Nassur Attoumani, Mon mari est plus qu’un fou…


Mon mari est plus qu’un fou : c’est un homme

(extrait)

Chaque fois que je deviens le réceptacle de ses sautes d’humeur, colère, anxiété, panique et folie pressent, contraignent, entravent mes pensées.

Ce soir-là, je décide donc de « scier les cornes du bélier à la racine du front » comme le dit si bien grand-mère.

J’ai la conviction qu’enfin ma vie de couple arrive à terme. La seule alternative qui, à présent et d’une manière effective, me tend les bras est la répudiation ou la libération. Que mon mari me quitte définitivement ou pas, je prends conscience que ma santé est plus importante qu’une union sans avenir, sans bonheur, sans amour.

Alors que j’attends l’apparition vertigineuse de mon mari, mon cœur dérive tout à coup comme un boutre démâté, sans gouvernail, pris, emprisonné, torturé dans une tempête de doute, de désespoir, d’affliction. Dans mon ventre, la sensation d’être une cale lestée de pierres. Bouleversée par cette attente incongrue, je ne sais plus où mettre ma tête.

Ce sentiment de mal-être ne naît pas à ce moment-là. Depuis des années, il marine déjà en moi. Avant chaque nouvelle confrontation, il se déhanche dans les sphères de mon corps, telle une scolopendre qui traverse un sable surchauffé. Et dans ma tête, cette bête exacerbe aussitôt ma nervosité et dégringole au fond de ma gorge. Et là, ses crocs acérés, enfoncés obstinément dans ma chair, me transpercent de concert. À l’inverse des poils qui jaillissent des pores, ces derniers ne ressortent pas de ma peau offensée. Comme une brûlure, je le sens au fin fond de ma poitrine. À l’intérieur de mes poumons, sans parler, or il faut absolument que je parle du venin de cet animal qui avilit ma dignité de femme.

Dès que son poison atteint mon cerveau, mon sang n’irrigue plus mes membres. Seules mes tresses se mettent en érection, pareilles à des cornes d’escargot.

L’âme atrophiée, paralysée, j’appréhende le propriétaire du vieux sac en cuir. Mais il demeure toujours invisible et présent comme le vent.

Je reste donc là, oreilles aux aguets, m’efforçant de détecter le moindre bruit de pas susceptible de me parvenir de l’extérieur. Je ne suis pas tranquille.

Depuis que j’ai découvert le vrai visage de mon mari, j’ai perdu mon assurance. Juste par fierté féminine, je me replie sur moi-même. Je suis semblable à un mule menacé par un corps étranger. Parce que cet homme a profité de mes faiblesses pour contrôler mes faits, mes gestes et mon mental depuis déjà fort longtemps, je suis en permanence sur la défensive.

La peur n’a donc pas intérêt à trahir la volonté de me battre qui anime mon silence, à ce moment précis. La peur n’a pas le droit de s’immiscer dans ma lutte, mon combat, ma détermination. Et pourtant, parce que je me retrouve toute seule, cette peur continue à me terrasser.


Cet extrait est tiré du neuvième chapitre du roman Mon mari est plus qu’un fou: c’est un homme, de Nassur Attoumani, publié pour la première fois en 2006 aux éditions Naïve à Paris (pages 61-63).

© 2006 Nassur Attoumani © 2006 Nassur Attoumani et Île en île pour l’enregistrement audio, 2:40 minutes.
Enregistré au Salon du Livre de Paris le 19 mars 2006


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mis en ligne : 16 mai 2006 ; mis à jour : 24 décembre 2020