Magloire-Saint-Aude

Magloire-Saint-Aude en 1940 © Jean-Michel Place

Magloire-Saint-Aude en 1940
© Jean-Michel Place

Le récit de la vie de Magloire-Saint-Aude ressemble à ce portrait contrasté qu’il fait de lui-même dans Dimanche. Comme si dans sa vie même, il avait voulu déjouer les tentatives de ceux qui essaieraient de mettre à jour son énigme, de donner à son oeuvre comme à sa personne une quiète permanence, une forme, un nom et un message, une promesse rassurante de signification.

Mais que sait-on au juste de Magloire-Saint-Aude ? Des événements, quelques faits parfois contradictoires. Il naît à Port-au-Prince le 2 avril 1912, il porte alors le nom de Clément Magloire fils. Héritier d’une famille notable (son père est le célèbre fondateur du journal Le Matin), il étudie dans plusieurs écoles fréquentées par l’élite (Le Petit Séminaire Collège Saint-Martial, L’Institution Saint-Louis de Gonzague et L’Institut Tippenhauer). Il publie ensuite très jeune, ses premiers poèmes dans les revues La Relève et Le Matin. Il participe au mouvement indigéniste des « Griots » aux côtés du poète Carl Brouard et du jeune François Duvalier qui allait devenir celui qu’on sait. Clément Magloire fils est alors secrétaire général de la revue du mouvement intitulée Les Griots et cette revue sera le premier espace où sa révolte trouvera à s’exprimer. Mais il se distancie assez rapidement des Griots pour suivre « d’instinct » une nouvelle voie et une nouvelle pratique d’écriture que Philippe Thoby-Marcelin préfaçant son premier recueil qualifiera de surréaliste. Adoptant cette appellation, il la fera sienne en revisitant et adaptant à sa propre recherche poétique le surréalisme de Breton.

1941 est une année décisive : il publie coup sur coup Dialogue de mes lampes et Tabou et devient Magloire-Saint-Aude en rejetant le prénom de son père et en ajoutant à « Magloire » le nom de sa mère. Il se crée ainsi son propre nom et sa propre écriture. Parallèlement à son oeuvre poétique, il se consacre au journalisme : il écrira quasiment jusqu’à sa mort un nombre impressionnant d’articles et de chroniques dans plusieurs journaux et quotidiens. Il vit alors en « paria » dans un quartier pauvre de Port-au-Prince (à Martissant), fréquente les bouges, les bars, les bordels, jouant jusqu’au bout ce personnage qu’il s’était créé. Cependant, ce monde de la rue et de la nuit l’inspire pour ses chroniques et, indirectement, pour sa poésie. Il rencontre et impressionne favorablement Breton lors du passage de celui-ci en Haïti, mais ne participe nullement à la révolte qui suivra ce séjour. Sa recherche poétique par contre s’intensifie : il assume et revendique pleinement son hermétisme et sa révolte.

Il publiera quelques textes en prose, versions retravaillées de ses chroniques et articles dans les journaux, oeuvres courtes, incisives qu’il nommera, avec désinvolture, ses travaux « d’écrivain professionnel ». La qualité de ces textes est en effet inégale, mais certains, brillants au ton direct, ironique et percutant témoignent d’une autre facette très peu connue de son écriture. Son dernier recueil de poèmes, Déchu (1956), met délibérément fin à son aventure poétique. Tous les textes ultérieurs seront en effet des inédits ou des publications posthumes. À partir de 1967, celui qui est maintenant le président Duvalier père lui accordera, dans un geste assez ambigu, une allocation mensuelle dont il bénéficiera jusqu’à sa mort. Son profond pessimisme le tiendra cependant toujours éloigné du pouvoir et du politique, de droite, comme de gauche. Il ira à la même époque à l’hôpital et en prison. Il sera caustique dans ses articles envers les élites, silencieux sur ses intentions, un révolté du désengagement, souvent ivre et seul. Il ne sera l’homme d’aucun parti, d’aucun mouvement, d’aucune cause, d’aucune école.

Il meurt finalement, après plusieurs séjours à l’hôpital, le 27 mai 1971 tout aussi seul et il a, paradoxalement, des funérailles officielles au cours desquelles des discours seront prononcés. Jusque là, il aura de moins en moins publié, ne se sera jamais véritablement expliqué sur rien et n’aura jamais écrit – si l’on excepte quelques articles souvent sibyllins – de manifeste ou d’Art Poétique.

Magloire-Saint-Aude livrera par contre une poésie elliptique, dense, ciselée et traversée par le silence et l’opacité qu’il élève au niveau d’une véritable exigence éthique et esthétique. Ces quelques pages presque blanches constituent, avec la certitude immédiate que seule la beauté peut imposer d’elle-même, l’une des œuvres les plus grandes et les plus accomplies de la littérature haïtienne et mondiale.

– Stéphane Martelly


Oeuvres principales:

Poésie:

  • Dialogue de mes lampes. Port-au-Prince: Presses de l’État, 1941, 11 p.; Port-au-Prince: Oedipe, 1957. Préface de Thoby-Marcelin.
  • Tabou. Port-au-Prince: Imprimerie du Collège Vertières, 1941, 15 p.
  • Déchu. Port-au-Prince: Imprimerie Oedipe, 1956, 16 p.
  • Dialogue de mes Lampes – Tabou – Déchu. Illustrations de Wilfredo Lam, H. Télémaque, J. Camacho. 59 p. Paris: Veuillet, 1970, 59 p.
  • Dimanche. Paris: Éditions Maintenant, 1973, 18 p.
  • Dialogue de mes lampes et autres textes: oeuvres complètes (édition établie et présentée par François Leperlier). Paris: Jean-Michel Place, 1998, 264 p. [1]
  • Anthologie secrète / Magloire-Saint-Aude, oeuvre poétique avec des textes critiques. Montréal: Mémoire d’encrier, 2012.

Récits:

  • Parias [2], documentaire. Port-au-Prince: Imprimerie de l’État, 1949, 100 p.
  • Ombres et reflets [3]. Port-au-Prince: Imprimerie Pierre-Noël, 1952, 31 p.
  • Veillée. Port-au-Prince: Imprimerie Renelle, 1956; Le Nouvelliste (29-30 mai 1971): 1; Montréal: Mémoire d’encrier, 2003.

Inédits: [4]

  • Sur la lèvre des poissons… (à Vincent Bounoure), 1964.
  • Talismans (à J. Camacho et V. Bounoure), 1968.

Articles sélectionnés: [5]

Magloire fils, Clément:

  • « Triptyque ». La Relève (1er mai 1933): 20.
  • « Chants ». La Relève (1er juillet 1933): 21.
  • « Déclaration ». (avec Carl Brouard, Lorimer Denis et François Duvalier). Les Griots 1.1 (juillet-août-septembre 1938): 1.
  • « Fédor Rascalaub ou Les Dieux du Stupre ». Les Griots 3.3 (janvier-février-mars 1939): 339-341.
  • « Gaston Criel, poète de l’Île-de-France (Bibliographie) ». Les Griots 3.3 (janvier-février-mars 1939): 342-343.
  • « Dialogue de mes lampes ». Les Griots 2.2 (oct.-nov.-déc. 1939); 3.3 (jan.-fév.-mars 1940): 695-696.

Magloire-Saint-Aude:

  • « Le surréalisme ce qu’il est ». Le Nouvelliste (26 janvier 1942): 1.
  • « Disque (« Il y avait un homme… ») ». Le Nouvelliste (20 mai 1942): 2.
  • « Disque (« Suarez écrit… ») ». Le Nouvelliste (15 juin 1942): 2.
  • « Tableau de la misère XXIV ». Le Nouvelliste (26 août 1942): 2.
  • « Disque (« Je préfère… ») ». Le Nouvelliste (15 septembre 1942): 4.
  • « Disque (« Chacun est seul… ») ». Le Nouvelliste (11 novembre 1942): 4.
  • « Tableau de la misère LIV ». Le Nouvelliste (12 novembre 1942): 2.
  • « Ombres et reflets (« I. Sur la page blanche… ») ». Le Nouvelliste (23 octobre 1953): 1.
  • « Ombres et reflets (« I. et c’est ainsi que, vivant hors de nous-mêmes… ») ». Le Nouvelliste (28 janvier 1955): 1.
  • « Ombres et reflets (« Sur la page blanche… ») ». Le Nouvelliste (22 décembre 1956): 36.
  • « Disque sur le surréalisme (extraits) » (1941). Conjonction 193 (Surréalisme et révolte en Haïti) (avril-mai-juin 1992): 39.

Bibliographie adaptée et enrichie de celle de Stéphane Martelly, parue dans: Le Sujet opaque, une lecture de l’œuvre poétique de Magloire-Saint-Aude, Paris: L’Harmattan, 2001, p. 119-173. Utilisée avec permission. tous droits réservés

Sur Magloire-Saint-Aude (articles): [6]

  • Appolon, Wesner. « Dialogue de mes lampes de Clément Magloire-Saint-Aude ». Le Nouvelliste (26 juillet 1941): 2, 4.
  • Bédouin, Jean-Louis. « Un silence parlé ». La Quinzaine Littéraire 121 (juillet 1971): 1-15.
  • Breton, André. « Poètes d’aujourd’hui: Poèmes de Magloire-Saint-Aude présentés par André Breton ». Le Figaro Littéraire 73 (13 septembre 1947): 1.
  • Brierre, Jean F. « Dieu des lampes des reflets et des ombres ». Le Nouvelliste (30 mars 1953 et 29-30 mai 1971).
  • Brouard, Carl. « Clément Magloire fils ». Le Matin (Port-au-Prince) (17 mai 1934).
  • Castera, Georges. « Clément Magloire-Saint-Aude, homme déchiré au-delà des phrases ». Chemins Critiques 1.2 (août 1989): 137-150.
  • Charles, Christophe. Magloire Saint-Aude: griot et surréaliste. Port-au-Prince: Choucoune, 1982.
  • Daumec, Gérard. « Magloire-Saint-Aude ». Optique 24 (février 1956): 51-56.
  • Delienne, Castera. « Dialogue de mes lampes ». Le Nouvelliste (22 juillet 1941): 1, 3.
  • Davertige; Hérard Jadotte et Jean-Richard Laforest. « Positions ». Cahier Kouidor 1 (décembre 1974): 64-67. [7]
  • Garret, Naomi M. Chapitre dans The Renaissance of Haitian Poetry. Paris: Présence Africaine, 1963: 184-190.
  • Glémaud, Marie-Josée. « L’espace poétique de Magloire-Saint-Aude ». Collectif Paroles 25 (septembre 1983).
  • Jadotte, Hérard. « Idéologie, littérature, dépendance ». Nouvelle Optique 4 (décembre 1971): 71-84.
  • Laroche, Maximilien. « Clément Magloire-Saint-Aude, l’exilé de l’intérieur ». Présence Francophone 10 (printemps 1978): 49-57.
  • Leperlier, François. « La solution poétique ». Magloire-Saint-Aude, Dialogue de mes lampes et autres textes – oeuvres complètes. Paris: Jean-Michel Place, 1998: 9-21.
  • Lubin, Maurice A. « Magloire-Saint-Aude, poète surréaliste d’Haïti ». Présence Francophone 3 (automne 1971): 87-93.
  • Montas, Yves. « Contexte de Magloire-Saint-Aude ». Cahier Kouidor 7.1 (décembre 1974): 68-69.
  • Rey, Ulrich. « Edris Saint-Amand et Magloire-Saint-Aude ». Le Nouvelliste (26 février 1942): 1, 3.
  • Rey, Ulrich. « Edris Saint-Amand et Magloire-Saint-Aude (suite) ». Le Nouvelliste (27 février 1942): 2.
  • Rigaud, Milo. « Magloire-Saint-Aude ». Cahiers Kouidor 7.1 (décembre 1974): 78-89.
  • Roumain, Jacques. « Préface de la première édition » in : Saint-Amand, Edris, Essai d’explication de Dialogue de mes lampes, troisième édition, pp. 7-10. (1942) Port-au-Prince: Éditions Mémoire, 1995.
  • Roumain, Michel. « Note sur Tabou ». Le Nouvelliste (22 janvier 1942): 1.
  • Saint-Jean, Serge. « Clément Magloire-Saint-Aude ou le sonneur de Martissant » (Entretien du 25 Janvier 1970). Le Nouvelliste (1e juin 1971): 1, 4. [8]
  • Thoby-Marcelin, Philippe. « Préface de « Dialogue de mes lampes » . Le Nouvelliste (29-30 mai 1971): 1.
  • Viau, Léonce. « Le Discours du Recteur de l’Université (d’État d’Haïti) ». Le Nouvelliste (1er juin 1971): 1.

Sur Magloire-Saint-Aude (essais):

  • Martelly, Stéphane. Le Sujet opaque: une lecture de l’oeuvre poétique de Magloire-Saint-Aude. Paris: L’Harmattan, 2001.
  • Saint-Amand, Edris. Essai d’explication de «Dialogue de mes lampes». (1942)  Port-au-Prince: Éditions Mémoire, 1995, 57 p.

Traductions:

In English:

  • « Dialogue de mes lampes », Antinarcissus. Surrealist Conquest 1 (Summer 1969); Antinarcissus. Surrealist Conquest (special issue, Winter 1969-1970). (San Francisco: Red Lion Press). [9]
  • « Vigil » (1956). Trans. Michael Richardson. The Dedalus Book of Surrealism. Ed. Michael Richardson. Sawtry, Cambs: Dedalus, 1993: 209-212.

en español:

  • Diálogo de mis lámparas; Tabú; Desposeído. (prólogo de André Breton; ilustración de Wifredo Lam; edición y traducción de Jorge Camacho). Huelva: Diputación Provincial de Huelva, 2002.

Notes:

1. Il s’agit en réalité de toutes les oeuvres publiées, de quelques inédits et d’une sélection d’articles et de chroniques. Tous les écrits de Magloire-Saint-Aude dans les journaux n’y figurent pas. Ce choix éditorial est expliqué dans la préface. [retour au texte]

2. Ce texte est la version remaniée du feuilleton «Tableau de la misère» publié dans Le Nouvelliste (1942). [retour au texte]

3. Ce texte constitue une compilation remaniée de la chronique « Ombres et reflets » publiée dans Le Nouvelliste (1952-1971). Magloire-Saint-Aude tiendra une troisième chronique régulière : « Disque » dans Haïti-Journal (1941-1942), quelques « Disque » paraîtront aussi dans Le Nouvelliste. [retour au texte]

4. La liste des inédits est tirée de l’édition de Jean-Michel Place. [retour au texte]

5. Magloire-Saint-Aude a publié des poèmes, mais surtout beaucoup de chroniques et des articles dans plusieurs journaux et revues : La Relève (Imprimerie de l’État, 1933-1934) ; Les Griots (Imprimerie de l’État, 1938-1940) ; Le Matin ; Le Nouvelliste(1941-1971) ; L’Assaut ; L’Action Nationale ; La Nation ; Haïti-Journal. [retour au texte]

6. Consulter aussi les bibliographies de François Leperlier et de Stéphane Martelly pour d’autres articles. [retour au texte]

7. Inédit, non diffusé, courtoisie de Maximilien Laroche. [retour au texte]

8. Important (et rarissime) entretien accordé par Magloire-Saint-Aude à Serge Saint-Jean, peu de temps avant sa mort. [retour au texte]

9. L’existence de cette traduction inédite a été signalée dans l’édition de Jean-Michel Place. [retour au texte]


Liens:

sur Île en île:

  • Extraits de Magloire-Saint-Aude : « Self portrait », « Vide », « XXX », « Le Surréalisme ce qu’il est », « Ombres et Reflets »…

ailleurs sur le web:


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Dossier Magloire-Saint-Aude préparé par Stéphane Martelly.

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mis en ligne : 15 mars 2002 ; mis à jour : 31 janvier 2016