une main comble
dans l’appel enténébré du chercheur élu

Nuit sous sommes à quai dans l’absence
des yeux cuivrés pour mettre nos morts en calebasse
et nourrir mes vœux secrets  Je planterai le feu
dans les palmes
O déesse promise à l’aube
Tu danseras comme la mambo secoue les feuilles
pour convier les pèlerins dormant
Soleil cette nuit sauvée met ma voile sur
une auge guidant nos pas vers les profondeurs

Et nous avons toujours été sans atout
dégrisés dans l’orgie morigène
à l’ennui des matins où nos contes
ne disent plus l’histoire des morts
au mur d’avril
On n’habitait plus en ce temps de calvaire
les plateaux tièdes à secouer les agrès
pour un plus sûr départ
Je savais alors les contours dorés des madrépores
comme si j’avais le privilège de cultiver tous
les herbiers du songe au gré des chansons
d’un matelot affamé dans la falaise bleue
du moindre espoir
Un jour le vent s’est abattu
à bout de bras sur ma quille
et le tangage a mis la déroute en carène
Mais pourquoi – j’avais bien juré de tenir
le cœur haut – suis-je parti sans égard aux pleurs
Je sais que pour me faire un sillage
d’ahan tous les souillons poussent la meute
des nuits maigres des cactus aux carrefours reposoirs


Trame

Quelle voix seule loin la peur l’éteignoir
dressera les signes-lumens parmi les rocs
les ronces et la glu
La faim mène au cœur l’éclaboussure des
rêves et jette un rideau de deuil sur cha-
que dessin d’aube
Né de la gloire et pour déchoir je ne mesure
pas mon image au solstice d’une palme
Or je vis de dormir lové dans ma geôle et
nonchalant
Il n’est plus temps de convier le vent au
sillage nubile de mon itinéraire obvenu
désuet  Le cap de l’aïeul a dévidé inapte
et brouillé  Et je décline au détour de ma
cime.


Ces quatre poèmes de René Bélance ont été publiés pour la première fois dans son recueil Nul Ailleurs (Pétion-Ville: Éditions Grand-Anse, 1984), «Agave», p. 64; «Décret», p. 66; «Berge», pp. 77-81 et «Trame», p. 94. Ils sont reproduits sur Île en île avec la permission de l’auteur.

© 1984 René Bélance ; © 2004 Île en île pour l’enregistrement audio
Enregistré dans les studios de Radio-Haïti à Port-au-Prince le 30 octobre 2002


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mis en ligne : 13 janvier 2004 ; mis à jour : 22 octobre 2020