Magloire-Saint-Aude, Extraits

Self portrait

Sa morve polluant sa moustache de cinq jours, noire, à l’encontre de ses joues envahies de broussaille couleur craie, en habits de dévoyé, sandales disloquées, le poète, aux portes du cabaret, redit la chanson du rebelle.

La bave des fantoches n’éclabousse pas l’orgueil de ses haltes, quand, vomi, ridé, ses soifs multipliées brûlent son chant.

Paupières fermées aux vertiges des bistrots, quand sonne le glas des attitudes, il hurle, le long des avenues, son monologue hanté de réminiscences.

Les libéralités de l’ami le conduisent aux apothéoses, car, Mallarmé: « Surtout, frère, ne vas pas acheter du pain ».

Magloire-Saint-Aude, Dimanche†, 1973

 

Vide

De mon émoi aux phrases,
Mon mouchoir pour mes lampes.

Recroquevillé dans mes yeux effacés,
La peine le poème hormis les causes.

Limité aux revers sans repos
Édith blanche ma face moi-même.

Rassasiant mes yeux
Du convoi de mes yeux ressuscités…

Magloire-Saint-Aude, Dialogue de mes lampes, 1941

 

XXX

Dans la cour de l’hôtel « Saint-Joseph », éclairée d’une aube hésitante, Desruisseaux rencontra la propriétaire qui injuriait un locataire. L’homme, un cordonnier hirsute, marchait, en boitant. Il se pencha, prit à l’aide de pincettes, un morceau de charbon, et alluma, en tremblant, une cigarette. Il aspira la fumée, promis de régler sa dette. Sur ces entrefaites, la marchande d’acassan arriva. Elle déposa sa marchandise sur la table. De sa longue cuiller de bois blanc, elle remua la bouillie, et, tendant la main, prit l’assiette en émail. Anita dit: « Ban’m pou deux cobs ». Elle tendit une autre assiette « Min’m bagaille ». La vendeuse emplissait les plats en silence, en frappant, par intervalles, al cuiller contre le bord effilé de la marmite. La propriétaire de l’hôtel défit le nœud de son mouchoir: elle remit à la vendeuse une pièce de dix cobs. Tout autour de la table, se tenaient, debout et affamés, des gosses en chemise. Ils léchaient la nourriture, avec des yeux ravis. À l’écart, assise par terre, l’assiette entre les cuisses, une fillette de cinq ans mangeait, en répandant la bouillie sur sa chemise de maldioc. Les membres grêles, elle montrait son sexe. Anita hurla: « Cotez pantalette-ou, ti fi? » Et elle la força à se lever. Elle l’emmena dans une pièce encombrée d’un lit de chambrée. Sur le matelas, fripé, gisait une montagne de hardes. À côté, un oratoire orné d’images (la vierge des douleurs et saint Michel-archange) était dissimulé dans un buffet sommaire, protégé d’un paravent de toile. Elle versa de l’eau dans un bol et de l’huile. Elle fit une mèche, approcha la flamme d’une allumette et debout, les mains jointes, marmonna des prières. Dans la cour, un ivrogne insultait sa femme. Il disait, d’une voix lourde de crachats: « M’di vermine nan… » Anita cessa de prier. Elle alla trouve l’alcoolique, qui s’acharnait à ouvrir la porte des latrines, et, les mains aux hanches, elle gémit: « Rou, mes zanmis, travaille-çà, m’pap capab continué’l! ». Le petit Delcé se mit à rire et son rire s’acheva dans une toux sifflante. Il était en manches de chemise, pieds nus, et son cou était enveloppé d’un mouchoir malpropre. Sa mère parut. Elle ordonna, en colère: « Montez en-hô al bouè thé-ou! ». Et ils disparurent vers l’escalier. Matthias, qui lisait son journal, et qui semblait n’avoir pas entendu, enleva ses lunettes. Il plia la gazerrz, lentement la glissa dans sa poche. Il cracha devant lui. Il dit:

– Ti-garçon-çà ap mouri toussé…

Le silence, immédiatement, régna.

Saint-Jean, le petit domestique, aligna les tasses de café dans le plateau déteint. Et le soleil entra, comme un étranger.

Magloire-Saint-Aude, Paria, 1949

 

LE SURRÉALISME CE QU’IL EST

« Surrealism opposed to any intellectualisation of art »: Le surréalisme s’oppose à toute intellectualisation de l’art (Herbert Read).
Et encore:
« Poetic inspiration has an exact parallel in dream formation »: L’inspiration poétique est en parallèle exact avec la formation du rêve.
« Le surréalisme, poésie du subconscient et de l’autopsychanalyse, est, aussi, un état d’âme, un état de révolte permanente et obstinée » (Cassou) contre le verbiage, les beaux sentiment creux. On n’accable pas de palabres melliflues un homme blessé à mort. Les bavardages élégants et de salon, le lyrisme des tirades ne sauraient être les aliments des hommes déchirés au-delà des phrases,
Le sourire de Roxane, les yeux battus des belles marquises, les beaux chagrins flous sont des thèmes faciles qui répugnent aux hommes que les violences de l’existence ont forgés.
À un certain stade de maturité, à un certain degré de clairvoyance, on dépasse de cent coudées le commun garrotté de petits préjugés, attardé à des mets fades et simplistes.
La vie est mal faite. Or, nous ne sommes pas des résignés. Nous refusons d’être dupes. Nous n’avons peur de rien : peur d’être mal compris, d’être critiqué, d’être taxé de « farceur », ou de « fou », peur de souffrir, peur de la vie, de la mort, de rien. Nous ne sommes pas des rêveurs, ni des idéalistes, ni des irréalistes… Le Surréalisme est une attitude de réaction, de défi, de méfiance. Méfiance. Méfiance contre les philosophes illusoires à l’échelle des naïfs, méfiance contre les morales onctueuses et sonores…
Attitude de dédain envers les sentences et un monde tragi-comique…
Nous plaît infiniment ce poème du maître-surréaliste Paul Éluard:
« La hache la façon de tenir un verre brisé la négation d’une fausse note les clous les fards le sens commun les algues les ravins l’éloge tout ou rien la pourriture astrale et le reflet de son délire la lune de rosée et beaucoup d’animaux gaillards dans cette ville disparue dans cette ville camarade l’orage vagabond ses prunelles éclatée son feu virtuel le brassage des graines des germes et des cendres coin des Acacias masqué d’odeurs… »
Le même Paul Eluard note: « Je n’ai pas souvent le courage de penser au lendemain. »
Et ailleurs:
« Ce que sur terre la vie est atroce! »
« Ce refrain de Fortugé méritait bien que nous nous attendrissions devant le phonographe qui nous le répéta si souvent. Pareil lapsus nous faisait ricaner de contentement. Il nous confirmait que le sens des mots, des choses, des sentiments est inépuisable. Nous qui le savions nous en tirions un avantage personnel.
« Soeur des chants anciens, poésie impure pour ceux qui sont nés des morts, impure parce que tu es moderne, parce que tu transformes et vivifies les ombres des vivants.
« Le brocart et la soie sont pour notre plante des pieds. Notre désespoir se réalise dans la mousseline des pires sous-entendus, il la parfume, notre bonheur se prend dans la toile d’araignée des plus grandes naïvetés, il l’irise.
« Images et musique pour extra-lucides… »

*

     Il n’y a pas de genre obscur… Pour n’être point surchargé de rhétorique ou de sincérité larmoyante, le message du poète n’en est pas moins un chant où la pudeur de l’émotion rejette les beaux élans. Le regret, l’angoisse sont dans l’homme. Montaigne, en 1588, parlait de ce état de « l’âme vifve et affligée sans moyen de se déclarer ». L’hermétisme, la « concentration », est le dernier échelon de la Pudeur. Le poète est l’homme de l’étrange. Dédaignant les sentiers battus, son souci immédiat est la négation de tout ce qui n’est qu’afflux sentimental, sénilité, ou verbiage d’une âme inconsolée…
Comme dit Mallarmé:
« Le sens trop précis rature
Ta vague littérature »…

Magloire-Saint-Aude, Le Nouvelliste, 27 janvier 1942

 

Ombres et Reflets

I

Sur la page blanche, nos crayons immobiles dorment sous le halo de mes lampes. Premières heures pacifiantes du soir, crépuscule ouaté de silences après les siestes longues, yeux et chair reposés, la jactance du poème n’est pas l’espoir des hommes.

« Pensez aux maux dont vous êtes exempts », édicte la sagesse musulmane:

L’abjection du « toboute » (cellule d’inculpés) du bureau de la police, la prison, et la cruelle solitude de l’esprit, le mal dormir, l’injustice des aigris, l’inquiétude douloureuse des lendemains éthyliques, les paroles irritées qui attristent et blessent nos amis…

Voici la table jonchée de cendres sur les vains discours de nos grimoires. Filles indolentes de minuit à l’effigie des stances esquissées, mon bel émoi étend son ombre sur mon buvard.

II

Avant l’aurore, l’haleine de la mer salue l’espoir de l’homme, et, vers l’orient, son regard embrasse l’horizon des montagnes couronnées d’étoiles. Fumées parfumées de la pipe culottée, cafés des bouges, balayeurs, et les mégots du soir, encore humides de la salive des beautés du bal, au bistrot, ma bouche recèle le dentifrice de la Muchacha.

Gabriel Rousseau, au « National », et Elie Bazile, au « Matin », distribuent les journaux aux facteurs.

Quatre heures du matin, Grand’Rue, c’est la halte, chez Angèle, des escogriffes en manches de chemise, voyous soûls, roulures, viragos dépeignées, pickpockets, sans-domiciles, dévoyés, pochards silencieux aux mines équivoques de mouchards…

Mais orientés vers la mer, nos pas, le long des trottoirs du boulevard, rejoignent ceux des villageoises, pieds menus dans des sandales de cuir.

Échos multipliés des mélodies rehaussées, la Tanagra a perdu son porte-bonheur, et Djoméca, au dancing, rejoue la valse de Tennessee.

Magloire-Saint-Aude, Le Nouvelliste, 22 décembre 1956

 

 

Dernier lied,
Pâles amours solennelles…

Derniers feux.

Derniers jeux.

Pour mon guignol
À mon trépas écarquillé
Sur les quais du silence.

Magloire-Saint-Aude, Déchu, 1956

 

 


 

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mis en ligne : 15 mars 2002 ; mis à jour : 26 octobre 2020