Gabriel Osson, trois poèmes

Destin fatal

Le sang qui s’étend sur le sable
Est celui d’un jeune de douze ans
Pris dans un croisé de tirs
Entre des bandes rivales
Qui se battent et se tuent
Pour trois fois moins que rien

Mais quand on n’a rien du tout
Quelquefois presque rien
Vaut mieux que rien du tout
Même s’il faut pour l’avoir
Le prendre à un autre
Qui n’a guère plus à donner
Même s’il faut pour le faire
Tuer des enfants

Le sang qui se lave sur le sable
À chaque lampée d`écume
C`est ton fils
C`est mon frère
Et pourtant
Il ne fera pas la une
Dans les journaux de nulle part
C`est un cas si banal
Un mort parmi tant d`autres

Quand on meurt au quotidien
Pour des riens
Et qu’on est moins que rien
La police n’a que faire
Le gouvernement n’a que dire
Et la presse reste muette

Celui que l’on assassine,
C’est mon enfant, mon futur, mon frère
Il n’avait pas d`avenir
Et était né pour mourir
Qu’il meure maintenant ou plus tard
Qu’importe
Il faudrait qu’ils en meurent plus
Pour que le monde s’éveille

Ce sang qui s’efface
À chaque lampée de vague
Fera vite oublier
Cet enfant qui est mort
Sans même savoir pourquoi
Sinon pour que des gens
Qui n’ont presque rien
Puisse avoir un peu plus de rien
Car pour des gens qui n’ont rien
Avoir un peu plus de rien
Vaut mieux que rien du tout

 

Espoir

Tremper ses pieds
Dans la mer
De tous les ports de passage
Pour reposer nos pieds
Le temps d’une éternité

Dire à la mer
D’avoir souvenance
De notre passage dans ses rives

J’ai trempé mes pieds
Et envoyé en mer
Un message d’espoir
Pour que mes pas se rejoignent encore
Quelque part là-bas
Où les mers se recroisent

Quelque part le soir
À marée montante
Où quelque part par là
À marée descendante

J’ai trempé mes pieds
Le temps d’une éternité
Pour laver mes plaies
Et libérer mes pas
Du fardeau du porter
Le temps d’une étreinte humide

De l’Atlantique au Pacifique
Des caraïbes à la méditerranée
J’entends vos plaintes marines
Qui se confondent aux miennes

J’ai trempé mes pieds
Pour me souvenir
De mon humanité
Et de mon passage
Que mes pieds
Vont sans doute oublier

Et la mer se retire
Sur la pointe des pieds
Emportant mes pas au loin

Sans voir les larmes
Se former dans mes yeux

 

Les mots

Ils se bousculent dans ma tête
Ils se font chanson
Ils se font rivières
Ils parlent d’amour
Et je te parle de la mort des mots
Ici dans le temple des mots
Je viens te parler
Du mal qu’ils font à ma langue
Te parler de la traîtrise
Qu’ils font à mes mots
Qu’on assassine

Mots fragiles dans la bouche des enfants
Mots graciles sur la surface des océans
Mots tragiques pour décrire
La peine de ma langue
Qui se perd fragilisé
Décortiquée
Avilie

Ici
Dans le temple des mots
Je cherche …
Les mots justes
Pour décrire la phrase
Je cherche le mot juste
Pour dire le temps
Je cherche le mot juste
Pour parler d’amour
Le mot juste qui trouvera écho
Quelque part dans un livre d’ enfants
Des mots doux à mes oreilles
Qui se font chanson
Qui se font poèmes
Qui se font romans
Qui se font récits

Mots vierges inaltérées
Comme ruisseau au fond des bois
Mots habiles coulant de source
Qui habitent mon âme de poète

Le mot se fait
Se tait
S’éteint
Renaît
Il danse des danses lascives sous le baobab
Ou le pin Sylvestre
Il est là au coin du feu
Quand les Griots racontent
Il est là dans la plaine sauvage
Quand les peuples autochtones
Partent à la chasse

Il se fait pays
Il se fait mort
Il se fait moi

Les mots qui s’envolent
Ne sont jamais partis
Ils sont dans la forêt qui danse
Dans le feu qui crépite
Ils sont dans chaque enfant qui naisse
Et chaque personne qui meure
Emporte avec elle
Un peu de ses verbes
Chaque personne qui meurt
C’est autant de mots qui s’éteignent
Quand le mot se tait


Ces trois poèmes par Gabriel Osson – « Destin fatal », « Espoir » et « Les mots » – sont des inédits publiés pour la première fois sur Île en île avec la permission de l’auteur.

© 2021 Gabriel Osson


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mis en ligne : 9 janvier 2021 ; mis à jour : 10 janvier 2021