Odette Roy Fombrun, 5 Questions pour Île en île


Odette Roy Fombrun répond aux 5 Questions pour Île en île, chez elle à Musseau (Pétion-Ville), Haïti, le 13 janvier 2009.

Entretien de 30 minutes réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Kendy Vérilus.

Notes de transcription (ci-dessous) : Fred Edson Lafortune.

Dossier présentant l’auteure sur Île en île : Odette Roy Fombrun.

début – Mes influences
06:25 – Mon quartier
09:48 – Mon enfance
14:19 – Mon oeuvre
26:05 – L’insularité


Mes influences

Ma vie entière a été consacrée à l’Éducation. Depuis que j’ai laissé l’École Normale d’Institutrices, je me bats pour l’éducation. Même quand je me bats pour les autres problèmes du pays, à la base, il y a l’éducation. Mes combats ont toujours un lien avec l’éducation. C’est pourquoi on m’a consacré « Kòk batay » en m’honorant* car tous constatent que je me bats sans cesse.

L’éducation a été et est encore l’un des problèmes majeurs du pays. L’éducation civique plus particulièrement et tout ce qui en découle. Aussi, mon premier livre est-il un livre d’éducation civique,Morale et Instruction civique. Après, j’en ai écrit beaucoup d’autres. J’en ai même écrit, en exil, pour l’Ex-Congo Belge, le Zaïre,** quand je m’y retrouvais.

Je traite aussi l’éducation civique dans des livres en créole où je m’adresse à la majorité nationale, comme : Dwa ak Devwa tout Ayisyen et Konbit tètansanm pou Ayiti kanpe. Dans notre histoire, nos ancêtres ont accompli de grandes choses quand ils se sont unis. Voilà pourquoi c’est la philosophie du konbitisme que l’on doit prôner aujourd’hui. Elle réclame qu’on se mette ensemble pour sauver le pays. Depuis le départ de Duvalier, Haïti ne fait que descendre. Il faut une konbit nationale pour sauver le pays.

En résumé, voilà ce qu’a été mon combat permanent pour l’éducation, surtout civique, et toutes ses conséquences au point de vue national.

[Quand ai-je commencé à écrire ?]  Il n’y avait qu’un petit manuel d’instruction civique des Frères de l’Instruction Chrétienne (FIC) quand Monsieur Henri Deschamps, père, m’a demandé d’écrire pour combler le vide existant en manuels scolaires d’éducation civique. J’ai répondu à son appel et évidemment j’ai continué sur cette lancée. J’ai même fait des campagnes de sensibilisation à la télévision [et au cinéma avec des bandes dessinées].

Après vingt-sept ans d’exil, dont dix-sept en Afrique, je suis retournée en Haïti en 1986. J’ai vécu ce moment historique où la majorité nationale exprimait son désir de coopérer. Tout s’appelaitkonbit. Ainsi est né le Konbitisme unificateur.

Mon quartier

Je suis née à Port-au-Prince. J’ai grandi à l’Impasse Lavaud dans une atmosphère familiale. Tout le quartier représentait une grande famille.

On partait en vacances ensemble, d’abord à Pétion-Ville. On y allait en été dans la modeste maison de campagne familiale. On emmenait vieux vêtements, vieilles chaussures et bons amis. On pouvait grimper aux arbres sans crainte de rien abîmer. Quand il y avait clair de lune, on se rendait sur la place de Pétion-Ville. Là, on déclamait du haut de l’Hôtel de la Patrie, au pied du palmiste, symbole de liberté.

Par la suite, le quartier allait en vacances à Kenscoff. Kenscoff représente énormément de choses dans ma vie. J’étais heureuse de voir les couchers de soleil et les marchandes qui descendaient de la montagne portant sur des têtes droites de lourds laye. C’est là que je suis devenue haïtienne. [En respirant cette odeur de pins, d’eucalyptus…] Je m’enracinais dans ma terre natale.

Mon enfance

Odette Roy Fombrun, Première Communion

Odette Roy Fombrun, Première Communion

Odette Roy Fombrun, Carnaval

Odette Roy Fombrun, Carnaval

Mon premier grand souvenir d’enfance est le jour de ma première communion ; c’était un jour extraordinaire. Il y avait aussi le Carnaval : ma tante, ingénieuse, inventait des costumes pour chacun de nous, car il fallait se déguiser [et il n’était pas question d’acheter du prêt-à-porter].

Nous étions contents d’aller chez de vieilles tantes à la ruelle Berne. Elles habitaient une grande propriété avec des arbres fruitiers. On y rencontrait des cousins. Peu importe si le repas était frugal, il y avait la joie de vivre.

D’autres amis habitaient une maison qui avait une seule pièce séparée en chambres par des rideaux (pour garçons et filles). En leur citant des exemples, j’enseignais à mes enfants que le bonheur n’est pas dans la possession de biens matériels. L’accumulation de richesses ne fait pas le bonheur.

On dit que j’ai grandi dans un milieu bourgeois. Oui ! Si on appelle « bourgeoisie » une élite qui avait une éducation, une histoire et qui était attachée aux valeurs morales, intellectuelles ou culturelles. Mais pas à l’argent. Elle n’en avait pas.

Mon œuvre

J’insiste sur mon combat pour une vision nationale : Haïti, Centre historique et culturel de la Caraïbe. La Citadelle, les ruines coloniales, les grottes taïnos… de quoi dire produire des richesses, immédiatement, via un tourisme planifié… au lieu de laisser bidonvilliser Le Cap et Milot. On peut avoir des circuits touristiques partout à l’intérieur du pays. Nous appelons ce tourisme localtouris lakay. On a des sites magnifiques de détente à exploiter comme l’Île à Vaches. Ce tourisme local permettrait à la paysannerie, aux communautés de l’intérieur de se développer. Il faut produire des richesses, produire des devises, développer l’intérieur du pays si l’on peut protéger l’environnement.

Mon travail en histoire occupe une place de choix dans mes écrits. Il y a des dates historiques qui sont importantes comme la venue de Christophe Colomb en 1492 et la cérémonie du Bois Caïman en 1791. J’avais suggéré – sans succès – de faire de 1992 l’année de l’indien puisque nous avons un passé historique lié aux Tainos. C’est pourquoi j’ai écrit L’Ayiti des indiens en 1992. Mes Histoire d’Haïti sont en français et en créole, mais on achète davantage l’édition française, car il y a un problème de statut social qui freine le créole. Toutefois on a fait beaucoup de progrès dans l’utilisation du créole : le créole est entré dans le système éducatif. Dans le domaine de la recherche, citons Le Drapeau et les armes de la République d’Haïti… J’ai fait une belle carte de l’histoire du drapeau.

Dans le pays, il y a trois exclus : les jeunes, la paysannerie et la diaspora. Pour la jeunesse, je prépare un module éducatif pour valoriser les régions et les richesses qui s’y trouvent. Je cherche aussi comment faire le pont entre ces régions et leur diaspora. La diaspora dit, « je vais chez moi » (mwen pral lakay) mais lakay, ce n’est pas Haïti, c’est leur lieu de naissance, le lieu où vit leur famille. La konbit de ces trois exclus, avec le touris lakay, constituerait la force de développement des communautés rurales.

L’Insularité ?

Je suis insulaire puisque je vis sur une île bien que nous n’occupions qu’une partie de l’île. Physiquement, historiquement et culturellement nous en avons la meilleure part. Il faut qu’Haïti exploite ses richesses pour reprendre son leadership, pour parler d’égal à égal avec la République dominicaine et pour que Quisqueya soit belle à travers toute l’île.

La lutte de l’indépendance est extraordinaire. Nous sommes le seul pays du monde à avoir gagné le combat contre l’esclavage, et celui contre la colonisation, alors que toutes les grandes puissances étaient esclavagistes. Nous avons une HISTOIRE UNIQUE, dont une grande richesse à exploiter.

Ayons pour vision nationale : Haïti, Centre historique et culturel de la Caraïbe.

Notes:

* Le 10 janvier 2009, Odette Roy Fombrun était consacrée Trésor National Vivant (avec l’historien Georges Corvington et la chanteuse Yole Dérose) lors d’une cérémonie au Parc historique de la canne à sucre, à Tabarre.

** Elle y accompagnait son mari, Marcel Fombrun, Représentant de l’UNICEF.


Odette Roy Fombrun

Fombrun, Odette Roy. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Pétion-Ville (2009). 30 minutes.

Mise en ligne sur YouTube le 28 mars 2013.
Jusqu’au 13 octobre 2018, cette vidéo était également disponible sur Dailymotion ; elle a inauguré la série des « 5 Questions pour Île en île » lors de sa publication le 25 octobre 2009.
Réalisation : Thomas C. Spear.
Camera : Kendy Vérilus.
Notes de transcription : Fred Edson Lafortune

© 2009 Île en île


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mis en ligne : 25 octobre 2009 ; mis à jour : 26 octobre 2020