Charlotte-Arrisoa Rafenomanjato

Charlotte-Arrisoa Rafenomanjato

photo © Dominique Ranaivoson
Antananarivo, avril 2008

Charlotte-Arrisoa Rafenomanjato naît le 16 mars 1936 à Antananarivo (Madagascar). Sa mère, pianiste, meurt quand elle est encore très jeune et son père, médecin, travaille loin, dans les provinces. L’orpheline grandit dans la capitale, délaissée par son entourage familial jusqu’à ce qu’un oncle bienveillant, administrateur civil de son état, découvre ses capacités et se charge de son éducation. Les personnages de ses romans porteront l’empreinte de ces blessures secrètes.

Elle obtient un diplôme de sage-femme puis épouse un diplomate grâce auquel elle va sillonner le monde : la France (Marseille) de 1964 à 1967, l’Allemagne (Bonn), Jérusalem, Nairobi. De retour à Madagascar en 1982, elle est le témoin scandalisé de ce qu’elle nomme « le régime ratsirakien » dont elle se met à décrire les conséquences sociales terribles dans des romans. Elle déclare à la presse : « c’est seulement de retour au pays que je suis tombée amoureuse de l’écriture… » (Tribune, 6-12-2002).

Elle écrit, en français, des pièces de théâtre, des romans, des nouvelles, de la poésie, enfin des essais politiques. Quel que soit le genre et le sujet apparent, le ton reste violent, les situations extrêmes, les personnages injustes, haineux envers les plus faibles. Charlotte Rafenomanjato veut dénoncer l’état de la société malgache, ses injustices, la fascination pour l’argent, l’étroitesse des traditions, les vengeances, l’enfermement dans les traditions. En 1991 et 2002, de longues crises politiques et sociales aboutissent au départ du président Ratsiraka. L’écrivaine se fait alors militante en publiant des enquêtes de terrain qui font le procès d’un pouvoir qui a ruiné le pays (La marche de la liberté, 1992) et l’apologie de celui qui réussit, à la faveur d’un élan populaire, à remplacer le dictateur (Ravalomanana Marc, de président de la rue à président du palais, 2003). Elle déclare dans l’avant-propos de ce dernier ouvrage : « La sincérité étant la morale de l’écrivain, je ne cache point mes impuissantes révoltes durant les 22 ans de règne de Ratsiraka que j’ai vécus et subis ».

Pourtant, cet enthousiasme sera de courte durée et le dernier ouvrage Les amants d’Iarivo / Mpifankatian’i Iarivo (2003) est un long poème publié en français et en malgache qui, toujours aussi ardent, évoque une passion amoureuse qui aboutit à une cruelle désillusion, métaphore de ses enthousiasmes politiques. Le poète, comme Jacques Rabemananjara dans Thrènes d’avant l’aurore (1982) s’écrie : « C’était le jadis de l’espoir pathétique / C’était le naguère de la confiance héroïque / Ultimes traces d’un baiser de nuit / Enfui… […] Mais ma conscience de troupeau / s’enfonce / s’enroule dans les fonds / très profonds / des eaux / de mon âme secrète / de prophète / sans Dieu » (p.37). La même année, elle publie un roman historique sur l’insurrection de 1947, Sang pour sang, vie pour vie dont l’action se déroule sur la côte Est et où elle dénonce les liens entre ce passé conflictuel et les clivages politiques contemporains. Elle est la seule des nombreux écrivains malgaches sur 1947 à interroger les silences organisés autour des graves luttes et des vengeances souterraines qui en sont les conséquences : « Des événements du passé naissent des comportements du présent. […] L’histoire de 1947 est glorieuse et cruelle ! » (p.156) fait-elle dire à un de ses personnages.

Charlotte Rafenomanjato a bénéficié d’une certaine reconnaissance de la part des circuits culturels français et francophones. Elle a séjourné à Limoges dans le cadre de la bourse Beaumarchais (1994), plusieurs de ses pièces de théâtre ont été adaptées pour la radio, mises en scène, adaptées au cinéma. Son premier roman, Le pétale écarlate (1990), publié d’abord en France, a paru en feuilleton dans le quotidien malgache L’Express en 2001 avant d’être réédité en 2006 sous le titre Felana. Elle a cofondé puis présidé la Société des écrivains de la région de l’Océan Indien (SEROI), un réseau qui rassemblait des écrivains de Madagascar, Maurice et La Réunion. Lui ont succédé à ce poste ses compatriotes la poète Esther Nirina et l’universitaire Jeannine Rapiera Rambeloson. Cependant, autodidacte en littérature et foncièrement indépendante, elle fut davantage une militante qu’une femme des cercles littéraires et universitaires. Suzy Ramamonjisoa, à l’Académie malgache en 2002, employait à son endroit les termes d’« engagement » de « passion et conviction pour écouter la cause du peuple malgache « de l’intérieur ». Hélas, plusieurs recueils, mentionnés par elle lors d’entretiens, sont restés inédits puis ont disparu.

Elle est décédée à Antananarivo le 4 novembre 2008.

– Dominique Ranaivoson


Oeuvres principales:

Romans:

  • Malala. 1986, inédit.
  • La Pétale écarlate. Antananarivo: Société Malgache d’Édition, 1990; réédité sous le titre de Felana. Paris: Le Cavalier Bleu, 2006.
  • Le Cinquième Sceau. Paris: L’Harmattan, 1993.
  • Sang pour sang, vie pour vie ! Ankorondrano: Société Malgache d’Édition, 2003.
  • Nanté, fille du néant, inédit.
  • Kirihitra, inédit.
  • La Fracture, inédit.

Essais:

  • La Marche de la liberté; Madagascar à l’aube du XXIe siècle: à toutes les victimes de la crise malgache. Saint-Denis (Réunion): Azalées Éditions, 1992.
  • Ravalomanana Marc: de président de la rue, à président du palais. Sainte-Marie (Réunion): Azalées Éditions, 2003.

Poésie:

  • Amertumes. Antananarivo: C.-A. Rafenomanjato, 1980.
  • Bouquet d’espoirs. Antananarivo: C.-A. Rafenomanjato, 1985.
  • Sable blond et latérite rouge, sols de mon pays: réminiscences en prose poétique, 1947-1960. Antananarivo : C.-A. Rafenomanjato, 1985.
  • Moïses de notre race. Antananarivo: C.-A. Rafenomanjato, 1986.
  • Moi, môme errant, recueil de poèmes inédit.
  • Les amants d’Iarivo, épopée / Mpifankatian Iarivo, tononkalo. Antananarivo, SME, 2003.

Théâtre:

  • Le prix de la Paix (Paris: RFI, 1985), adapté à l’écran et présenté à Montréal en 1988 et à la radio malgache. Réalisée en télé-film par Benoît Ramampy, produit par le centre culturel Albert Camus et la télévision malgache, 1989.
  • La Pécheresse, Paris: RFI, 1987.
  • Le Prince de l’Étang, présenté par la troupe Johary au festival du théâtre africain en Italie et au festival des Francophonies à Limoges en 1988.
  • Le Pain des Autres, Paris: RFI, 1989.
  • L’Oiseau de Proie (Paris: RFI, 1989), présenté par la troupe Mikanto à Antananarivo, 1991.
  • Le Troupeau (Paris: RFI, 1990), présenté par la troupe Rodney Hudson Scott à New York, 1991. Lecture scénique au théâtre international de langue française à La Villette (Paris), 1999.
  • La Paix du Purgatoire (1990), Paris: RFI, 1991, adapté à la radio malgache par M. Baile.
  • Le Portrait et le Cresson, 1992, inédit.
  • Plume et Plume, 1994, inédit.
  • S comme Satan, sans date, inédit.
  • Le Cerveau (1997), publié sur le site des Femmes écrivains et les littératures africaines, 1998.

Nouvelles:

  • « Doggy-bag », 1994, inédit.
  • « Omeo zanako ». Publiée dans le quotidien malgache L’Express (21 octobre 2000, puis dans Chroniques de Madagascar, sélectionnées et présentées par Dominique Ranaivoson. Saint-Maur-des-Fossés (France): Sépia, 2005: 25-29.
  • « L’Adolescent », inédit.
  • « Faly », Inédit.
  • « L’Aquarium de Dieu », inédit.
  • « Rangory, quelle pomme ? », inédit.

Scénario de film:

  • Kalanoro, projet inabouti d’une série en six épisodes.

Prix et distinctions littéraires:

  • 1986     2e Prix Radio France Internationale, pour Le prix de la Paix.
  • 1988     Prix Radio France Internationale au 15e concours de théâtre interafricain, pour La Pécheresse.
  • 1989     Sélection pour Le Prix Radio France Internationale, Le Pain des Autres.

Sur l’oeuvre de Charlotte Rafenomanjato:

  • Beckett, Carole. « Charlotte-Arrisoa Rafenomanjato Speaks to Carole Beckett ». Research in African Literatures 31.2 (Summer 1990): 174-178.
  • Ranaivoson, Dominique. « ‘Un fragment d’histoire collé sur un tesson de fiction’: Entretien avec Charlotte Rafenomanjato: réalisé en avril 2007 ». Nouvelles Études Francophones 23.1 (avril 2008): 28-34.

Traductions:

In English:

  • The Herd (Le Troupeau). Trad. Marjolijn de Jager. New Plays (Madagascar, Mauritania, Togo). New York: Ubu Repertory Theater, 1991: 189-235.

en italiano:

  • « Il principe dello stagno » (Le Prince de l’Etang), in Teatro Africano by Pepetela, V. Harawa, E. Kanyongolo, D. Kerr, R. Mbvundula, C.-A. Rafenomanjato, S. Labou Tansi, T. Ben Jelloun, Egi Volterrani, Rome, Buzoni editore, 1988.

Liens:

ailleurs sur le web:


Retour:

Dossier Charlotte Rafenomanjato préparé par Dominique Ranaivoson

/rafenomanjato/

mis en ligne : 29 juillet 2020 ; mis à jour : 5 août 2020