Lectures – Boutures 1.3

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Lectures
vol. 1, nº 3, pages 56-58

 

Quand l’écriture s’invente un espace

Jan J. Dominique,
Inventer la Célestine, Port-au-Prince, Éditions des Antilles, 2000, 385p.

Jan J. DominiqueAvant d’être un récit avec une histoire et des personnages, Inventer… la Célestïne est la mise en scène de l’écriture.  Ce que jean Ricardou appelle «l’aventure du roman qui se réfléchit».

Comme un enfant qui joue avec son reflet dans l’eau, le roman s’amuse à raconter d’autres romans.  Livres dans le livre, écrire devient sujet de l’écriture.

Les multiples micro-récits, la prise de parole des personnages habitée des mots «récit», «raconter», «histoire», «écrire». Le roman de Pierre Maurice sur la Cubaine, ainsi que l’obsédant désir de Mireille «je dois raconter») en sont un témoignage.

D’entrée de jeu, le titre pose l’énigme de cette narration polyphonique: Mireille, Carmen, La Loca, Pierre, Ana, Maria, autant de personnages pour autant de voix qui racontent cette figure légendaire de la famille Maurice.  Inventer… La Célestine – créer, imaginer, ici, par mise en abyme, donc de manière ininterrompue.

L’une des plus belles réussites du roman réside dans sa manière d’invoquer le réel politique et social.  Avec distance et parcimonie.  Souvent l’écriture procède par ellipses.  Les raccourcis de la poésie atténuent cette atmosphère de terreur et de violence qui parfois rattrape les personnages sans parvenir à gommer leur intériorité.

Tout compte fait, écrire est l’angoissante question qui ouvre et ferme le roman.  Mireille, personnage central s’il en est, nous en donne la plus grande démonstration.  Son «je dois raconter» plus qu’une angoisse d’écrivain n’est-ce pas une invite au lecteur à rêver, à s’inventer sa propre Célestin?

Itinéraire sur fond de discrète sensualité

Yanick Lahens,
Dans la maison du père, Éditions Mémoire, 2000, 142 p.

Yanick Lahens
Dans le premier roman de Yanick Lahens, le récit s’étend sur près d’un demi-siècle et retrace l’itinéraire d’Alice Bien-Aimé.

Fascinée et brimée par l’image du père, Alice Bien-aimé, dès sa tendre enfance, s’est mise en quête de sa parole, de son corps.  Le récit se construit en couches parallèles; de fragments en fragments, l’auteur ouvre des fenêtres sur la danse, le vaudou, la cellule familiale, le désir.  En fait, la sensualité de la libération…

L’histoire de temps à autre, au cours de ce demi-siècle, ponctue le roman.  Tout est voué, dans cette Maison du père au regard subtil d’une fille qui essaie de comprendre l’univers des adultes et qui, une fois, devenue femme, claquera les portes.

Écriture souvent proche du scénario, mettant à profit la visualité et les ressources de l’image.

Revendication de l’éthique

Leslie J.R. Péan,
Économie politique de la Corruption. Éd. Mémoire, 200, 523 p.

Leslie PéanLeslie J. R Péan vient de publier son premier ouvrage: Économie politique de la Corruption.  L’accueil du public est légendaire, près de cinq cents exemplaires vendus en une journée à l’occasion de la journée «Livre en folie» du 22 juin 2000.

Cet essai propose un regard neuf sur un sujet tabou en Haïti: la gouvernance fondée sur la violence de la corruption.  Cet ouvrage qui relate les modes d’accumulation via la politique au cours du XIXe siècle présente l’État haïtien comme un État de jungle.

Un ensemble de questions aide à mieux comprendre l’origine de l’État haïtien et sa reproduction à travers le pillage et la violence.  Un titre-choc qui vient à point nommé dans une conjoncture où le modèle politique (violence/corruption) s’est systématisé.

À partir du philosophe Foucault et de l’intellectuel libéral haïtien Edmond Paul, Leslie Péan construit ses hypothèses, et montre, avec brio, la nature tronquée d’un État incapable de sortir de l’impasse et de faire table rase des vieux démons qui la ruinent.

Littérature – oraliture – imaginaire

  • Littérature haïtienne, Identité, Langue, Réalité, Éditions Mémoire, 2000.
  • La double scène de la représentation, oraliture et littérature dans la Caraibe, Éd. Mémoire, 2000 p.
  • Teke, Éd.  Mémoire, 2000, 103 p.

Maximilien LarocheTrois ouvrages de Maximilien Laroche paru aux Éditions Mémoire dans la collection Rupture.

Ces trois essais font partie du projet de réédition des oeuvres complètes de Maximilien Laroche en Haïti.

L’intérêt d’une telle initiative est de mettre à la disposition des étudiants haïtiens une réflexion continue sur la littérature, l’oraliture, le vécu, l’imagerie et l’imaginaire haïtiens.  Le côté novateur de ces essais est la méthode sociologie littéraire, littérature comparée.

L’essayiste n’est esclave d’aucune grille.  Il passe de l’une à l’autre.  Et glane partout afin de mieux cerner les formes et modes de représentations en Haïti.  L’histoire et le folklore sont explorés afin de voir tantôt la mesure, tantôt la démesure du dire haïtien.  Une aventure réflexive inouïe où la soif de servir et d’être utile est toujours présente.

Ces trois essais, dont Teke (inédit en créole), proposent une exploration de certaines questions concernant l’identité, la littérature, l’oraliture, l’image et l’écho, le créole, les modes et formes de représentations… En fin de compte un regard serein…  afin de relancer le débat.

Amitié, folie, exil…

Dany Laferrière,
Le cri des oiseaux fous, Éd. Le Serpent à plumes, coll.  Motifs, 2000, 346 p.

Dany LaferrièreLe cri des oiseaux fous, dixième roman de Dany Laferrière, vient clore ce que l’écrivain appelle une «vaste autobiographie américaine».

Toujours l’humeur facile de Dany.  Démarche plutôt journalistique, faisant le bilan des amitiés et des complicités en pleine période dictatoriale du début des années quatre-vingts à Port-au-Prince.

L’auteur est à sa dernière nuit dans la ville.  Il se prépare à partir à la suite de l’assassinat de son ami-journaliste Gasner Raymond.  Une petite épopée avec comme toile de fond la peur de mourir et le désir d’y échapper.

Dans ce voeu de l’exil, il y aura tout au cours du récit la présence du père, lui aussi parti pour l’exil.  Enfin, une double quête (celle de l’auteur-narrateur et celle de son père) nourrira le récit.

Enfin, égal à lui-même, Dany Laferrière, dans ce récit troublant nous apprend comment grandir sous Duvalier… Et comment la complicité, l’amitié étaient de mise.  Et surtout comment claquer portes et fenêtres pour se mettre sur la route d’une Amérique incertaine, mais prometteuse.

Lyonel Trouillot : « l’attrait des contraires »

Lyonel Trouillot,
Thérèse en mille morceaux, Actes Sud, 2000, 118 p.

Lyonel TrouillotL’histoire d’une femme déchirée, Thérèse Décatrel en plein dans sa parole et qui va vers son double rêvé.

Son histoire est lourde de hauts faits la ville du Cap, la légende du roi Christophe, le passé glorieux d’une ville qui est en passe de mourir.  Thérèse, elle, refuse et revendique son corps et ses désirs malgré la ville.  Elle se retourne contre la cité, avec comme signe de sa victoire, son journal intime.

L’écriture fragmentée du roman nous donne à lire cette histoire en morceaux: Thérèse, sa parole, et le rythme cassé à dessein d’une narration où les voix volontairement se rassemblent et se confondent.

Par maintes astuces et stratégies, le récit se construit en propos rapportés, en énoncé direct.  Thérèse, à la fois, présente et absente, joue à huis clos de «l’attrait des contraires».

Deuil et extase!

Pierre Clitandre,
Vin de soleil, Éditions Mémoire, 2000, 121 p.

Pierre ClitandreLe romancier Pierre Clitandre surprend avec son deuxième roman, Vin de soleil.   Dans un rythme lent, Tanite met en mots et en espace l’histoire d’une multitude de femmes en deuil.

À la manière d’un calvaire ou d’un rituel, l’histoire porte la marque d’une grande intériorité.  Sans bravade ni grande fresque, tout est murmure, plainte, et quête de silence.

L’auteur abandonne le baroquisme de son premier roman Cathédrale du mois d’août (1980) et se met à la poursuite d’une multitude de paroles esquissées.  Des femmes se cherchent comme pour se défaire de leur deuil, pour entrer dans le royaume de leur mystère.

Jouant sur le symbolisme des lieux, des décors, des odeurs, de la musique, l’histoire évolue comme voilée avec de petites touches discrètes.  Les voix nous viennent avec leur colère camouflée et leur désir de vivre, une fois passé le temps du deuil.

Avec Vin de soleil, le romancier Pierre Clitandre entend lier mysticisme et réalité, en exposant ni décor des scène de vie ni étalage de réel, simplement le roman se déroule en chacun(e) de nous.

La beauté d’aimer

Emmelie Prophète,
Des marges à remplir (poésie), Éditions Mémoire, 2000, 58 p.

Emmelie ProphèteLe recueil Des marges à remplir d’Émmelie Prophète est venu confirmer un talent.  Désir, absence et murmure traversent ces poèmes.

Émmelie Prophète invite à la fête.  Le corps se déploie et cherche la rencontre heureuse, fortuite.  D’une marge à l’autre, d’un trottoir à l’autre.  Le mouvement du poème se fait traînant, comme la vie qui hésite, comme la surprise de l’aube et du pain.

La relation établie au monde est faite de désirs et d’une intimité revendiquée. Émmelie Prophète rappelle ce besoin d’être et de rassembler voix, coeur pour conter l’inavouable et la beauté d’aimer.

Il y a dans ces marges, outre la justesse de la parole, cette sensation d’aller en dehors des sentiers connus.  Car,

On rêve tous de trottoirs
Les cris de notre nudité
Sont sans issue
Comme vos silences.

Espace de méditation

Bonel Auguste,
Fas doub lanmò, poésie, Éditions Mémoire, 2000, 60 p.

Bonel AugusteLa poésie créole, on le dit souvent est un fourre-tout.  Mais voilà que Bonel Auguste vient de signaler le contraire, avec son recueil Fas doub lanmò.

Premier recueil, mais un coup de maître qui fait dire à FrankEtienne que la poésie créole a trouvé en Bonel Auguste son «premier poète philosophe ».

Le poème est d’abord espace de méditation où la mort (destin et anti-destin) d’un bout à l’autre circule, avec la figure duale, épouvante versus extase.

Puis, le temps passé, présent, à venir, tourne sur lui-même, enivre et bouscule les données coutumières:

lajè tan an
ak tout longè !
se dènye dra blan powèt yo
tann sou lannwit.

Gary Victor à travers les miroirs de la ville

Gary Victor,
À l’angle des rues parallèles, L’Imprimeur 11, 2000, 257 p.

Gary VictorOn connaît Gary Victor pour ses récits burlesques tirés du social haïtien.  Et surtout pour la force de son imagination.  Son dernier titre À l’angle des rues parallèles est inattendu.

Le poids du réel est pesant, et la violence à peine voilée.  Roman de témoignage et de dénonciation de l’espace politique.  Tout plonge dans le cafardesque et le cauchemardesque.

Le récit: les miroirs de la ville n’ont plus de reflets.  Tout alors devient sens dessus dessous, caricature de l’espace urbain.  Les écritures, les affiches de rues, les journaux sont profanés.

Dans cette atmosphère, une prostituée essaie de venger son petit ami assassiné.  Le roman, À l’angle des rues parallèles, prend en compte les stratégies du thriller.  Et en fin de compte, tout devient parallèle, sans clef, sans énigme.  Le sacré comme le profane, le vice comme la vertu se rencontrent.  Véritable puzzle où l’auteur d’Albert Buron indexe le naufrage politique actuel.

À paraître aux Éditions Mémoire

L’Urgence de lire

Raoul Altidor
Simbad Avenue, nouvelles

Georges Castera
Jòf, poésie

Paula Clermont Péan
Le chant de Miraya, conte

Lucienne H. Estimé
Dialogue avec mes souvenirs, témoignage

Marc Exavier
Numéro effacé, nouvelles

Rodney Saint Éloi
Cantique d’Emma, poésie

Lyonel Trouillot
Histoires simples, récits

À paraître
courant octobre
Panorama de la Littérature haïtienne de la diaspora
de Pierre-Raymond Dumas
  • Cent vingt auteurs haïtiens.
  • Quatre cents livres (romans, poésies, essais, pièces de théâtre…) Commentés.
  • Une mine de renseignements.
  • Un inventaire mené sur plus de quinze ans.

Instrument pédagogique, cette importante étude s’adresse à tous ceux qui souhaitent avoir une meilleure approche de la littérature haïtienne.

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mis en ligne : 9 janvier 2002 ; mis à jour : 26 octobre 2020