Savinien Mérédac

Savinien Mérédac

Auguste Esnouf, alias Savinien Mérédac
photographe inconnu. circa 1935

Savinien Mérédac, pseudonyme d’Auguste Esnouf, né à Port-Louis le 3 juin 1880, décédé à Curepipe, le 19 décembre 1939.

Auguste Esnouf a exercé le métier d’ingénieur de 1903, date de son retour à Maurice, à son décès en 1939. À la fin de ses études secondaires, il avait été lauréat de la Bourse d’Angleterre, récompense réservée au meilleur élément du secondaire et offrant une prise en charge complète d’études tertiaires en Angleterre. Son parcours fut brillant et Auguste Esnouf revint à Maurice pour occuper des fonctions d’ingénieur dans la plus importante forgerie locale dont il devint par la suite le directeur. Il consacra une large partie de ses activités à la mise au point de nombreuses inventions destinées à résoudre des problèmes industriels et améliorer la productivité des usines locales. Certaines de ces inventions ont été brevetées.

Une autre passion d’Auguste Esnouf a été l’écriture et, en une dizaine d’années, sous le pseudonyme de Savinien Mérédac, il a publié Sincérités (1923), Miette et Toto, Histoire de deux enfants de l’ancienne Île de France (1924), Polyte (1926), L’épingle de cravate (1929), Pauvres Bougres (1930) et Des histoires (1932) tout en publiant des contes dans des journaux et revues. L’action de ses nouvelles, contes et romans se déroule toujours dans des contextes campagnards car il puise la matière de ses écrits dans la vie de personnes humbles. Ses descriptions des situations sociales sont marquées par une approche franche et sincère. L’écrivain mauricien Marcel Cabon le compare volontiers à Maupassant par l’émotion qui sous-tend l’écriture de Mérédac lorsque celui-ci développe ses « histoires de paysans et de pêcheurs, de ces gens qu’on regarde sans les voir, qui ont aussi une âme, une pensée, des espoirs, des souffrances… »

Tous les personnages que l’on rencontre chez Mérédac, gens du peuple comme bourgeois, sont saisissants de vérité. Dans son Histoire de la littérature mauricienne de langue française (1978), Jean-Georges Prosper qualifie Mérédac de « romancier des pauvres bougres » car on y retrouve les tribulations de gens de statuts divers à qui la vie réserve des surprises parfois bonnes, mais souvent désagreables. Baghann, le bourreau, qui avait de par son métier exécuté tant de criminels finit par se suicider à cause du regard implacable des autres. David, le charretier, appelé à livrer des colis de poids et volumes considérables dans les ruelles de Port-Louis, a à peine de quoi se nourrir. Timothée, le clerc de notaire, soucieux de partager l’histoire de sa vie en publiant ses mémoires, y perd ses économies car l’ouvrage ne se vend guère. Le contemplatif Mourette, poète plus qu’homme d’affaires, se ruine la santé et meurt de surmenage. Polyte est l’exception qui confirme la règle car il est le seul qui s’en sort en réalisant un crime parfait : il se débarrasse de celui qu’il croit être l’amant de sa femme, du fils qu’il suppose être celui de l’amant et de sa femme qu’il répudie. Savinien Mérédac est un écrivain proche des misères et des réalités sociales et a su dépeindre sans compromis la situation de la société contemporaine, exposant – parfois de façon brutale – les tensions sociales et les oppositions très vives entre noirs descendants d’anciens esclaves et indiens issus de l’immigration massive post-abolition… Par ailleurs, Mérédac a été le premier écrivain mauricien à avoir recours spontanément et abondamment au créole dans ses romans, reprenant dans ces années 1920 ce recours à la langue du peuple que, quarante ans plus tôt, Charles Baissac décrivait et défendait comme une langue en voie d’extinction.

On a longtemps cru qu’entre Charles Baissac, auteur de la première étude sur le créole mauricien (Études sur le patois créole mauricien, Nancy, 1880) ainsi que de contes, légendes et chansons créoles (Le Folk-lore de l’île Maurice, Paris, 1888) et Dev Virahsawmy, écrivain et homme politique, qui a renouvelé l’intérêt pour le créole en 1967 à la veille de l’indépendance en lui conférant un statut de langue nationale, personne ne s’était intéressé à cette langue, surtout à son fonctionnement. Une telle conclusion serait faire peu de cas de l’importance que Savinien Mérédac accorde au créole qu’il intègre abondamment dans ses romans, mais sur laquelle il développe des travaux de recherche qu’il publie dans la revue littéraire L’Essor. En effet, entre mai 1926 et février 1927, paraît Petits entretiens sur notre patois, une analyse fort documentée répartie sur sept livraisons de L’Essor et qu’il présente comme « le divertissement d’un amateur de linguistique. » Sur plusieurs points, Mérédac contredit son prédécesseur Charles Baissac pour les exemples trop limités que celui-ci aurait choisis ou pour les nombreuses conclusions discutables de son étude, mettant donc en question l’autorité attribuée aux conclusions de son prédécesseur sur ce champ d’étude. Enfin, les exemples choisis par Mérédac permettent de disposer d’un état global du créole mauricien dans les années 1920. Autre initiative heureuse en matière de créole : les analyses philologiques que Savinien Mérédac publie de 1931 à sa mort en 1939 et qu’il fait imprimer systématiquement sur la troisième de couverture de la revue L’Essor. Cette abondante base de données est constituée de 96 fiches rassemblant 250 analyses de mots ou locutions du créole local de ces années.

Secrétaire de l’Alliance Française pendant quinze ans, Auguste Esnouf rédigeait également des critiques littéraires pour le quotidien Le Mauricien sous le pseudonyme de Jacques Sincère. Il collaborait au journal Le Radical ainsi qu’à l’hebdomadaire La Vie catholique. Aucun exemplaire ne subsiste malheureusement de la revue Échos Littéraires qu’il avait fondée en 1898 et qui parut jusqu’en 1902.

Mérédac/Esnouf a laissé une forte empreinte sur la littérature romanesque mauricienne. Son credo d’écrivain se résumait à ces mots qu’il avait consignés dans ses carnets personnels : « Tel écrivain écrit avec son cœur, celui-là avec son cerveau, celui-là avec ses nerfs. L’essentiel est de ne pas écrire avec sa main. » Pour lui, c’était le cœur qui devait parler. Et ce qui le passionnait, c’était le franc-parler créole, imagé, coloré, direct, fort. « Si nous ne prenons garde, écrivait-il en janvier 1937 dans L’Essor, la langue appauvrie entre nos mains négligentes se videra de son âme. C’est ce mal qu’il faut empêcher à tout prix. » Les romanciers qui lui ont succédé – Clément Charoux, Arthur Martial, Marcel Cabon, Andre Legallant, pour ne citer que ceux-là – lui doivent tous d’avoir ouvert des portes sur le tissu social mauricien, ses complexités et ses intrigues passionnantes qu’ils exploiteront par la suite.

– Robert Furlong


Oeuvres principales:

Romans:

  • Sincérités. Port-Louis: The General Printing and Stationery Cy, Ltd, 1923. 178p.
  • Miette et Toto. Histoire de deux enfants de l’ancienne Isle de France. Port-Louis: The General Printing and Stationery Cy, Ltd, 1924. 340p. Réédition: Trou d’Eau Douce: L’Atelier d’écriture, 2010.
  • Polyte. Port-Louis: The General Printing and Stationery Cy, Ltd, 1926. 335p. Rééditions: Trou d’Eau Douce: L’Atelier d’écriture, 2009. 173p.; Paris: Lattès, 2011. 219p.; Île Maurice: Atelier des nomades, 2018.
  • L’épingle de cravate. Port-Louis: The General Printing and Stationery Cy, Ltd, 1929. 193p.

Contes et nouvelles:

  • Pauvres bougres. Nouvelles et contes. Port-Louis: The General Printing and Stationery Cy, Ltd, 1930. 282p.
  • Des histoires. Port-Louis: The General Printing and Stationery Cy, Ltd, 1932. 212p incluant les contes Le Triomphe du rêve, Le Message, La Saisie et Furcy.
  • Labec-bouloire. Île Maurice: Collection AlmA, 2003.
  • Seconde communion. Trou d’Eau Douce: L’Atelier d’écriture 1 (juillet 2009).
  • Azazel et autres nouvelles. Trou d’Eau Douce: L’atelier d’écriture, 2013. 77p

NOTE : Les Classiques Garnier numérique ont réalisé en 2008 des éditions électroniques de certaines œuvres de Savinien Mérédac pour leur collection « Corpus des littératures de l’océan Indien » (disponible sur abonnement institutionnel). Sont concernés les titres suivants : Sincérités, Polyte, Miette et Toto, L’épingle de cravate et Pauvres bougres.

Titres honorifiques:

  • 1921     Médaille d’argent de l’Alliance Française.
  • 1928     Prix de l’Académie Française pour son œuvre.
  • 1932     Chevalier de la Légion d’honneur (France).
  • 1938     Président d’honneur de la Société des écrivains mauriciens.

Sur l’oeuvre de Savinien Mérédac:

  • Anthologie des lettres mauriciennes, présentée par K. Hazareesingh. Port-Louis: Éditions de l’océan Indien, 1978.
  • Écrits sur Maurice, anthologie présentée par Barlen Pyamootoo. Trou d’Eau Douce: L’Atelier littéraire, 2020. 238-241.
  • Furlong, Robert et Vicram Ramharai. Panorama de la littérature mauricienne. La production créolophone, Vol. 1: Des origines à l’indépendance. Port-Louis: Collection TIMAM, 2008: 375-422.
  • Joubert, Jean-Louis, Amina Osman et Liliane Ramarosoa. Littératures francophones de l’océan Indien – Anthologie. Paris: Éditions de l’océan Indien / Agence de coopération culturelle et technique, 1993: 90-91.
  • Magdelaine-Andrianjafitrimo, Valérie. « L’océan Indien: deux ‘classiques’ mauriciens de l’époque coloniale, Polyte et Grand Port ». Nouvelles Études Francophones 27.1 (2012): 309-313
  • Mew, Evelyn Kee. « Terre/Mer et les enjeux de la territorialisation chez Savinien Mérédac et Marcel Cabon ». Nouvelles Études Francophones 32.2 (2017): 85-94.
  • Prosper, Jean-Georges. Histoire de la littérature mauricienne de langue française. Port-Louis: Éditions de l’océan Indien, 1978: 153-154; 180.

Liens:

ailleurs sur le web:


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Dossier Savinien Mérédac préparé par Robert Furlong

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mis en ligne : 17 novembre 2020 ; mis à jour : 17 novembre 2020