Raymond Chassagne, « Convivialité » et « Blues à Madame »


Convivialité

dites que jamais ne furent déni la joie mutée
       ni le désir ni l'hibiscus encagé d'abandon,
que jamais ne fut braiment terre
       une terre criant couvée
impuissante à dénouer le serment de vos doigts,
que ne s'en fut le colibri de plein bois
       ni ce rossignol veillant sur matins ouverts
       à réveils ou chagrins
dites que jamais ne se donnèrent pour silence
l'annonce même du chant
       ni lèvres tremblées à malheur et patience
       ni la voix-miracle de l'homme, oubliée;
apprivoisez cet appel
qui autrefois enfantait déshérence
       à force de vocalises en la douleur
       et l'étonnement de votre gorge;
que dissonance ne soit ombre ni menace
       triomphant du sable docile,
       il ne faut pas,
pas plus qu'il ne faut trouées de songes ni gorgées de sale écume pour boire jusqu'à varechs, jusqu'à braise éteinte un siècle encore hagard de brises cacophones et d'orée caraïbe; la voix de l'homme ne fut-elle, après tout, combat de siècles à peine gagné par dérive ou grégaires tendresses, par désastres mutilés, désertés des hauts chants? N'est-elle gré dans le vent, chemin de corps offerts, de feux offerts ou de fruits mûrs? Ne fut-elle, un matin, cet horizon surgi de marche et d'errance?

       Dites-moi quelle anse revivra le retour occident dont on rêva, autre et grand : galions désarmés porteurs de livres de sagesse, filles confiantes à nous confiées, les yeux fermés, le vase plein pour un nouvel homme de quête et de rencontre,
       et je vous dirai mes pensées yanvaloues,
       l'inlassable, terre et bois, ciel et falaise, le vent
       d'aussi loin qu'on s'en souvienne, ma frayeur désirée, brume et
       Nordé cyclique, ma rutée de
       Mois d'août en province, et folles toutes
       Choses folles autour de vous

Quel vertige alors, votre silhouette en ce vent!
Inavouée d'espace-orage,
vous seriez affolement d'amarres
retenant à grand peine nos souffles
déjà nouant
                            déjà chantant!
et vers moi viendraient des mains d'ancienne prière
glissées du fébrile,
tirant votre filet et tirant votre pêche
où convive je serais par soleil et marée

 

Blues à Madame

danser ce blues avec vous, madame,
la terre arrêterait ses horreurs de gloire
le sang les prisons les naufrages
le pain qui jamais pour tous ne fut quotidien
les combats sans lendemain
et les chagrins qu’on oublie dans la cendre

danser ce blues avec vous, madame,
s’épuise un aveu en la fumée d’un soir de grâce
le monde est plein de combats inutiles;
madame, la terre est injuste
la terre est inquiète
la terre est malade

et devant que meurent les grands soirs rouges
en le regard voilé des cadavres
et leurs questions immobiles

vous seriez dans mes bras l’illusoire et l’instant
sortis de toutes les langues du monde
par quoi l’homme étreint des bonheurs de faïence
qui jamais ne furent;
et s’il faut qu’amertume et douceur se confondent
au moins guérirait une blessure
ce soir-là
si vous dansiez ce blues avec moi,
madame,
le temps d’un rêve à faire

(Incantatoire)


Les deux poèmes de Raymond Chassagne, « Convivialité » et « Blues à Madame », ont été publiés pour la première fois dans le recueil Incantatoire (Port-au-Prince: Éditions Regain, 1996), pages 98 et 20. Les poèmes sont dits par Anthony Phelps et figurent sur le disque audio, Incantatoire, de Raymond Chassagne, poèmes dits par Anthony Phelps et Boris Chassagne. Disque réalisé par Anthony Phelps; Musique, composition et interprétation d’Oswald Durand. Montréal/Port-au-Prince: Productions Caliban, 2003, PC-115. Poèmes et enregistrement utilisés avec permission.

© 1996 Raymond Chassagne pour les poèmes et © 2003 Raymond Chassagne pour l’enregistrement (05:08 minutes)


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mis en ligne : 19 février 2004 ; mis à jour : 24 décembre 2020