Roland Paret, 5 Questions pour Île en île


Romancier, scénariste et réalisateur haïtien, Roland Paret répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 33 minutes réalisé sur la terrace de la librairie Olivieri à Montréal par Thomas C. Spear le 5 juillet 2013.
Notes de transcription (ci-dessous) : Ségolène Lavaud.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Roland Paret.

début – Mes influences
7:40 – Mon quartier
15:37 – Mon enfance
21:41 – Mon oeuvre
28:06 – L’insularité

Note technique : filmé dehors en été, vous entendrez des bruits du café et un fond sonore du climatiseur.


Mes influences

« Je me considère comme un lecteur. Ma vie a commencé, je pense, avec la lecture. Je ne me vois pas sans un bouquin. Le premier : Cinq semaines en ballon », offert par sa tante vers dix ans, au Cap-Haïtien, et dont il n’est jamais redescendu. C’est avant son certificat d’études primaires, son « premier vrai livre » non scolaire. Ensuite son oncle a essayé de lui faire lire Proust, mais La Recherche ne l’intéressait pas encore, car il était « tombé dans Michel Zévaco », et se passionnait pour les aventures de Pardaillan, très fier d’apprendre que Jean-Paul Sartre aussi. Puis ce furent les sagas islandaises, avec Snorri Sturluson et Egils Skalagrimssonar, ce qui lui a donné des bornes, ce qu’il appelle les « amers » d’après Saint-John Perse. Par la suite et sans ignorer ces influences, dont Proust, il est devenu « un écrivain précis, c’est-à-dire de l’île d’Haïti ».

Dans toute littérature, il y a de la philosophie ; avant Alexandre le Grand, il y a eu Aristote. Il ne sait pas celles qui sont derrière lui, car elles sont multiples. Marcel Proust, pour les jeunes qui ne sont pas encore formés est incertaine, cette niaiserie philosophique qui n’en est pas moins vraie les pousse à s’identifier, prendre la grand-mère pour leur propre grand-mère. Lui-même se sent bien dans son propre imaginaire. Son pays est loin de telle ou telle géographie, longitude, latitude…

Lorsque l’on rencontre quelqu’un, il y a un dialogue (par exemple, Roland Paret et Thomas Spear), mais entre quatre personnages : la personne et l’idée qu’on se fait d’elle et réciproquement ; la personne et le personnage.

Mon quartier

Au Cap-Haïtien et, à Port-au-Prince, les quartiers de Turgeau et Bois Maquette. Il ne sait pas dans quelle mesure ces quartiers ont contribué à la formation de son « moi ».

Il vivait face à la première Académie Militaire d’Haïti. Il ne sait pas, quant au symbolique, dogmatique, symptomatique ; il a pris une distance affective, dont le souvenir reste dans sa mémoire comme une chanson. Un refrain ni exubérant ni lancinant. Il se sent mal à l’aise avec ses compatriotes haïtiens très attachés aux « t’en souviens-tu ». Notamment ses plus proches amis de l’époque, Jean-Jacques Coicou, Guy Beauvoir, Milo Placide. Il apprit, longtemps après, qu’ils passaient tous leurs week-ends à La Frontière, le quartier des bordels de Port-au-Prince, il leur en garde la rancune de ne pas y avoir été emmené. Il se voulait révolutionnaire et se souvient de l’église du Sacré-Cœur – qui n’existe plus après le tremblement de terre –, à la messe de dix heures, d’où, du jubé, il laissait tomber sur les fidèles des tracts anti-duvaliéristes, puis se sauvait à toutes jambes ; reconnu par une dame, il ne fut pas dénoncé. Il habitait presque en face où il y avait aussi son école, le Centre d’Études secondaires, tous ces quartiers n’existent plus depuis le tremblement de terre.

Maintenant : j’aime beaucoup mon quartier (Verdun, à Montréal) – habité par ceux qu’on appelle les « Bougons », héros déjantés d’une série télévisée, au ras de la malhonnêteté en marge de la légalité. Verdun est, dit-on, l’un des futurs quartiers résidentiels de Montréal. Paret y a ses habitudes : piéton, il prend les bus ou métro de Verdun jusqu’à la Côte-des-Neiges – à la Librairie Olivieri et, en face, les rencontres le vendredi avec les copains haïtiens à la Brûlerie – et se partage entre ses bouquins et l’alcool.

Mon enfance

Roland a toujours été un enfant malade. Une première crise d’asthme à un an (quand en fait on ne peut diagnostiquer l’asthme avant l’âge de quatre ans). Sa tante (d’où il reçoit son premier Jules Vernes) lui a appris que, longtemps, il se prenait pour un monstre. Couvert de boutons, croûtes et autres pustules, la maladie de la peau disparaît à six ans. Chez sa grand-mère en 1953, le Président Paul Magloire est venu prendre un repas, le 17 novembre, la veille de la célébration du 150e anniversaire de la Bataille de Vertières (où ils devaient reconstituer la bataille). Le président demande « comment améliorer la situation d’Haïti » et s’adresse à l’enfant, alors [en 1953] âgé de dix ans, qui répond : « Il faut mettre les maladies hors la loi » – ce qui lui semblait de toute normalité, mais maintenant en doute ! Tout comme Platon avait interdit les poètes dans la cité.

Sa mère était directrice de la bibliothèque municipale du Cap-Haïtien, où il avoue avoir volé de nombreux ouvrages, mais pas des livres sérieux : Jules Vernes, Paul Féval fils et Michel Zévaco ; d’ailleurs, il ne connaissait pas l’existence d’autres auteurs, et maintenant, il y a prescription ! Un enfant de sept ou huit ans qui lit Zévaco développe un imaginaire qui ensuite ne le quitte plus. Le romantisme, les romans de cape et d’épée, ce ne sont pas des idées réalistes, d’où la prolongation de l’enfance. Ensuite ce sont des ajouts, des notes de bas de page !

Il a été, d’ordre des médecins et de l’avis de ses parents, scolarisé tardivement, dû à de nombreuses maladies. Il fit douzième et onzième chez lui avec des professeurs particuliers ; il était « un petit roi ». Grâce à sa tante, il fut enfin scolarisé chez les Frères de l’Instruction chrétienne, mais l’école fut une expérience difficile. Son contact avec d’autres enfants, une véritable aventure ; confronté avec d’autres « petits rois » et perdant son statut de « seul, roi ». Il ne supportait pas qu’à côté de son royaume, il y ait d’autres royaumes.

Mon œuvre

« Je peux en donner quelques pistes, quelques clés » notamment d’après la lecture d’un livre de Sergei Eisenstein – et plus tard Borges, avec son « aleph » – où il parlait de littérature, de religion, de sciences, de religion et d’art : toutes les pulsions qui se rencontrent. Paret demeure convaincu que l’on peut naviguer entre philosophie et roman. Dans son essai, qui, à tort, semble un brouillard, il dit être persuadé que les mêmes mots qui servent à définir la beauté au centre de la vie, l’harmonie, sont les mêmes mots qui symbolisent une dictature, le fascisme. Non seulement une danse de la logique, l’art fait partie du pouvoir, il fait partie du système d’oppression. Toute manœuvre est conçue à partir de ce dictat.

Parmi ses lectures, Les Mille et une nuits et Proust l’ont influencé à faire, dans sa suite romanesque, à la fois la légitimisation de ce qui se passe et la clé pour dire décrypter son code. Paret essaie de faire se rencontrer les pulsions mythologiques et les pulsions logiques. « Je suis un auteur confidentiel », avec peu de lecteurs. Il lui faut convaincre de croire à ce qu’il écrit, ce qui n’est pas obligatoire !

L’insularité

« Cette question m’embête, m’agace énormément. Comme, quand on dit que ‘le pays de la vérité est une île’ ». La borne n’est pas une fermeture, au contraire, ça ouvre quelquefois. « Je ne crois pas à l’île ». Il s’interroge sur un article paru il y a quelques années, dans Scientific American, au sujet des « frontières floues » (poreuses) et la véracité ou pas, quant au statut de ce qu’est supposée être une île, dont il nie l’existence.

Elle n’existe pas. […] Cette île est reliée par de multiples ponts à d’autres îles et cela forme un continent. […] Bouvard et Pécuchet savaient déjà que tout ce qui est rationnel est réel et vice versa. Si elle existe, elle est renfermée sur elle-même. Elle n’existe pas. La mondialisation a commencé le jour où quelqu’un a pris un petit canot et l’a mis à la mer, il a découvert une autre île. Cette notion est vieille comme le monde.

Une île est un accident géographique ; ce n’est pas une réalité conceptuelle. Il y a une île qui s’appelle La France, il y a une île qui s’appelle La Russie, une île qui s’appelle Les Blancs, une île que s’appelle L’Hétérosexualité, l’autre L’Homosexualité ; tout est dans le domaine des rencontres. Ce sont des concepts qui s’interpénètrent. Les îles n’existent pas, c’est une catastrophe. Les ponts Cartier et Champlain [à Montréal], même s’ils ne sont pas visibles, ils sont là. Ils réunissent toutes les îles, pas seulement les îles géographiques, mais, les îles conceptuelles.


Roland ParetRoland Paret. 5 Questions pour Île en île.
Entretien, Montréal (2013). 33 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 25 mars 2019.
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Notes de transcription : Ségolène Lavaud.

© 2019 Île en île


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mis en ligne : 25 mars 2019 ; mis à jour : 26 octobre 2020