Monchoachi, 5 Questions pour Île en île


Le poète et essayiste Monchoachi répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 23 minutes réalisé au Vauclin (Martinique) le 22 octobre 2011 par Thomas C. Spear.
Caméra : Janis Wilkins.

Notes de transcription (ci-dessous) : Ségolène Lavaud.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Monchoachi.

début – Mes influences
01:55 – Mon quartier
04:08 – Mon enfance
10:48 – Mon oeuvre
20:47 – L’insularité


Mes influences

Monchoachi a été très marqué dans sa jeunesse essentiellement par Baudelaire, Dostoïevski puis par la suite des philosophes tels Nietzsche, Heidegger, et énormément par Montaigne.

Également de la poésie grecque, comme Odysséas Elýtis ou Georges Séféris, ses auteurs de référence.

Sans oublier son admiration pour les auteurs en créole : le Guadeloupéen Sonny Rupaire et les Haïtiens Frankétienne et Georges Castera.

Mon quartier

Si pour lui le lieu est extrêmement important, il est plus attaché aux lieux de son enfance qu’à celui qu’il habite. Presque étranger, il ne s’y sent pas de racines. Son lieu : la commune du Saint-Esprit, où il a passé son enfance et son adolescence et y a été « irrigué », son père et ses ancêtres. Il y est retenu par la montagne, la nature, la douceur, le calme et la magie qu’il peut retrouver dans ses longues promenades dans la campagne, dans son quartier, dans les environs, magie que perd la Martinique.

Mon enfance

Ne se retournant pas vers sa petite enfance, il a peu de souvenirs. « Peut-être parce que je n’ai pas une écriture de romancier … je suis plus en prospective ». Ses souvenirs sont les années 1950, les jeux, dans la magie prégnante de la Martinique du XXe siècle, disparue vers les années 1970-80, chassée par la modernité. Il en garde une profonde nostalgie.

Monchoachi évoque son père, grand-père maternel et oncles, et souligne leur importance. Ce sont les passeurs qui informent, racontent, transmettent l’ambiance de convivialité. La disparition des animaux, il regrette les vols de myriades d’oiseaux, aujourd’hui perdus.

Habitant au centre du bourg, il se souvient de « la fête de la petite commune », et surplombant la place où se tenait « le damier, c’est-à-dire le tambour, et il résonnait toute la nuit dans ma tête et dans mon cœur. Je ressentais même la sueur des combattants, car c’était des combats féroces. C’était un jeu mais qui pouvait dégénérer, … et se terminaient quelquefois par mort d’homme, donc il y avait un côté tragique ». Les enfants contemplaient le spectacle du balcon. Le chouval bwa, les manèges que l’on poussait à la main aussi ont disparu, « c’était dangereux, car on pouvait être accroché quand il tournait ».

À cette époque, il était interdit de parler créole. Dans la cour de récréation, ils le parlaient tous mais, arrivés devant la porte de la classe, c’était fini. Il s’étonne lorsqu’il passe devant un établissement primaire aujourd’hui, car on ne l’entend plus.

« Les jeux avec des noix de cajou ou avec des cerceaux, tout ce que l’on ne voit plus. … Tout était sensible et sensuel. … Les enfants ne montent plus dans les arbres pour aller cueillir des fruits. … À l’heure du déjeuner, il fallait venir nous chercher car nous étions dans les arbres ».

Mon œuvre

L’œuvre se décline en deux parties : La poésie et des essais, partis de réflexions. Cependant elles ne sont pas vraiment séparées, car sa perception intervient dans son écriture poétique. « Quand il s’agit d’écriture poétique, on est beaucoup plus attentif au rythme, beaucoup plus important. Il doit prendre le pas sur les idées, leur expression. C’est la priorité, c’est le rythme. Fondamental dans la poésie créole. Elle est fondamentalement basée sur le rythme, sur les sons, le battement du tambour, ce sont les sonorités qui comptent dans le créole ».

Son écriture a évolué suivant deux axes : les poèmes en créole, traduits conjointement en français, il ne s’agissait pas vraiment de traduction, mais une autre écriture du même poème, en partant du poème, aller vers un rendu, une interprétation du texte en français. Actuellement, dans la troisième phase, le texte est écrit en français avec une recherche constante du rythme créole. La syntaxe créole crée une sorte de « pertes de repère » pour le lecteur uniquement francophone, non créolophone, car il y a une rupture au niveau de la phrase, car le créole n’emploie pas un certain nombre de conjonctions – telles que « que » ou « qui » – qui sont nécessaires en français. Il y a donc au niveau du rapport de la langue avec le réel une sorte de contact constant. Il n’y a pas de cette construction d’une langue rationnelle comme est la langue française qui se construit à partir de concepts. Le créole est une langue extrêmement sensible et qui est tout le temps en contact avec la réalité, avec la « chose » qu’elle nomme exactement. Ainsi les choses sont nommées tel qu’on peut le retrouver dans la poésie chinoise ancienne, où les choses sont à côté les unes des autres, sans rien qui les relient : « oiseau arbre tenir ». Cela renvoie au langage enfantin où les constructions de syntaxe d’une langue très rationalisée, comme avec la langue française, n’existent pas. C’est donc un véritable travail de faire en sorte – sans rendre le texte totalement illisible ou rébarbatif – d’y introduire cette vision du monde. Il s’agit d’une vision du monde où il n’est pas considéré comme un objet qui est regardé par un sujet, mais il est une réalité propre qui n’est pas construite par le sujet.

Arrivé à ce point, où le sujet du questionnement déjà était sur l’homme, une interrogation sur l’homme, mais avec une ouverture critique sur l’homme, cependant toujours marqué par une certaine dose d’illusions ou d’espoir. Aujourd’hui le champ de réflexion est déplacé, car l’homme n’est plus au centre de l’univers, mais il est toujours au revers. Il n’est plus au centre. Monchoachi veut regarder le monde et non pas l’homme, le monde et l’homme à partir de ce qu’il est et de ce qu’il en fait, et ce qu’il aurait pu éventuellement en faire. C’est-à-dire que nous sommes dans un monde qui a été façonné par un certain nombre de choses, et c’est extrêmement important dans le monde où nous vivons. C’est quelque chose qui s’est passé il y a des millénaires et qui a constitué la culture de ce monde. La base de cette culture est la religion monothéiste, ce qui est le fondement de notre monde.

Son interrogation actuelle est de savoir ce que ce monde serait devenu s’il avait été laissé entre les mains de païens ? Cela semble la question la plus importante aujourd’hui. S’il avait été laissé entre des mains de païens aurait-il été dans cet état ? Parce que les gens sont incroyants ou athées, mais le fond, la base culturelle du monde occidental, est le monothéisme, que ce soit juif, musulman ou chrétien. Le fond monothéiste constitue cette séparation, ce projet de l’homme dans le monde, où le monde est considéré comme lui appartenant. Il ne vit pas avec le monde, mais plus ou moins le monde lui appartient et c’est lui qui le façonne.

La vision païenne du monde est plus respectueuse, car elle considère que l’oiseau, l’arbre, tout ce qui peuple ce monde est autant que nous, et que nous pouvons nous métamorphoser en l’un ou en l’autre, faisant la richesse de cette vison païenne.

Lorsqu’il a commencé à écrire ce fut en créole, puis est passé du créole au français, cependant c’était un français qui était beaucoup créolisé. Toujours touché par l’œuvre de Saint-John Perse, tout cet afflux, ce mouvement rappelait beaucoup le conteur créole. La figure du conteur créole, son mouvement narratif l’ont fortement marqué.

Tourné aujourd’hui vers les mythes, rituels et cérémoniels anciens, amérindiens et caraïbes, une base d’un travail important d’écriture, surtout dans la sensibilité et la vision du monde.

L’Insularité

« Fondamentalement, c’est quelque chose qui me fait vivre ». L’insularité est un vécu faillible, précaire, comme si on était toujours au bord. Les îles dansent « au-dessus des failles », c’est une manière de dire le sentiment de l’insularité. Cette danse au dessus des failles, c’est comme le tremblement de terre, les failles de la terre, le volcan. …

L’insularité se ressent comme une sorte de présence aigüe de la précarité du monde, la précarité de quelque chose qui peut s’effondrer, où tout peut arriver à tout moment. Il n’y a pas le côté massif du continent, où l’on est bien assis, où l’on a la sécurité et où l’on est bien campé. Sur les îles, on est toujours à la recherche d’un équilibre. « C’est comme ça que je le vis, il faut passer d’un pied sur un autre, on est toujours dans le mouvement de la danse dans l’insularité. C’est fondamentalement comme ça que je vis l’insularité ».


Monchoachi

Monchoachi, 5 Questions pour Île en île.
Entretien, Le Vauclin (2011). 23 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 15 juin 2013.
Cette vidéo était auparavant disponible sur Dailymotion (mise en ligne le 19 juin 2012).
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Janis Wilkins.
Notes de transcription : Ségolène Lavaud.

© 2012 Île en île


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mis en ligne : 19 juin 2012 ; mis à jour : 26 octobre 2020