Paul Niger

Paul Niger, photo © 1960 Galerie Harcourt, Paris collection particulière de Mme Béville

photo © 1960 Galerie Harcourt, Paris
collection particulière de Mme Béville

Paul Niger est le pseudonyme d’Albert Béville, né le 21 décembre 1915 à Basse-Terre (Guadeloupe). Il est le dernier enfant d’une famille de huit enfants (son père, Raoul Béville, est l’un des deux premiers avocats de race noire à la Guadeloupe). Le jeune Béville, orphelin à quatre ans, fait ses études primaires à Basse-Terre, secondaires à Pointe-à-Pitre et supérieures à Paris. Docteur en droit, il est breveté de l’ENFOM (l’École Nationale de la France d’Outre-Mer est pour lui un moyen de connaître l’Afrique), avec des certificats de lettres et d’anglais.

Mobilisé en 1939 comme Aspirant, il fait la campagne de France et reçoit la croix de guerre. Démobilisé, il retrouve Guy Tirolien, un ami d’enfance, avec qui il partage une forte attraction pour l’Afrique. La révélation qui les secoue en 1940 est la lecture du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire (paru en 1939 dans la revue Volontés, distribuée sous le manteau). Césaire étant isolé aux Antilles, les groupes afro-antillais de Paris – dont Senghor, Paul Niger et Tirolien sont les animateurs clandestins – donne le ton à la littérature nègre née de la guerre. Cette prise de conscience prolétarienne et raciale provoque une rupture avec la philosophie assimilationaliste de la littérature antillaise classique. Révolté contre les injustices sociales, le système capitaliste-féodal des Antilles et les excès du colonialisme en Afrique, le poète crie et chante son indignation (Initiation, poèmes écrits entre 1944 et 1946), mais le fait qu’il place momentanément une partie de son espoir en Afrique l’empêche de verser dans une attitude négativiste. Dès ses premiers poèmes publiés (1944-45), Albert Béville prend le pseudonyme de Paul Niger, conscient que le poète pouvait dire des choses que le droit de réserve de l’administrateur des colonies lui interdisait.

En Afrique où le capitalisme n’était pas encore ancré, une formule économique originale pouvait être trouvée. Il pensait que le continent allait vers l’indépendance politique et la création d’une grande Nation Noire.

Dès la fin de 1946, dans un long tract, il alerte les Antillais en place et dénonce la mystification et l’absurdité que cache la départementalisation. Il est bien placé pour le faire puisqu’il est nommé Rapporteur au sein de la Commission du Conseil d’État chargée de rédiger les décrets d’application. Il connaît toutes les supercheries des ministères représentés telle, par exemple, des lois de la sécurité sociale qui devaient être appliquées insensiblement et sur une période de quinze ans au moins, sauf en ce qui concerne les allocations aux vieux travailleurs (« aucun danger, la moyenne d’âge est de 35 ans aux Antilles »).

photo © collection particulière de Mme Béville Édouard Glissant au podium, Albert Béville assis à droite; Congrès Mondial des Écrivains et artistes noirs, 25-31 mars 1959, Rome (cliquez dessus pour voir la photo en grand format)

photo © collection particulière de Mme Béville
Édouard Glissant au podium, Albert Béville assis à droite; Congrès Mondial des Écrivains et artistes noirs, 25-31 mars 1959, Rome
(cliquez dessus pour voir la photo en grand format)

Albert Béville adhère au Rassemblement Démocratique Africain et, comme ami de tous les leaders africains turbulents, l’Administration est impuissante à prendre des sanctions contre lui. Au Congrès Mondial des Écrivains et Artistes noirs à Rome en mars 1959 il rencontre Édouard Glissant qui vient de recevoir le prix Renaudot (1958) pour La Lézarde. Le compte-rendu du Congrès – paru dans Présence Africaine, dont Niger/Béville est membre fondateur depuis 1946 – est, selon lui, timide.

En 1958 et 1959, il représente la Fédération du Mali (Soudan-Sénégal) à Paris et, de la fin de l’année 1959 jusqu’en 1960, il est Inspecteur Général des Affaires Administratives et Président-Directeur de l’Office de Commercialisation Agricole du Sénégal.

À Paris, Albert Béville fonde, avec E. Marie-Joseph et Édouard Glissant, le Front des Antilles-Guyane pour l’Autonomie dont le succès est concrétisé par la participation des Antillais de France aux meetings de 1960. Au Congrès inaugural du Front des Antilles-Guyane pour l’Autonomie des 22 et 23 avril 1961, il est chargé du rapport politique, et écrit la brochure Les Antilles et la Guyane à l’heure de la Décolonisation. En juillet 1961, cette brochure est saisie, le Front est dissous et Béville est rétrogradé administrativement.

De 1956 à 1961 il écrit des articles politiques et économiques pour la presse allemande, américaine et belge, et dans des revues telles Esprit et Partisans. Plusieurs brochures sur les problèmes de la Caraïbe et d’une Fédération possible des Antilles sont éditées et saisies.

En 1961, Albert Béville est interdit de séjour aux Antilles. Il est refoulé au départ d’Orly vers l’Afrique. Trompant la surveillance policière dont il est l’objet, il prend le Boeing tragique du 22 juin 1962 vers son île natale.

Puis ce fut la terre comme un poing
(Apatride, inachevé et inédit)

Grand (1 mètre 80) et sportif – pratiquant le football, puis le basket, le tennis et la natation – Albert Béville est athée, mais ne pratique pas l’anticléricalisme automatique (malgré des heurts avec certains missionnaires en Afrique). L’aventure de Cuba le passionne: dans un poème adressé à Fidel il crie son admiration. L’avenir des Antilles le polarise entièrement. Caractère noble et droit, il suscite de grandes amitiés dans tous les milieux, cependant qu’il ne transige jamais sur la justice. Ainsi la guerre d’Algérie le sépare de nombreux camarades.

– texte écrit pour Île en île à
partir des informations fournies par Mme Béville, veuve de l’écrivain


Oeuvres principales:

Roman:

  • Les Puissants. Paris: Éditions du Scorpion, 1959.
  • Les Grenouilles du Mont Kimbo. Paris: Maspero / Présence Africaine, 1964.

Essais:

  • Les Antilles et la Guyane à l’heure de la Décolonisation. Paris: Éditions Soulanges, 1961.
  • « L’Assimilation, forme suprême du colonialisme ». L’Esprit 305 (avril 1962): 3-17.

Poésie:

  • Initiation. Paris: Seghers, 1954.

Sur Paul Niger:

  • Corzani, Jack. « Un ton nouveau: l’intransigeance de Paul Niger ». La Littérature des Antilles-Guyane françaises (6 tomes). Fort-de-France: Désormeaux, 1978. (tome 5, pages 18-28)
  • Kesteloot, Lilyan. « Paul Niger » dans Anthologie négro-africaine. Paris: Marabout, 1967, 1981. (N.B. Kesteloot, comme Senghor [voir infra], rajeunit Niger de 2 ans.)
  • Maximin, Daniel. L’Isolé soleil.  Paris:  Seuil, 1981.
  • Sainton, Jean-Pierre Rosan Girard, chronique d’une vie politique en Guadeloupe. Paris/Pointe-à-Pitre: Karthala/Jasor, 1993.
  • Sainton, Jean-Pierre. Les nègres en politique; couleur, identités et stratégies de pouvoir en Guadeloupe au tournant du siècle. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion (2 tomes), 1999.
  • Selbonne, Ronald. Albert Béville alias Paul Niger. Matoury: Ibis Rouge, 2013.
  • Senghor, Léopold Sédar. « Paul Niger » dans Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française. Paris: PUF, 1948, 1985: 91-104. (Sélection de poèmes de Niger de 1944-1945.)
  • Tirolien, Guy. « À la mémoire d’Albert Séville (alias Paul Niger) ». Feuilles vivantes au matin. Paris: Présence Africaine, 1977: 175. (voir ci-dessous)
  • Toumson, Roger. La Transgression des couleurs (2 tomes). Paris: Éditions Caribéennes, 1989. (tome 2, pages 487-494).

« À la mémoire d’Albert Béville (alias Paul Niger) »

Je renonce à te chanter, camarade. Mais, par-delà la mort et à travers Saint-John Perse, notre maître d’élection et le plus haut de tous, nous poursuivrons le dialogue que chacune de nos rencontres renouait avec la piété d’un rite.

Je préludais alors à voix basse:

« Et ce n’est point qu’un homme ne soit triste, mais se levant avant le jour et se tenant avec prudence dans le commerce d’un vieil arbre, appuyé du menton à la dernière étoile, il voit au fond du ciel à jeun de grandes choses pures qui tournent au plaisir ».

À quoi, faisant écho, tu répondais:

« De mon frère le poète on a eu des nouvelles. Il a écrit une chose très douce. Et quelques-uns en eurent connaissance… »

– Guy Tirolien, Feuilles vivantes au matin
(Paris: Présence Africaine, 1977, p. 175)


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Dossier préparé en collaboration avec Ronald Selbonne

/niger/

mis en ligne : 26 septembre 2002 ; mis à jour : 5 juillet 2021