Louise Peltzer, Remarques du traducteur

Extrait de Lettre à Poutaveri

Remarques du traducteur

Parmi les universaux, plus ou moins acceptés, des langues l’un fait l’unanimité des linguistes: la possibilité d’exprimer une idée dans une autre langue que celle d’origine, en somme la faculté de traduire. La langue tahitienne ne déroge point à cette possibilité. Toutefois, quelques observations et réserves sont nécessaires s’agissant d’une langue et d’une culture situées, au propre comme au figuré, aux antipodes des langues européennes.

Les langues sont chargées du poids des civilisations, ce sont des livres d’Histoire que l’on entrouvre à peine aujourd’hui pour découvrir leur richesse insoupçonnée.

Rameau de la famille des langues austronésiennes qui englobe une grande partie de Sud Est Asiatique, l’origine des langues polynésiennes se perd dans la nuit des temps, caractéristique qu’elles partagent d’ailleurs avec bien d’autres langues dont les spécialistes cherchent en vain les filiations.

Sur le plan linguistique les mécanismes de la langue tahitienne, la structure des phrases, les concepts sont appréhendés d’une façon bien spécifique qui en fait sa richesse… et sa difficulté.

Aussi bien souhaitons-nous parler ici en terme d’adaptation plutôt que de traduction.

Nous avons conservé dans le texte, nous en demandons pardon au lecteur, quelques termes en tahitien. Ceux-ci sont de deux sortes.

Tout d’abord, quelques mots largement intégrés dans la langue pratique des Français, comme tapu  « tabou, interdit », pareu  « paréo, pagne », fare « maisonnette végétale », vahine « femme », mana « pouvoir » etc…
Ainsi que des termes dont la traduction ne peut recouvrir le contenu sémantique exact comme: ari’i, ari’i rahi « grand chef noble, prince, roi », tahu’a « prêtre, spécialiste en… », mata’eina’a « division régionale soumise à un ari’i, district », marae « édifice religieux, familial, local ou national… ou corporatif », ahu « espace le plus sacré du marae, sanctuaire, autel », maro’ura « ceinture de plumes rouges, symbole du pouvoir du ari’i rahi », feti’i « ensemble des membres de la famille étendue » etc…

En ce qui concerne les noms des personnages principaux, nous avons conservé les noms tahitianisés, c’est en effet sous cette forme qu’ils sont connus dans le Pacifique. Le lecteur reconnaîtra sans peine la nationalité des visiteurs étrangers, les « popa’a », comme les Britaniques devenus « Paratane », les Français « Farani », les Espagnols « Paniora » et les Américains « Marite ».

Pour la prononciation des mots tahitiens, on se souviendra que toutes les lettres se prononcent. Il n’y a pas de e muet qui devient é et le u se prononce ou; ainsi on dira méréhaou pour merehau.

Les mots tahitiens sont invariables, on écrira donc des « vahine », des « fare ».

La crainte de trahir la pensée de l’auteur est permanente, nous pensons avoir évité le danger, la langue tahitienne étant notre langue maternelle. En revanche, malgré nos efforts, nous en sommes bien conscients, cette adaptation a perdu en partie la spontanéité du texte original.


Ces «Remarques du traducteur» ont été publiées pour la première fois dans Lettre à Poutaveri.  Papeete: Scoop, 1995.
© 1995 Louise Peltzer;  © 2002 Île en île


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mis en ligne : 9 janvier 2002 ; mis à jour : 26 octobre 2020