Lyne-Marie Stanley, La Saison des abattis


(extrait du Chapitre II, « Paulina, Femm’ dibout »)

Elle était née à la saison des abattis, un matin d’octobre dans une commune au nom qui gronde et y avait passé quarante ans de sa vie. Elle était petite-fille d’esclaves et fille de nèg’marron, et elle en était fière. Être la fille d’un nèg’marron ce n’était pas rien. Ses parents avaient fait partie de ce groupe de nègres qui avaient excellé dans l’art du marronage. Ils s’étaient battus pour conserver leur liberté et s’étaient installés au coeur de la forêt dont ils connaissaient les moindres secrets. Toute l’enfance de Paulina avait été bercée par le récit des faits d’armes de ses ancêtres. On lui avait parlé de leur courage, de leur vaillance. On racontait aussi qu’ils furent trahis par l’un des leurs, du temps du gouverneur Victor Hugues.

Tonton Filo passait son temps à raconter leur histoire, il y avait eu Adome, Simon, Pompée. Il répétait à qui voulait l’entendre que les nèg’marrons étaient des hommes forts et vaillants. Ils n’avaient pas peur du Blanc qui les gouvernait, ni des soldats qu’il envoyait les pourchasser jusque dans la forêt. Les enfants riaient et traitaient Tonton Filo de fou. Il était si vieux ! Il marmonnait sans cesse dans sa barbe blanche et restait presque toujours assis devant la porte de sa cabane. Quelques amis lui apportaient à boire et à manger.

Paulina l’aimait beaucoup et prenait du plaisir à l’écouter. Ces temps d’enfance la rendaient nostalgique…


Cet extrait est tiré du roman de Lyne-Marie Stanley, La Saison des abattis, publié pour la prermière fois à Matoury chez Ibis Rouge Éditions en 1996. Ces trois paragraphes forment le début du chapitre deux, « Paulina, femm’ dibout » (pages 65-66).

© 1996 Lyne-Marie Stanley ; © 2007 Lyne-Marie Stanley et Île en île pour l’enregistrement audio (1:54 minute).
Enregistré à Cayenne le 6 juillet 2007


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mis en ligne : 21 juillet 2007 ; mis à jour : 27 décembre 2020