Monchoachi, La Case où se tient la lune


(extrait)

Le poète, comme l’Indien, l’oreille tendue collée au sol. Il perçoit ce qui a eu lieu et résonne encore et ce qui vient.

Il vient des couleurs fauves de Carême à s’affoler.

Il entend parler créole dans un gosier créole (ce qui est rare et émouvant).

Il note cette singulière manière que nous avons de nous dévisager.

La géographie est un « montrer ». Elle est figure. Comme toute écriture, elle est d’abord marquage, empreinte faite en marchant.

Elle est ensuite le relevé du marqué, des signes et de ce qu’ils indiquent .

Qu’y a t-il de plus catastrophique que l’écriture et la terre ?

Comme la langue la géographie est un lieu symbolique. Une métaphore.

(Et cette façon très sûre d’user de mots, pour qui l’art est tout corps, tout espace.)

Chez nous, le passage du créole au français et vice versa comme un art subtil qui s’apparente au jeu de jambes au football : il fait alterner une manière de distinction et de convenance sociales avec le pur plaisir du mot et de la parole dans la bouche. Le grand art est dans la conjugaison, et d’y laisser paraître certain chatoiement.

Il y a comme cela des lieux sourds où la tendance naturelle est de forcer la voix. En Caraïbe, du fait d’un relief souvent chaotique (de morne en morne) et d’une géographie éparse (d’île en île) nous nous sommes accoutumés au saut. Nous avons pris l’habitude ici de nous héler.

Ce relief et cette géographie bondissants (de morne en morne, et d’île en île), il en perçoit l’écho en créole dans la forme de la réduplication : di i di sa / mennen pou mennen-y alé / ralé menm i ka ralé-y. Héritage de la langue des Caraïbes.

Il voit les îles (« oui, elles étaient nombreuses, les îles, et belles ») comme un texte dans lequel les consonnes ne seraient que des rochers où simplement poser le pied pour bondir dans l’ouvert du ciel et de la mer comme dans ces mots caraïbes : bonambaé – kabonakati – amalaka.

« Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables… »

Il vient des filles aux fesses matées parlant dru…

Il entend le mot qui dit la sauvegarde, dans l’hospitalité et dans l’abondance : Ikani. Il l’entend recueilli et préservé dans le coui, la langue créole, notre lieu commun : i tini, i ni, « il y a » – Cet afflux persistant.

* * *

Eti jou ka kouri ouvè kon an wélélé.

Le jour s’y lève comme une querelle. Tel un démêlé d’amants qui a pris souche dans le songe. Comme ces oiseaux pipiris qu’on y voit parfois se heurter en plein vol, dans un grand battement d’ailes. Et ils se départissent si vivement qu’ils nous laissent dans les yeux un scintillement un grand morceau de ciel blanc

« … qui dans l’emmêlement ouvrent marche à la lumière ».

« II y a parfois des pluies qui viennent tout d’un coup et en très grande abondance, et finissent de même, d’heure à autre elles cessent et recommencent, et cela en toutes les saisons de l’année, et notamment sur le renouveau et décours de lune. » (Anonyme de Carpentras)

Où se tient la Caraibe ? Quel est son lieu ?

(Le lieu où fut rendu au monde sa nouveauté.)

Lieu d’errance, lieu de renouement, lieu où advient un monde, c’est-à-dire le lieu d’une déclosion.

En réalité, la Caraïbe est une atopie.


Lu par l’auteur, ce texte « La Case où se tient la lune » de Monchoachi est tiré du début du recueil du même nom, publié à Bordeaux chez William Blake & Co. Edit (2002), pages 7-10.

© 2002 Monchoachi ; © 2004 Monchoachi et Île en île pour l’enregistrement audio (4:57 minutes)
Enregistré à Montréal le 24 novembre 2004


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mis en ligne : 23 mars 2005 ; mis à jour : 27 décembre 2020