Michèle Voltaire Marcelin, 5 Questions pour Île en île


Poète, peintre et comédienne, Michèle Voltaire Marcelin répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 17 minutes réalisé à Brooklyn le 5 novembre 2011 par Jocelyn McCalla.

Dossier présentant l’auteure sur Île en île : Michèle Voltaire Marcelin.

début – Mes influences
03:19 – Mon quartier
05:25 – Mon enfance
08:30 – Mon oeuvre
14:29 – L’insularité


Mes influences

Des influences, je ne sais pas, mais j’ai eu des passions littéraires éclectiques et multiples. Des coups de coeur au hasard : Prévert et Céline pour leur liberté d’écriture. Desnos, Carco. J’ai lu un poème de Carco, « L’Ombre », dans une anthologie de Seghers – elle est ravagée, mais je la possède toujours :

Ce n’est pas toi
C’est tout ce que tu me rappelles
Comme j’étais triste avant de te connaître
Comme je m’enfonçais avec délices dans ma tristesse
En marchant dans les rues
En entrant dans les bars
En suppliant la nuit, les ombres de parler
Sans cesser d’errer et d’aller
Mais partout il était trop tard…

J’avais treize ans. C’était l’époque où je m’alcoolisais de tristesse. Ferré et Brassens m’ont fait découvrir à leur tour Verlaine, Villon et Rutebeuf. Un grand favori a été Balzac. Et puis Molière, Dumas. J’ai eu le bonheur de découvrir des textes qui sont devenus des livres de chevet – que je peux ouvrir au hasard juste pour le plaisir et le pouvoir des mots : L’année de la mort de Ricardo Reis de José Saramago, Cyrano de Rostand, n’importe quel volume d’Aragon – la musique traverse tous ses poèmes. Mère Solitude d’Émile Ollivier m’a bouleversée. Le Misanthrope de Molière. Le Journal littéraire de Paul Léautaud a été une révélation. Le Mal aimé d’Apollinaire. Tout Maurice Sixto et les contes que me racontait Manzè Lò dans nos séances nocturnes de krik krak. « Des contes remplis de créatures maléfiques, d’anges aux ailes fragiles et d’orangers en fleurs… ».

Je crois que mon écriture est née de tout cela… de la musique qui se dégageait de tout cela.

Mon quartier

Tous les quartiers où j’ai vécu ont disparu. Même s’ils existent toujours sur une carte, ils ne sont pas restés les mêmes, donc c’est en moi que je porte les lieux qui m’on marquée. C’est dans ma géographie émotionnelle que je garde tous ces lieux. Même avant le tremblement de terre qui a fracassé Port-au-Prince, ma ville, les points de repère avaient déjà changés. Les gens qui étaient spécifiquement liés à cette ville avaient disparu, étaient partis ou étaient morts. Côte-Plage et le bord de la mer, disparus. Le Thomassin de mon enfance n’est plus. Toute la Grand-Rue, le bas de la ville jusqu’au Bicentenaire, toutes ces rues que je quadrillais pendant mon adolescence, on ne les reconnaîtrait pas – tout cela n’existe que dans ma mémoire. À Santiago où j’ai vécu, j’ai habité trois quartiers – mais après le coup d’État contre Allende – avec le temps, après le temps, qui les reconnaîtraient ? J’habite à New York depuis une trentaine d’années dans plusieurs quartiers, mais ils ont tous changé. Les lieux de mémoire qui ont gardé une certaine constance ce sont les lieux de plaisance et les lieux de culture : le Jardin botanique, le Musée, la grande Bibliothèque et puis le beau parc, Prospect Park. C’est là que je me promène en pieds poudrés que je suis ; c’est là que je flâne, que je drivaille à la recherche d’un rythme, d’une certaine musique de mots, d’une inspiration.

Mon enfance

Mon enfance, c’est l’époque où j’ai souvenir d’une grande liberté. Une merveille. C’est une histoire d’amour. Mon enfance est une histoire d’amour ; une source d’inspiration.

« L’enfance était verte et douce, inondée de soleil, la mer se fondait au ciel… »

« Le pays de l’enfance a une certaine odeur et il en émane une lumière particulière. Nous habitions à la Croix-des-Vents, près d’un sentier qui menait vers la mer. Pas loin d’un terrain où étaient liées en bâles des racines de vétiver. Ce parfum boisé, tenace, qui semblait sortir de la terre même, ce parfum prêt pour moi à toujours revenir, il me suffit de l’évoquer pour que me revienne en bouffées toute mon enfance. Tout était blanc. Blanc de soleil. Les champs de canne à l’horizon et le reflet des galets sur la plage. Je me souviens d’une maison vaste et claire à l’entrée de laquelle fleurissait un jasmin. Il y avait un piano-punition dans la bibliothèque de mon père, une grande chambre à trois lits pour mes frères, des mosaïques au sol, des murs tachés du rose des lauriers, et un chêne dont les fleurs minuscules couvraient le rectangle bleu de la piscine. Dès la tombée du jour, on allumait les lampes et la lumière attirait les insectes qui venaient mourir dans les globes de verre. »

L’adolescence a été la perte de ce monde rêvé, de ce monde mythique, et je suis retombée dans la réalité. Je me suis rendue compte qu’il y en avait d’autres qui vivaient un travail forcé ; forcé par leur quotidien, forcé par leur destin…. « Celles qui de l’aube au soir, les pieds dans la poussière, chantaient la tristesse inexorable de la faim… ».

Mon angoisse a été provoquée par mon impuissance présumée à influencer le destin. Mais Sixto a su raconter la vie des filles d’Haïti. Lea Kokoye et Ti Sentaniz sont des chefs d’oeuvre.

Mon œuvre

Je suis une artiste intuitive. Je crée quand je suis touchée par quelque chose ; quand je suis témoin. Cela peut être une phrase jetée au hasard, une scène entrevue, la couleur du ciel, puis un évènement, petit ou grand. Alors la sève monte et je ne sais pas trop si cela va se traduire par un poème ou par une toile. Il est sûr qu’après, on va se tordre avec les mots ou avec les couleurs sur la toile. On se jette sur l’établi et alors c’est le travail – parce que les mots et les couleurs sont parfois rétifs. Il faut aller du personnel à l’universel pour que ce qu’on fait puisse être transmis aux autres – parce qu’un artiste, c’est quelqu’un qui peut transformer ce qui lui arrive dans sa vie propre en quelque chose qui va perdurer dans la mémoire des autres. Bien que je me sois toujours définie comme une artiste, l’écriture elle-même et sa part de poésie, est un cadeau qui m’est venu très tard. La Désenchantée a été publiée en 2005 ; Amours et Bagatelles et Lost and Found en 2009. Finalement, j’ai écrit la poésie que je voulais dire quand j’étais prête à le faire. Le credo de Ferré est devenu le mien. Quand Ferré dit :

« La poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique… toute poésie destinée à n’être que lue et enfermée dans sa typographie n’est pas finie; elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale, tout comme le violon prend le sien avec l’archet qui le touche. »

C’est beau !

La poésie doit être vivante en scène. Mon plus beau cadeau c’est quand les gens sortent d’une prestation et me disent : Je ne pensais pas aimer la poésie, mais si c’est ça… alors oui ! Alors, ça, c’est un beau cadeau.

(Clip vidéo : Confession d’une danseuse de Tango)

Tout cela est très proche du théâtre que j’ai découvert à 8 ans : c’était Cyrano de Bergerac à la Comédie française. J’ai été transportée. Cette découverte pour moi est au même niveau que celle dansCent ans de solitude de García Márquez quand Aureliano Buendia raconte le jour où il a découvert la glace. C’était le miracle ! Alors pour moi, le théâtre c’était le miracle. On pouvait donc s’échapper de soi-même ? On pouvait donc devenir quelqu’un d’autre ! C’était extraordinaire. C’était le miracle.

(Clip vidéo: Caresse de DemoiselleRapJazz)

L’Insularité

L’insularité, c’est un synonyme d’enfermement, d’encerclement. C’est une camisole de force.

Il y a plusieurs sortes d’enfermements: émotionnel, social, économique, religieux, politique. Et puis il y a quand même un paradoxe sur le concept d’île : parce que les gens du dehors ne voient pas une île de la même façon que les gens qui y vivent. Du dehors, on voit une île comme un endroit de découverte; c’est l’Île au Trésor ! Du dedans, c’est une prison de laquelle on doit s’échapper ; et parfois les gens prennent des embarcations de fortune pour sortir de cette prison. Mais ce n’est pas seulement sur une île qu’on souffre d’enfermement. C’est la petitesse d’esprit des gens ! Que ce soit dans une grande ville ou une ville de province d’un grand pays. C’est comme dans la chanson de Brassens :

« Mais les braves gens n’aiment pas que l’on prenne une autre route qu’eux… »

Moi personnellement, je suis plutôt comme un renard qui préfère se ronger la patte quand il est pris au piège pour retrouver la liberté. Je ne supporte pas l’enfermement. Je préfère me mutiler ; me mutiler et fuir.


Michèle Voltaire-Marcelin

Voltaire Marcelin, Michèle. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Brooklyn (2011). 17 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 15 juin 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 3 janvier 2012  jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Jocelyn McCalla.

© 2012 jmc strategies et Île en île


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mis en ligne : 3 décembre 2012 ; mis à jour : 26 octobre 2020