Michou Chaze, Portrait

Le Portrait d’une muse de Tahiti : Michou Chaze

par Johanna Frogier

Retour vers la culture par l’écriture

Son œuvre, Vai la rivière au ciel sans nuages, se compose de quatorze « histoires » plutôt que de nouvelles. Ce ne sont même pas des histoires à proprement parler, mais plutôt une balade de maison en maison.

Cette femme écrivain ne nous raconte pas la vie entière de ses personnages, mais une journée, une heure, cinq minutes. Un laps de temps d’autant plus intense qu’il est infime et dans lequel elle parvient à nous révéler tous leurs secrets, leurs pensées et le malaise d’un peuple polynésien que l’occidentalisation a rendu fade.

Michou Chaze a su trouver la forme littéraire la plus représentative du souvenir : le fragment. C’est ainsi que Vai se présente comme le livre de la mémoire, le livre du passé et de son passé. En effet elle raconte son enfance avec « Djanjo » son grand-père, la naissance de sa fille dans « Pour toi », l’instant d’un livre l’écrivain redevient la petite fille qu’elle était. Et, par la même occasion, elle s’exprime en poète qui rend hommage au monde d’autrefois dans lequel l’homme n’était pas seulement proche de la nature, mais en symbiose totale : l’homme se faisait de la nature, et la nature de l’homme.

Lorsque les plantes surgirent des corps humains ensevelis. De l’homme jaillit le uru (arbre à pin), le tronc était son corps, les branches étaient ses membres et les feuilles ses mains, le fruit était sa tête et à l’intérieur de celui-ci se trouvait la langue.  (p.12)

« Généalogie » : ouvre la danse en interpellant une petite fille à la recherche de son passé: « Que cherches-tu petite fille, que cherches-tu ? »  Ce récit est le plus dynamique de tous, invitant à la lecture, interrogeant son personnage et par la même occasion, son lecteur, sur ce vide qui les pousse à une quête de leur identité. Il se présente comme un véritable hymne à l’homme nature, à cette civilisation perdue.

Cependant une tristesse émane de cette œuvre qui touche profondément toute personne amenée à rencontrer Vai. Un sentiment qui est la conséquence de l’envahissement du monde traditionnel par le monde occidental, mais surtout de notre impuissance à changer tout cela, un spleen amplifié lorsqu’on se rend compte que l’accès au passé n’est possible que par l’intermédiaire du rêve ou de la mort.

« La rivière » : met en scène deux enfantements. En un lieu paisible : le Tahiti autrefois la mère met au monde son enfant en pleine nature, tranquillement et sans douleurs: « Le temps de comprendre ce qui se passe, ses mains accueillent l’enfant qui vient de naître… ». Hélas il s’agit d’un rêve, la future mère, réveillée par ses contractions, est conduite à la clinique. Et là elle connaît les douleurs de l’enfantement.

Une écriture chantante qui nous balance: du rythme lent du Tarava (chant traditionnel), on passe à la rapidité des Otea (danse composée de percussions) entrecoupée par la douceur des Aparima (danse chantée et mimée):

Lorsque Vai est là, il fait lui-même des petits tas de feuilles un peu partout dans le jardin.
Lorsque Vai est là, il masse son ventre au mono’i (huile de coco parfumée) afin qu’il ne soit pas strié de lignes.
Lorsque Vai est là, le chien n’aboie pas.  p.22.

Un spectacle qui mélange couleurs de l’arc-en-ciel à celle du néant, pour mieux nous décrire le Tahiti d’antan et ainsi agrandir le vide du peuple polynésien.

« La vieille dame » : relate l’espace d’un après-midi, le vide de l’Occident, les divisions ethniques et religieuses que la colonisation a engendrées.

« Avez-vous une religion ? »
« Et vous ? »
« Vous êtes catholique ou protestante ? »
« Je suis Paumotu. »
« Il paraît que les Paumotu sont protestants. »
« J’ai grandi aux Marquises. »
« Il paraît que les Marquisiens sont catholiques » p.30.

Malgré toute cette tristesse, Michou Chaze n’a pas oublié de rire, même de manière ironique. Lorsque son personnage se fait enfant au regard innocent, qui ne comprend pas toute la futilité de l’Occident, qui ne comprend pas pourquoi on lui impose des mots étrangers au détriment de sa langue maternelle :

« De quoi parlent-ils ? Je ne comprends rien à leurs mots. Rouler les « R » ou ne pas rouler les « R » ? C’est la question. » p.57.

Ainsi le livre de Michou Chaze est bien loin d’être un simple livre. C’est le livre de la mémoire, la peinture d’un Tahiti noir et coloré, la mélopée ancestrale que l’on a oubliée mais qui se réveille, incite à retrouver notre identité perdue, notre langue tahitienne.

Mais, et c’est ce qui fait la grande ouverture d’esprit de cet écrivain, sans bannir le français. Au contraire, brisant les usages typographiques, mots tahitiens et français se côtoient, ne forment qu’un, car ces mots ne sont que des mots et quelles que soient leurs origines ils restent encore de simples mots. De plus, il me semble que cela traduit un désir d’authenticité. En effet tout bon autochtone remarquera que ce parler est près proche du parler populaire que l’on appelle « kaina ». Elle va même jusqu’à privilégier le naturel à l’esthétique:

De temps à autre, elle [la chienne] s’arrête et se prête. L’énorme chien la monte pendant que les autres la regardent ou se battent à côté d’elle. » p.33

Pour brosser un portrait succinct de Michou, je dirais qu’elle est remplie des couleurs de notre « fenua » et surtout que c’est une femme ouverte d’esprit et de cœur. Oui! elle voudrait revoir son Tahiti, Oui! elle veut entendre le chant de la Nature, mais elle ne refuse pas le français. Elle rejette seulement les méfaits apportés par l’Occident et hélas! gardés par les Polynésiens. Michou Chaze rejette tout simplement le mauvais choix.

« Césure » : révolte contre le nucléaire, moquerie à l’égard des scientifiques : « Les hommes intelligents ont dansé le bal de la peur. Dans leur déguisement apocalyptique, ils ont coloré de jaune l’entrejambes de leur culotte ». Un manifeste qui allait de soi puisque nous l’avons bien compris l’écrivain idéalise la Nature polynésienne et le nucléaire va à l’encontre de cela.

La meilleure manière de conclure ce portrait serait de faire entendre la voix de Michou Chaze elle-même à notre génération:

Essayez d’être le plus possible des polynésiens!
Vivez dans les maisons tahitiennes!
Mangez tahitien!
Dansez tahitien!
Parlez tahitien!
Soyez tahitiens!
 

– Johanna Frogier
le 19 octobre 2000

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mis en ligne : 1 mars 2007 ; mis à jour : 21 octobre 2020