Raharimanana, « Le maître des décombres »


DZAMALA crie son nom. Dzamala. Dzamala. Et la meute se réveille, se lève. Dzamala, crie-t-elle.

Dzamala est de retour. Dzamala a fumé toutes les ordures de la terre. Raconte Dzamala. Raconte.

Vu dans les volutes qui cerclaient l’océan le rouge de vos sangs, le blanc de vos crachats.

Le vert Dzamala. Le vert.

Le vert de vos excréments.

Vu dans les volutes qui enserraient l’océan le hachis de vos chairs. Vu les squales qui se précipitaient. J’ai fumé toutes vos ordures et ai répandu vos senteurs sur tout l’océan.

Dzamala ! Dzamala ! La meute s’écroule de joie sur les décombres. Raconte ! Raconte !

Vu la femme nue, ivre de vos senteurs, s’ouvrir voluptueuse et m’offrir sa toison en herbe.

T’as fumé Dzamala. T’as fumé ta ration d’herbe.

J’ai fumé. J’ai plané. Dzamala est mon nom. Je fume toutes les ordures de la terre, toutes ces choses qui ne nous reviennent que pourries, que faisandées.

T’as fumé Dzamala. T’as fumé toutes nos richesses.

Dzamala est mon nom. Dzamala.

L’enfant, Dzamala, l’enfant jeté à la poubelle, dépecé, le cœur, le foie, les yeux, la rate vendus, trafiqués, tu l’as découpé plus encore pour lui extraire sa délicatesse. T’as dépouillé sa peau, ô Dzamala, pillé son-innocence. T’as fumé. Tiré dans ses tripes. T’as plané, Dzamala, dans le royaume des innocents.

Dzamala. Dzamala est mon nom.

Le fou, Dzamala, le fou qui haranguait les chiens, perdu, égaré par sa misère, se prosternait devant toi, te présentait son cou. T’as tiré Dzamala. T’as tiré sur ses carotides. T’as fumé. Fumé ton herbe dans ses grosses veines caillouteuses de sang. T’as plané, Dzamala, vêtu d’ombres, de brumes, au-dessus des terres de ce délireux.

Dzamala est mon nom. Dzamala. Je reviens pour fumer toutes vos ordures.

Et la mère, Dzamala, la mère vautrée dans les immondices, pressant l’orange pourrie contre les lèvres sèches de son enfant, pleurant, espérant des larmes nourricières, s’agenouillait à tes pieds. T’as vendu son enfant, ô Dzamala. Pour une poignée d’herbe. Pour un vol au-dessus des terres d’illusions.

La meute s’écroule de rire, se pare de rognures, de feuilles et de brindilles.
Dansez ! Dansez !

T’as brouillé la boue, ô Dzamala, et les pleurs qui l’enflaient ont remonté à la surface. T’as bu, Dzamala, ces pleurs qui ne se décomposent.

J’ai lu toutes les lettres qui volent au vent. J’ai lu toutes les lettres qui s’enracinent en la boue, retrouvé les mémoires corrompues, dépravées. J’ai lu toutes les souffrances, me suis grisé d’encre perdue. Je me suis soûlé de tant de douleurs. Je me suis enivré. J’ai plané, plané très loin au-dessus des terres d’affliction.

Ô Dzamala ! Dzamala !

Dansez ! Dansez !

La meute se pare de rognures et danse, danse. La meute s’enlace et s’accouple. Dzamala jubile, attrape une femelle et fornique à mourir.

Dzamala, ô Dzamala !

La meute râle et s’écroule de fatigue. Dzamala, Dzamala, Dzamala…


lors de l'enregistrement pour Île en île, l'auteur (à droite), accompagné de Soeuf Elbadawi (à gauche, vocal) et, au milieu, le musicien Baco.

lors de l’enregistrement pour Île en île, l’auteur (à droite), accompagné de Soeuf Elbadawi (à gauche, vocal) et, au milieu, le musicien Baco.

« Le maître des  décombres » est un extrait du recueil, Rêves sous le linceul, de Jean-Luc Raharimanana, publié pour la première fois aux Éditions Le Serpent à Plumes (Paris: 1998), pp. 101-106.

© 1998 Le Serpent à Plumes
© 2003 Île en île pour l’enregistrement audio (6:16 minutes)

Enregistré à Paris le 10 juillet 2003


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mis en ligne : 27 juillet 2003 ; mis à jour : 27 décembre 2020