Massillon Coicou, « Yankisme »

                                                                           J. J. Audain

Il faut de l’or, – ou rien, – pour être, – ou ne pas être,
Time is money. Le crime aussi.
Or faisons fi du bien ; car l’honneur enchevêtre ;
C’est par le mal qu’on réussit.

Or, des droits du plus faible et de toutes ces choses
Qu’on vient nous conter à présent,
De ces illusions dans les cerveaux écloses,
Moquons-nous-en ! Moquons-nous-en !

Et toujours de l’argent ! toujours de grosses sommes !
Beaucoup d’or pour l’Américain !
All right ! droit vers le but, quel qu’il soit, où nous sommes
Attirés par l’espoir d’un gain !…

Cotton is king !… Ainsi, tandis qu’ils se réclament
De tant d’hommes, au cœur si droit ;
Ainsi, comme l’Anglais, ces fiers yankees proclament
Que la Force prime le Droit !…

Ah ! ce n’est pas ainsi que vous disiez, naguère ;
Ce n’est pas ainsi que, jadis,
Vous alliez, conviant pour la suprême guerre,
La France à soulever ses fils.

Et des noirs en étaient, pleins de leur foi robuste,
Qui combattaient sous vos drapeaux,
Qui faisaient triompher la cause la plus juste,
La plus digne pour des héros !

Oui, l’on vit tous ces noirs, que la sainte pensée
De la justice illumina,
Raviver, de leur sang, la liberté lassée
Devant les murs de Savannah.

Et – le savez-vous bien ? – ces chevaliers, ces braves,
Aux élans, aux cris merveilleux,
Ils venaient de cette île où grandissaient – esclaves
La pléiade de nos aïeux.

Alors, vous étiez beaux ! vous gardiez l’attitude
Des vengeurs de la liberté ;
Vous étiez grands alors, sans cette platitude,
Sans ce mépris de l’Équité.

Vous poussiez de longs cris de haine, d’anathème,
Contre ces grands, contre ces forts,
Qui foulent sous leurs pieds les lois de l’Honneur même !…
Vous étiez sublimes alors !

Vous n’aviez que dédain pour des peuples qui grouillent
De géants prêts au vil larcin,
Prêts à mettre à la gorge, en même temps qu’ils fouillent
La poche, un poignard d’assassin !…

Et c’est avec orgueil que votre voix proclame
Les Washington et les Franklin,
Dont le rayonnement ne vous meut rien dans l’âme,
Et dont vous hâtez le déclin !

Ah ! combien doivent donc tressaillir ces grands hommes,
Jusques au fond de leurs tombeaux,
Quand vous nous menacez, oubliant que nous sommes,
Nous aussi, fils de tels héros !

Ah ! combien doivent-ils gémir de vous entendre
Nous traiter d’un air dédaigneux,
Nous, les fiers rejetons de ceux qu’ils durent prendre
Pour mieux lutter, pour vaincre mieux !…

Aussi, dans nos esprits, voyant que ces génies
Qui de vos élans sont témoins,
Le sont encor, surtout, de vos ignominies,
Nos cœurs saignants, souffrent bien moins.

Car, dans tous ces accès où, pareils à tant d’autres,
Vous vous montrez lâches et fous,
Nous en appelons moins à nos aïeux qu’aux vôtres
Des attentats commis par vous !


« Yankisme », par Massillon Coicou, est extrait de son recueil Poésies nationales, publié pour la première fois en 1892 à l’Imprimerie Victor Goupy et Jourdan à Paris (pages 102-105 de l’édition 2005 des Presses Nationales d’Haïti).


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mis en ligne : 21 mai 2008 ; mis à jour : 22 octobre 2020