Ségolène Lavaud Michal, Thèmes et environnement culturels

II.  Thèmes et environnement culturels

1 – Le coumbite

2 – Le tambour

3 – Le syncrétisme religieux

4 – Les coqs


1 – Le coumbite

L’origine du coumbite vient d’une lointaine tradition africaine qui se perpétue en Haïti, son nom « dokpwé » vient du Dahomey où il désignait un travail agricole collectif. Il s’est créolisé en « konbit », ou « koumbit », une adaptation du mot espagnol « convite » désignant une réunion et un festin pour devenir en créole haïtien « coumbite » (29). Roumain présente et situe ces premiers habitants, « Ceux qui étaient membres des sociétés de Guinée, antiques coopératives venues d’Afrique » (Compère 177) Le partage, la fraternité, l’entraide sont dans le monde rural de règle, tant dans les plaines que dans les mornes haïtiennes. Paysannerie extrêmement pauvre, les amis et voisins unissent leurs efforts pour cultiver la terre de chaque paysan, dans le partage d’une communauté fraternelle. Lorsque le travail est terminé il est suivi traditionnellement d’un bon repas préparé pour tous les travailleurs, et pendant leur travail, par la femme du propriétaire du carreau* à défricher, aidée de ses voisines qui apportent leurs gamelles, chaudières et autres ustensiles.

C’est un travail harassant sous un soleil torride « un nègre sous les tropique souffre de la chaleur autant qu’un Blanc » (Punch 261-262). Accompagné des tambours, de chants, et de clairin*, les paysans retournent la terre, la nettoient, la préparent pour pouvoir l’ensemencer, unis dans une solidarité ancestrale. Il faut noter, que cette tradition africaine, avait cours aussi, dans les campagnes françaises où les paysans conviaient les voisins pour les aider au moment des récoltes, pour battre le grain, faire les vendanges, pratique communautaire au cours de laquelle le repas partagé entre tous les travailleurs était également traditionnel. La modernisation des techniques actuelles a peu à peu éclipsé ces moments chaleureux de partage communautaire par la rentabilité et la productivité d’exploitations importantes, sans le faire disparaître, alors qu’en Haïti le principe de base existe toujours compte tenu de la pauvreté extrême de la paysannerie, qui cultive sa terre carreau par carreau, et dans des collines, en vagues successives.

On peut trouver à partir des années 1930 des romanciers qui ont décrit la vie rurale. Roumain dans La Montagne ensorcelée en 1931, suivi par Le Drame de la terre, 1933. Dans L’héritage sacré en 1945, Jean Baptiste Cinéas décrit ces scènes avec lyrisme et un certain romantisme :

« Les coumbites battent (son) plein … la campagne est un vivant rucher. Le coumbite mobilise tous les hommes valides… la houe et la machette brillant au soleil telles de flamboyantes épées. »

L’image est reprise par Roumain :

« Les hommes avançaient en ligne. Ils sentaient dans leurs bras le chant d’Antoine, les pulsations précipitées du tambour comme un sang plus ardent. … Brandissant les houes longuement emmanchées, couronnées d’éclair » (Gouverneurs 18).

La fraternité y est absolue et sincère. Faisant ressortir les similitudes entre Roumain et J. S. Alexis, on peut relever au cours de leurs textes, deux citations qui corroborent leur militantisme et en conformité avec leur idéologie marxiste : « Travailleurs de la terre entre frères et frères partager notre peine et notre travail entre camarades » pour le premier, « …sueur contre sueur, épaule contre épaule, la solidarité unit les travailleurs » pour le second.

Dans Gouverneurs de la Rosée Roumain, le marxiste et l’ethnologue perçant en filigrane sous un style atteignant la perfection, célèbre ce travail fécond. Le roman est centré sur un projet communautaire, axé sur la recherche d’une source qui donnerait de l’eau aux villageois. Dans un village de la montagne, déchiré par des brouilles familiales et ancestrales de clans différents, la solidarité a disparu et le personnage principal, Manuel, a décidé d’essayer de réconcilier les frères ennemis, pour sauver la communauté. Si le coumbite est traditionnellement lié au travail des champs il peut aussi, être constitué de travailleurs associés dans un but commun. Il s’agit là de l’union de tous les villageois, après la découverte hypothétique d’une source, pour la capter, l’aménager, creuser les canaux d’irrigation qui apporteront l’eau tant espérée jusqu’au village. C’est ainsi que l’auteur parle du « coumbite de l’eau ». L’expression revient tout au long du roman, comme une ponctuation et un leitmotiv qui dépeignent l’obsession générale et le désespoir devant la sécheresse qui a ruiné les terres et anéantie les récoltes. Le titre du roman est lié à cette eau, il va sans dire que sans l’eau, il n’y a pas d’humidité, et donc pas de rosée. Dans ce contexte précis, il s’agit bien plus que d’un coumbite habituel tel qu’il figure généralement dans les romans : « Ils avaient mêlé dans les coumbites leurs voix et leur force de jeunes nègres fringants. Ah, comme ils avaient nettoyé et propreté ce jardin… même que ce jour-là ils avaient bu un peu trop de clairin » (16-22). Ici il va de pair avec la réconciliation de deux clans déchirés par la haine, pour le bien de tous. C’est une démarche politique conforme aux engagements marxistes de l’auteur, communiste convaincu. C’est l’union pour la vie, l’union sacrée, l’union pour le bien de tous. Gouverneurs de la Rosée est un roman auquel on pourrait donner en sous-titre : « Le Grand Coumbite de l’Eau ».

Roumain ne se contente pas de décrire le coumbite, il commence par enchanter son lecteur avec les noms savoureux des participants, tout le village est là. Pierrilis, Aristhène, Dieusonné, Bienaimé et d’autres emplissant nos oreilles de sonorités et d’images vivantes, l’auteur nous donne l’impression de faire partie de l’action.

     Ils disaient : frères, merci oui… je travaille ton champ, toi demain, le mien. L’entr’aide c’est l’amitié des malheureux… Tous les travailleurs alentour sont présents, une vingtaine de nègres gaillards… la houe sur l’épaule … Alignez … d’un élan unanime ils levaient les houes haut en l’air… d’un coup les houes s’abattaient avec un choc sourd… Les hommes s’avançaient en ligne.

     Unis comme les doigts de la main… le coumbite réunissait le voisinage pour la récolte ou le défrichage… Ah ces coumbites !…Dès le petit jour il était là , en chef d’escouade sérieux avec tous ses hommes, tous habitants de grand courage… On entrait dans l’herbe de Guinée ! (les pieds nus dans la rosée). Trop pauvres qu’il étaient pour s’acheter des souliers …Ces habitants , ces nègres conséquents et de grand courage avec la terre. (76-105)

Le travail de la terre et le coumbite sont des sujets éternels des écrivains ou des historiens écrivant sur Haïti. André Marcel d’Ans, avec sa rigueur d’historien, y consacre en 1987 une étude circonstanciée : « Dans leur esprit (les paysans)… un coumbite c’est une équipe de manouvriers de statut socio-économique inférieur, qu’on rassemble… pour aller travailler gratis, simplement en échange de sa nourriture » (D’Ans 264, 266). L’auteur affirme qu’au fil des ans le coumbite n’existera plus que dans les campagnes reculées et, n’ayant qu’une existence ponctuelle,il sera remplacé par le « couadi », qui est une association permanente. Le sentiment qu’exprimait Alfred Métraux (1957-1958) est assez différent. S’il n’y fait que de rapides allusions dans Le Vaudou haïtien, en revanche, dans son très beau livre HAÏTI, la Terre les Hommes et les Dieux, il y consacre un émouvant reportage photographique étayé par un texte qui est à la fois très documenté et sensible. Tous deux sont des ethnologues européens, l’un Français, l’autre Suisse, qui se sont passionnés pour Haïti, tout comme Jean Raspail, également français et infatigable globe-trotter. Dans des romans très critiques sur les gouvernements, et très proche du peuple paysan qu’il a approché avec une profonde sympathie, ce dernier écrit :

Le paysan incliné jusqu’à la terre qu’il sarcle avec une espèce de grattoir… se présente de profil… J’aperçois l’un de ses pieds nus, énorme étalé en éventail… un nègre sous le tropique souffre de la chaleur autant qu’un Blanc… Il a un chapeau de paille incliné sur la nuque avec un bord relevé façon commando de brousse et une machette au côté, qui fait penser à un cangaceiro, brésilien alors que rien, dans son allure, ne trahit autre chose que la soumission séculaire au travail. (Punch 261-262)

PAYSANS - MÉTRAUX

PAYSANS – MÉTRAUX

Pendant le travail des hommes, le clairin se boit à grandes goulées. C’est un alcool artisanal et peu cher, tiré de la canne à sucre, très fortement titré en degrés alcooliques, c’est un réconfort. « On s’était à peine arrêté, le temps d’avaler une gorgée de tafia… L’alcool leur donnait un semblant de vigueur, une brève illusion d’espoir, un oubli momentané » (Gouverneurs 21). Le tafia, tout comme le clairin, est un alcool de canne de basse qualité, ce rhum paysan fabriqué localement, (tout comme nos paysans français font de la blanche et du marc, eaux-de-vie tirée du mou de raisin, très alcoolisés et rustiques) coulent à flots. On retrouve cette boisson tout au long des récits, car elle fait partie intégrante du mode de vie rural :

On laissait Rosanna s’affairer dans l’ombrage du tamarinier autour de ses chaudières et des grands récipients de fer blanc d’où montait déjà le bredouillement volubile de l’eau qui bout. Délira et d’autres voisines viendraient plus tard pour donner un coup de main. (16-17)

Le Général Miracin convoque les voisins pour le coumbite fraternel,  » tous les voisins, heureux et fiers, viendraient dès l’heure du dejunc*, se mettraient à sarcler […] à retourner le champ au son de musiques cahotantes et de chants d’éternelle solidarité […] on mangerait on boirait » (Arbres 13).

Le manger attendait. Et quel manger, quelle mangeaille. Rosanna n’était pas une négresse chiche […] Dès le détour du chemin, une odeur venait à leur rencontre, les saluait positivement, les enveloppait, les pénétrait, leur ouvrait dans l’estomac le creux agréable du grand goût. (Gouverneurs 15)

Le travail terminé vient l’heure du repas et lorsque le Simidor déclare : « Mon cher, votre madame est une bénédiction … » (22), on imagine déjà les agapes, l’auteur faisant un descriptif savoureux des mets préparés embaumant et goûteux « en gaspillage » (à profusion) fidèle à la tradition de la vie intime de la paysannerie, liée à ces habitudes ancestrales :

Dans les chaudrons, les casseroles, les écuelles, s’empilaient de grilleau* de cochon pimenté à l’emporte-bouche, le maïs moulu à la morue et si tu voulais du riz, il y avait aussi ; du riz soleil avec des pois rouges étoffés de petit salé. Et des bananes, des patates, des ignames en gaspillage. (16)

Roumain nous invite au repas, dans la caille, cabane au toit de paille et tôles ondulées, toute proche, la femme s’affaire, son honneur de bonne cuisinière ne peut être démenti. En attestent les odeurs des pois rouges en sauce, du cochon grillé, du maïs boucané et du riz djondjon*, du cabri, du cochon, de la pintade ou du poulet, cuits aux aromates poivrés, piquants, odoriférants, faisant des ragoûts goûteux, et savoureux attisent les appétits des paysans. Il n’y a pas toujours beaucoup de viandes, mais les légumes, ignames, patates douces, bananes vertes, compensent la disette. Le repas pris en commun est toujours chaleureux convivial et nourrissant. C’est la fête après l’effort du travail du jour, arrosé largement de clairin, scène illustrée par Roumain.

Alexis nous montre au début de Compère le travail des prisonniers. Certes ce ne sont pas les voisins paysans s’entraidant mais le travail forcé sur un terrain à défricher. Pourtant c’est un coumbite, dans son déroulement traditionnel qui demeure la même :

Les hommes à pioche se mirent en ligne… Les hommes levaient haut la pioche. Une mélopée de ahanements se détachait du travail… purement rythmique… l’ivresse du cri collectif devint création collective.

Après avoir piqué la terre un homme fit faire un looping à sa pioche et lança une modulation sans fin. Tous les autres firent tourner pioches et répondirent… Tous ils lançaient leurs outils puis les rattrapaient … à chaque coup de pioche, le chant-danse montait plus haut… de chaque morceau de cœur était né un seul chœur nègre… de ces nègres courbés et redressés sur la croûte dure de la glèbe. (Compère 46-47)

Alexis nous raconte, après l’inondation meurtrière et dévastatrice de l’Artibonite le travail de reconstruction et nous décrit un combite très particulier. Le passage concernant le débordement du fleuve sera analysé à la rubrique intitulée « l’écriture artiste », car le fleuve est personnalisé tout comme l’était la nuit dans le préambule du roman.

Du soleil rose à la lune blanche, le peuple de la plaine livrait combat avec mille houes dressées, mille machettes levées, mille haches brandies. Ils embouchèrent les conques de lambi et sonnèrent de longs appels. Tous les paysans valides accoururent du voisinage pour apporter de l’aide… à la coumbite fraternelle… sueur contre sueur, la solidarité unit les travailleurs… dans le compagnonnage et la fraternité… toute la vallée retentit bientôt de la rumeur du travail, de l’écho des chansons et la palpitation des tambours … chantaient la victoire de la vie sur la mort. (Gouverneurs 176)

Tant Roumain qu’Alexis décrivent avec une authenticité et une sensibilité extrêmes ces scènes typiques, que l’on retrouve dans de nombreux autres romans paysans. On sent la chaleur, la sueur, on entend le bruit des pioches et des bêches, et le souffle haletant des travailleurs « la mélopée de ahanements… rythmique sans air précis » (46). La cadence du tambour résonne rythmant le travail et le bruit de la terre retournée lui fait écho. Ils nous montrent toute la sécheresse de cette terre difficile à fertiliser faute d’eau, on entend les mottes de terre se défaire, s’effriter, se casser, attendant d’être ultérieurement ensemencées. « La terre c’est une bataille jour pour jour… il faut défricher, planter, sarcler, arroser… jusqu’à la récolte » (39). Les auteurs s’appuient sur les coumbites traditionnels pour étayer leurs discours qui reposent sur un topos national, lié à l’imaginaire national commun en idéalisant une tradition appartenant à un éden paysan. Leurs récits ne sont ni dramatiques ni misérabilistes quoique se déroulant dans un environnement de grande pauvreté et de vie difficile. »On avait beau raccommoder le linge, il y en avait dont le derrière […] passait à travers les bâillements du pantalon comme un quartier de lune noire dans les déchirures » (73-74). Quelques extraits de Gouverneurs de la roséeCompère Général Soleil et Les Arbres musiciens en donnent une description vivante dont les peintures sont un fidèle reflet, l’imagination en plus ! Leur conjugaison pourrait faire rêver, car il s’y glisse la philosophie, la sensualité et l’espoir :

Cette terre (nous a nourris pendant des générations). Elle est encore bonne, elle ne demande qu’un peu d’eau… (104) Et après s’être gourmé avec la terre, après qu’on l’avait ouverte, tournée et retournée, mouillée de sueur, ensemencée comme une femelle, venait la satisfaction : les plantes et les fruits. (24)

Juste avant sa mort Manuel a déclaré à sa mère et aux habitants : « Chantez mon deuil, qu’il a dit, chantez mon deuil avec un chant de coumbite » (190). Roumain renforce son propos en expliquant que chanter est une tradition : « On chante le deuil, c’est la coutume, avec les cantiques des morts, mais lui Manuel, a choisi un cantique pour les vivants : le chant du coumbite, le chant de la terre, de l’eau, des plantes, de l’amitié entre habitants… pour … le recommencement de la vie » (190).

Les paysans de Fonds Rouge se sont unis et tout naturellement Roumain nous emmène avec le coumbite au son du tambour et nous montre combien chant et travail sont en osmose totale :

Le vent charrie du lointain une rafale de voix et le battement infatigable du tambour… Les habitants travaillent en coumbite… Des lambeaux de chant leur parvenaient, ça faisait quelque chose comme, hoho ehhé oh-koen-hého et le tambour jubilait, il bégayait à force de joie : Antoine le maniait avec plus d’habilité que jamais… Le tambour exultait, ses battements précipités bourdonnaient sur la plaine et les hommes chantaient : Manuel Jean Joseph, ho nègre vaillant, en hého ! … Antoine marchait à leur tête et il battait son tambour avec orgueil. (194-197)

Les peintres ont, sans avoir ni lu ni connu ces textes, représenté le coumbite avec un réalisme et une fidélité qui rejoint le travail de l’écriture. Ils ont trouvé leur inspiration dans le modèle de la vie paysanne qu’ils ont vu et, même pour certains d’entre eux, qu’ils ont partagé. Si les romanciers nous font entendre les tambours ou les chants : « La voix du Simidor montait rauque et forte… et commence la longue mélopée » (17), les peintres les peignent présents et vibrants. « Le rythme était comme un flux puissant » (19). Bien entendu la part du rêve et du merveilleux embellit et magnifie la scène. Il est poignant de voir la photo tirée du livre de Métraux, sur laquelle toute la misère de ce peuple à demi-nus contraste avec le charme des tableaux. Et pourtant ce sont les mêmes paysans au labeur, idéalisés par les artistes. L’Haïtien est avant tout un homme digne et un idéaliste, il rêve toujours d’un jour meilleur et voile pudiquement sa pauvreté et son dénuement.

Dans la peinture on voit la force et l’effort du rude travail, dans le texte on ressent la fatigue des hommes. Roumain alors parle des pieds de ces paysans,  » nègres pied à terre, nègres va nu pied, nègres-orteils… grands pieds de travailleurs de la terre » (21). On retrouve dans les tableaux le paysan vêtu de son gros bleu, pieds nus. Parfois dans d’autres scènes les paysans sont représentés avec une jambe de pantalon roulé au ras du genou, c’est sans doute une interprétation du paysan allant de-ci, de-là. On peut imaginer que sur les mornes desséchées suivant le dénivelé, ils avaient creusé une rigole d’irrigation à l’eau très boueuse et qu’en travaillant ils avaient une jambe au sec, l’autre dans la boue, sarclant, grattant, bêchant, jusqu’au bout de leur fatigue. On trouvera les mêmes représentations dans d’autres tableaux tels les combats de coqs dans la gaguère*. Les romanciers aussi dans leurs descriptions de tel ou tel de leurs personnages les représentent fréquemment ainsi. Cela fait partie de la culture populaire :

Bois d’Orme portait une large vareuse d’un bleu délavé mais d’une propreté méticuleuse ; les plis de la vareuse étaient soigneusement repassés… Quant au pantalon, il était… du même gros bleu, retroussé sur un genou, les pieds nus dans la poussière. (Arbres 116)

Alexis, lorsqu’il décrit Bois d’Orme en grande tenue, et Hilarion en prisonnier misérable, les deux personnages quoique étant dans des situations différentes, reporte ce trait spécifique : « Vêtu d’un pantalon bleu, crevé de larges trous, une jambe retroussée sur le genou » (Compère 36). Les images et les textes se rencontrent, s’entrechoquent, créant une symbolique de l’image clé du paysan : vareuse et pantalon en gros bleu, fabrication locale des cotons teints à l’indigo qui était l’une des anciennes richesses du pays et depuis remplacé par le blue-jean américain.

COUMBITE - CASTERA BAZILE

COUMBITE – CASTERA BAZILE

Les photographies de Métraux sont toujours d’actualité pour analyser le coumbite, car rien n’a réellement évolué ni changé depuis les premiers temps de l’agriculture en Haïti. Elles illustrent ce travail communautaire et les tableaux sélectionnés en sont un vibrant écho. Dans le tableau de Castéra Bazile, ses frères paysans sont plus vrais que nature, même chapeaux, même outils. Ils utilisent des instruments aratoires primitifs, répétant les gestes ancestraux, au fond à droite les trois tambours rythment le travail des ouvriers agricoles aux pieds nus, aux vêtements sommaires taillés souvent pas leurs femmes, dans ce gros bleu, que l’on retrouve tout au long des romans. Ils portent l’inévitable chapeau de paille tressée manuellement, artisanat qui sera le gagne-pain de Manuel, l’un des héros de Roumain. Leurs gestes sont synchronisés, cadencés, accompagnés par les musiciens (ces tambours feront l’objet d’un bref chapitre, ils sont très importants dans la tradition haïtienne). Dans le tableau de Wilminot Domont, qui vivait à la campagne, les musiciens ont remplacé les tambours par ces longs bambous typiquement haïtiens, les vaccines, dont ils tirent des sons gutturaux et lancinants. Le peintre représente à la fois le travail collectif de préparation du champ, le coumbite, le travail épuisant des hommes et les femmes qui plantent les semis, à moins qu’il n’anticipe et représente parallèlement la récolte à venir ? Les peintres nous offrent aussi leurs rêves, prévoyant la cueillette ou la moisson ! Ils présentent et dépeignent la nature telle que nous l’ont décrite les auteurs. La terre est aride, sèche, pelée par l’érosion des sommets aux arbres dépouillés ou clairsemés. On les voit en fond des tableaux. Ils laissent donc l’eau des orages dévaler les pentes emportant l’humus et la terre fertile. Avec le romantisme et l’imagination des peintres des jeunes pousses sont déjà sorties ! C’est là le « merveilleux » lié à cet optimisme inébranlable du peuple haïtien, la nature y est sublimée en une terre nourricière et prometteuse, car quoiqu’il en soit « Bon Dieu Bon » (30)

COUMBITE - WILMINOT DOMOT

COUMBITE – WILMINOT DOMOT

Nombreux sont les écrivains, romanciers, historiens, ethnologues qui ont traité du coumbite, et Jean Raspail (comme on l’a lu précédemment) fait un bref portrait qui pourrait être un commentaire comparatif des textes et des tableaux. Rythmé par le tambour lancinant du missidor* qui suit et soutient les mouvements des houes, dans ce travail harassant, et accompagné de leurs chants, sortes de mélopées répétitives proches des litanies du culte chrétien. Ils étaient souvent modulés par les sons très sensuels des vaccines.

Nous allons, sur les dernières lignes de Gouverneurs vers les tambours, qui eux aussi font partie intégrante de la vie haïtienne. Le chapitre du coumbite conduit tout naturellement vers eux, aux chants et danses, tambours qui, dans la rubrique consacré au « syncrétisme religieux, » illustre le vaudou dont ils sont l’âme. Il suffit de suivre les auteurs. Roumain en terminant son œuvre, nous prend par la main et nous conduit aux tambours:

Le Simidor Antoine passait en travers de ses épaules la bandoulière du tambour… préludait par un bref battement, puis le rythme crépitait sous ses doigts. D’un geste unanime, ils levaient les houes haut en l’air … D’un seul coup les houes s’abattaient avec un choc sourd attaquant le pelage malsain de la terre. (Gouverneurs 34)

Les habitants travaillent en coumbite […] Le tambour exultait, ses battements précipités bourdonnaient […] et les hommes chantaient ».

C’est là qu’ils travaillent […] Le tambour exultait, ses battements précipités bourdonnaient sur la plaine et les hommes chantaient : Manuel Jean Joseph, ho nègre vaillant, eh-hého ! […] le chant s’arrêta soudain […] et puis une énorme clameur jaillit. (194-195)


2 – Le tambour

« Ce pays noir d’où nous vient une étrange musique » (Depestre 237).

« … Tu bas le tambour ou tu railles
Passe moi les baguettes que je t’apprenne
Ou que je t’aide à cultiver ton champ
Et de si loin que l’on entend le message
De si loin de si loin vodou ci là là
Du soir jusqu’au matin
De si loin on est accouru venu …  » (Morisseau-Leroy 10)

Tout au long des récits, les tambours sont présents et jouent un rôle important. Dans maints tableaux, ils sont là. Pour l’illustrer, une image de l’Assoto* , le tambour mythique, que l’on retrouvera dans divers visuels, il intervient comme récurrent chez les deux auteurs. Les tambours scandent le quotidien haïtien, mais ils sont rarement représentés tout seuls, ou alors dans des compositions destinées à une clientèle passagère de touristes, telles ces femmes superbes enlacées à un assoto, scène insolite s’il en est puisque les femmes ne battent pas tambour ! Une exception remarquable toutefois : la cérémonie très particulière du baptême d’un Assoto (31) lors de laquelle les hounsis, prêtresses vaudoues, le frappent à un moment précis selon un rite ancestral. C’est un privilège essentiellement masculin et empreint de virilité qui reflète leur sensualité. Nous le verrons donc au travers des différentes scènes analysées, certes il est présent mais jamais solitaire. Le tambour est le cœur bourdonnant du pays qui bat aux rythmes africains, coulant dans ses veines. « Au loin, le tambour battait comme un cœur haletant  » (Roumain, Propos san suite). Il cadence le travail du coumbite :

Et Simidor, se parlait à lui même. A voir si tes doigts ne sont pas engourdis, à voir si la tête a encore autant de chanson qu’un rucher a de miel. Il essayait le tambour, prêtait l’oreille… bientôt il conduirait l’escouade des habitants, tambour en bandoulière… Déjà les mots se mettaient à se greffer sur la cadence d’un air naissant Général Manuel, salut ho, salut ho, sa voix dirigeait la retombée des houes… le chant mûrissait dans le battement du tambour. (Gouverneurs 134)

Cet extrait se rapporte tout autant au coumbite qu’au tambours intimement liés. Le (ou les) tambourineurs qui accompagnent toutes les cérémonies vaudoues, conduisent les morts en leur dernier voyage, endiable les danses de rara* et des carnavals, « les tambours des raras s’enthousiasmaient dans le lointain » (Alexis, Compère), où il roule les nuits dans la magie et les mystères. Ce n’est en aucun cas un tambour militaire, ce n’est pas non plus un tambour de guerre mais le témoin, le compagnon de la vie de tout Haïtien dont il partage le temps. Il fait partie intrinsèque de la vie haïtienne tant à la campagne qu’à la ville. Issu de la lointaine Afrique, il rythme tous les moments de la vie. Chargé de traditions, il est d’abord vaudou donc religieux, lié à la venue des loas* lors des cérémonies, au charnel qu’ il module et exacerbe, au travail collectif des coumbites, à la joie de la fête populaire ou au culte des morts.

S’il y a dans le drapeau haïtien des tambours ce n’est en aucun cas le tambour dont nous parlons. Celui-ci est le tambour des armées européennes qui dominèrent le pays ! Celui-là est le tambour de l’âme africaine, venu des terres lointaines et qui n’a jamais cessé de battre. Ce tambour est taillé dans un fût d’arbre fouillé, creusé, souvent entièrement gravé ou peint et sur lequel est tendue une peau de chèvre ou de bœuf. (Pour ne pas être hors du temps, actuellement au XXIe siècle, ils sont aussi en matières moins nobles, résines et autres produits synthétiques, ce qui ne les empêche pas de battre à l’unisson de leur peuple). On doit ajouter aux tambours les poteries de glaise cuite, participant au culte vaudou : les Canaris sur lesquels également les officiants modulent et rythment les cérémonies. Le canari a un rôle très particulier dans les rites, s’il produit des sons particuliers, il recèle souvent les pouvoirs cachés des loas et doit être brisé au cours de la cérémonie, par les battements des tambourinaires afin de les libérer.

Alfred Metraux analyse la valeur symbolique du tambour et en explique les différences. Il évoque le Tambourier qui est son serviteur. Les tambours sont des divinités habitées par l’esprit Hounto. Chacun des trois rites a ses spécificités. Le Rada (dont le nom vient d’une ville du Dahomey), le Pétro et le Congo. Dans le rite Rada, les tambours sont toujours battus par trois, plus un quatrième pour des cérémonies spécifiques. Ceux-ci sont taillés dans un arbre et de forme conique : l’Assoto est chargé de tout le poids des traditions et des esprits de l’Afrique Ginen (Guinée). C’est le plus grand, mesurant entre un et deux mètres, c’est également le plus « saint » (par saint nous entendons sacré), les consécrations importantes lui sont dédiées, se déclinant sur plusieurs jours avec libations, sacrifices, intronisations. Il était fait en bois de mahaudème réputé pour avoir beaucoup de sang (32), parfois de bois d’acajou ou de chêne. Il n’en reste que peu d’exemplaires authentiques dans les houmforts après la campagne anti-superstitieuse qui détruisit notamment en 1941, tant d’objets de haute valeur rituelle et artistique. Cette campagne « anti-superstitieuse » est l’un des fils conducteurs dans Les Arbres Musiciens. Le tambour reste cependant omniprésent dans la littérature haïtienne. Le tambour, les tambours ne sont pas près de se taire en Haïti !

TAMBOUR - VÉVÉ - HOUNSI - MÉTRAUX

TAMBOUR – VÉVÉ – HOUNSI – MÉTRAUX

En 1943, l’ethnologue qu’est Jacques Roumain lui consacre une monographie Le Sacrifice du tambour Assôtô(r). « L’entreprise d’écrire un essai ethnologique sur le tambour Yorouba, dieu gouverneur en Haïti des rites et des attitudes, est une prise directe sur le social  » (Dorsinville 76). Cette monographie fut reçue avec une certaine retenue par des ethnologues actuels, mais elle est mentionnée avec sympathie par Alfred Métraux, qui consacre dans Le vaudou haïtien un long chapitre aux tambours. Il explique que « battre tambour » signifie célébrer le culte des loas, et insiste sur l’aspect mystique et la sainteté de l’instrument. Là encore le syncrétisme religieux est présent, au cours de la cérémonie du baptême de l’Assoto le chant traditionnel appelle « Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint Esprit, après le bon Dieu je te baptise Assoto ». Il s’agirait d’une pratique que le houngan aurait souhaité pouvoir célébrer. Tout cela reste assez mystérieux pour les non initiés !

Les trois autres tambours toujours d’actualité sont : le Hounto de grande taille, le Manman ou Segon soutenu par une corde, dont on joue, en l’inclinant serré entre les jambes, avec les paumes ou un maillet de bois, puis le plus petit le Boula d’environ quarante centimètres de haut qui se tient vertical et que l’on bat avec deux baguettes. L’attaque se fait par le Boula, suivi du Second ou du Manman qui fait descendre les dieux de leur Olympe mystique, les loas, et qui déclenche les transes des officiants. Dans le rite Pétroils vont par deux : le plus grand étant le Manman ou Gros Baka et le plus petit Pititt ou Ti-Baka. Dans le rite Congo ils sont trois, cylindriques à double membrane, le Manman, le Timebal que l’on tient horizontalement, et le Ti-Congo. Il existe aussi des tonnelets à douves : le Martinique et le Djouba qui permettent à deux joueurs de battre en même temps l’un sur la membrane avec les mains l’autre sur le fût à l’aide de baguettes. Il est intéressant de signaler que les tambouriers vaudous sont poly-rythmiques, chacun frappe un tambour dont le son est particulier en développant ses propres thèmes qui doivent se combiner avec les autres créant une unité. Chaque rythme a un sens religieux précis. De même dans les danses des carnavals et autres raras, chaque battement a une signification spécifique. Pour simplifier, on peut dire qu’il y a trois tailles traditionnelles de tambours, dédiés à l’origine soit à un dieu, soit à un rite vaudou, et destinés à battre un rythme précis aux sons précis, à un moment précis. Le tambourineur est un personnage important. Antoine, le Simidor talentueux de Fonds Rouge avait :

La sâoulaison amère… À quoi bon vivre, si je peux plus passer mon tambour en bandouillère et conduire le coumbite en chantant et boire mon compte de clairin après ? J’étais né pour ça, avec des doigts comme des baguettes et à la place de la cervelle une nichée d’oiseaux musiciens. (Gouverneurs 104)

Il tape, il glisse, il martèle, frappe avec les mains, les doigts, les poignets, les coudes, faisant gémir ou éclater les sons, véritables porteurs de messages, adaptés à chaque occasion ; il s’en dégage outre une certaine frénésie volubile, une sensualité chaude et enveloppante. Dorsinville écrit à propos de Roumain : « orchestrateur des sons, des couleurs et des mouvements par où est entrée en lui sa race » (Dorsinville 48), et par laquelle il la recrée littérairement en la revendiquant et la glorifiant. Le tambour, le tamtam sont les voix du jour et de la nuit. Ce sont les voix de tous les soirs, la magie spéciale de l’ île et de ses nuits vers les montagnes.

Tous les soirs, la ville est prise dans le réseau serré des tambours. Il suffisait de prêter l’oreille pour entendre, de crêtes en bas fond, […] le rythme étouffé d’une Afrique de rétention. Il suffisait de se lever, et de marcher, toute distance conduisant à un autel vaudou. (Dorsinville 197)

En Haïti « les coqs chantent toute la nuit » et tambours et coqs rivalisent de virtuosité. Un dicton cité par Riou illustre ce fait : « Pays des conteurs, Haïti est aussi celui des proverbs (Riou 287)… » « Si tu entends … le tambour vaudou qui bat, ou un coq qui chante, tu peux être sûr qu’il y a un Haïtien tout près » (Riou 192). Le coq est un personnage important tant en ville que dans la campagne où il est aussi coq de combat, « Les coqs d’ombre et de clarté […] s’époumonaient […] le coq du jour avec sa crête de soleil chantait éperdument victoire » (Compère 22) et nous retrouvons coqs et tambours dans une description truculente d’une scène burlesque de prétendue sorcellerie où se mêlent loup-garou*, magie et vaudou. Alexis illustre le battement typique lié à une croyance des légendes anciennes et fait sonner à nos oreilles le rythme funeste, par une série d’onomatopées « Té-tek, tek, té-tek ! Té-tek, tek, té-tek ! » qui modulent tout le récit :

Bientôt la nuit serait tellement profonde… une fanfare de chants de coqs s’éleva à une distance imprécise. Tout à coup le silence sembla se rythmer, syncopé, clairsemé… le rythme était lointain… mais réel, Té-tek, tek, té-tek ! le tambour se rapprochait Té-tek… il fallait retrouver le souvenir de ce rythme… à l’époque cruelle des guerres civiles… un certain général Dukros, un loup-garou commandait la place… Peu après le vent avait apporté le rythme macabre du tambour… il semblait même que plusieurs tambours battaient à l’unisson. le tambour battait de plus en plus net, funèbre, infatigable : Té-tek … ! … À un détour un groupe… dansait avec frénésie. Le tambour délirait en rafales furieuses entremêlées de ‘ruffs’ sombres et inégaux. Les champoèles dansaient une banda fantastique… avec des arrêts subits… lançant leur hanches en avant, d’un mouvement sec… le tambour crépitait sans arrêt… Une autre troupe de loups-garous dansaient la même danse macabre et frénétique… le tambour délirait littéralement de sons : Té-tek… l’hymne barbare s’élevait rocailleux, hallucinant, sauvage. (Arbres 50)

TAMBOUR - MÉTRAUX

TAMBOUR – MÉTRAUX

Les fêtes populaires sont accompagnées de la coudjaille qui servent de sonneries aux tambours accompagnées des vaccines, ces fameux long bambous au son lancinant. « La coudjaille* délirait… faisait rage… des faubouriennes ondulaient et pirouettaient sur le rythme infernal… Les vaccines sonnaient sur un rythme sourd, pesant, que soulignaient les tambours grêles et l’aigre cliquetis du houngan » (375, 379).

La cérémonie vaudou de la Pâque, sœur jumelle des Pâques chrétiennes, se célèbre à partir du Samedi Saint et Alexis nous fait entrer dans l’univers mystérieux et merveilleux de l’instrument accompagnant la cérémonie vaudou avec les loas-grenadiers (33) du jour, et les loas-chasseurs dès la nuit tombée. En 1969 R. Riou évoquant le carême actualise les discours d’Alexis

J’ai entendu le son lancinant du tam-tam et les chants d’une troupe en marche. (51-52)

Les tambours résonnaient sous le péristyle et les danseurs virevoltaient avec ardeur… Le tambour hoquetait des sons heurtés qui s’entrechoquaient avec l’incessant carillon d’un ogan. La possédée… se redressa lentement au rythme de la percussion musicale… Le tambour s’était tu. Seul l’Oman tintait : six sons clairs se perdant dans une vision étale. (323-324)

On peut relever les allitérations qui scandent l’écriture et donnent cette sonorité musicale et rythmique.

Dans Les Arbres une cérémonie traditionnelle nous met en contact avec cette poterie, le canari, et relate une cérémonie illustrant le rôle et ses significations dont nous avons parlé précédemment :

Il s’empara du canari d’argile rouge, réceptacle des dieux,… les tambourinaires s’emparèrent du canari… l’un d’eux… coucha le vase entre ses jambes et avec une baguette de fer il se mit à la frapper furieusement… les trois baguettes… s’abattirent en cadence sur l’amphore selon l’allègre rythme ‘Mahi’ (ethnie du Dahomey)… de l’amphore sortait un son profond et ample, une voix cahotante, noble et grondante comme la voix de l’Afwi. (323-324)

Alexis célèbre l’une des qualités les plus attachantes des paysans et du peuple qui gardent toujours un fond d’optimisme et d’espoir. En fin du roman nous assistons à un début de scène d’expulsion et d’expropriation par la S.H.A.D.A.* qui spolie les hommes de leurs terres. Après il y eut un moment de répit, il nous convie à une manifestation de bonheur où s’épanouissent tant la sensualité heureuse et spontanée que leur sang fougueux qui anime les corps dans la danse, les gens ne peuvent résister à l’appel du tambour et à ses rythmes.

On se doit d’associer le tambour à la danse nationale, la méringue.

L’invariable optimisme du paysan haïtien reprit le dessus… Au décours de l’après-midi, on entendit une timide palpitation… 1,1-3,4… 1,2,3, 1… quelques jeunes gens s’avancèrent… le tambourinaire avait osé préluder ces fourmillants accords de ‘mahi’… quand l’adjahountô résonna d’un percutant ‘congo-larigelle’… ils s’élancèrent, les épaules frissonnantes… Dansez frères !… l’entrelac de sons et de rythmes s’enchevêtre… Dansez frères ! Secouez vos hanches… dansez et revivez. (386-7)

La méringue d’Haïti-Thomas est intégrée à notre vie sociale, son double rythme, tantôt lent (mérengue de salon) tantôt mouvementé (coudiaille et méringue de carnaval) […] qu’on veuille bien […] retenir l’évocation qu’en a faite Moreau de Saint Méry : […] Pour danser […] les nègres ont deux tambours […] sur chaque tambour est un nègre à califourchon qui le frappe du poignet et des doigts, mais avec lenteur sur l’un et plus rapidement sur l’autre. (Fouchard 14)

BOIS CAÎMAN - PÉRISSÉ

BOIS CAÎMAN – PÉRISSÉ

Parmi les très nombreux récits tous plus ou moins inspirés de faits réels magnifiés, transposés, se rapportant aux évènements de 1791, une légende romanesque a pris corps sous le nom de la « Cérémonie du Bois-Caïman », jusqu’à ce jour considérée par non seulement le peuple mais également par certains érudits comme véridique. Elle a donné lieu à des envolées lyriques étonnantes et figure dans les manuels scolaires d’histoire d’Haïti. De nombreux peintres, dont Desruisseaux, Normil et notamment Périssé (qui y fait participer le tambour en bas et à droite de son tableau) l’ont immortalisée. Elle est remise en question par les historiens et chercheurs actuels, et est actuellement considérée comme majoritairement fictive et imaginaire, faisant partie du patrimoine de légendes et du merveilleux haïtien. Certes, il y eut un départ à la révolte des esclaves contre les Blancs, mais rien n’accrédite la légende, même si le fait révolutionnaire demeure incontestable. Pour l’anecdote, dans son Toussaint-Louverture, Roger Dorsinville écrit  » Grâce à un pouvoir réel, (le) sorcier (Boukman) magnétisait la masse des opprimés… Déclenchée dans la frénésie des tambours… la communion passionnée… fut une lame de fond « . Dorsinville inclut ainsi dans son récit le tambour à la légende historique. Si la cérémonie eut lieu, on y conteste également la présence de Toussaint-l’Ouverture pourtant parfois mentionnée, Makandal et Boukman lui aussi peut-être? ainsi que leurs lieutenants, y furent impliqués ou non ? La cérémonie est reportée comme un fait historique et guerrier, magnifié, transposé et utopique, mais qui reste dans les mémoires. La cérémonie du Bois Caïman est en Haïti tout aussi célèbre qu’en France : « Roncevaux, Roncevaux… » Pauvre Roland abandonné par Charlemagne dans un col hispanique hypothétique. L’image du cor est tout aussi indissociable de la légende française et de la Chanson de Roland, fleuron de notre littérature chevaleresque et ancienne, que le sacrifice sanglant d’un taureau ou d’un bouc. Selon les histoires racontées, au moment où le ciel, déchaînant l’orage mystique, galvanisa la foule des esclaves prêts à la révolte, qui engendra outre le massacre des Blancs, générant poèmes, textes divers, peintures allégoriques, tous empreints du merveilleux de l’imagination collective.

Il semble intéressant de confronter les écrits de Roger Riou, missionnaire breton qui vécut en Haïti de 1947 à 1969. S’il ne fit pas partie des grandes expéditions « anti-superstitieuses », il avait néanmoins une profonde aversion pour le vaudou qu’il combattait à sa manière avec un évident parti pris et une certaine mauvaise foi ! Dans ses romans Alexis ne cache pas sa réserve à l’ encontre du clergé Breton qui, on doit le reconnaître, mena un remarquable travail d’évangélisation, même s’il eut parfois des comportements pour le moins libres sur le plan du célibat. (on ne peut toutefois oublier quelles étaient les conditions de vie des prêtres dans un pays étranger, où ils étaient pratiquement sans moyens financiers, et soumis à un climat torride où les rapports charnels font parti d’un quotidien sans préjugés). Ceci étant dit, le père Riou écrivit notamment qu’ayant saisi des tambours afin de les détruire : « nous avons découvert avec horreur que les trois tambours du vaudou, grand, moyen et petit , (qui) abritaient des couleuvres pourries avec des hosties consacrées » (Riou 186).

Le tambour est présent dans différentes rubriques : le coumbite, le syncrétisme religieux, les coqs, et autres thèmes abordés, il est tellement impliqué à la vie haïtienne qu’il constitue comme le rythme soutenu d’un cœur qui bat. Les peintres lui laissent une place privilégiée dans les tableaux, qu’il y soit seul ou multiple, accompagné de vaccines ou d’autres instruments de musique, il reste un acteur à part entière dans la symbolique haïtienne.

Les auteurs n’y font pas allusion, mais ce tambour qui bat à la tombée du jour a peut être la mission de transmettre des nouvelles. John Dartigue se souvient qu’enfant de sa maison de Pacot dans les collines de Port-au-Prince, ou dans celle de Furcy, près de Kenscoff dans les hautes montagnes où le climat est plus frais, parfois le soir il les entendait, semblant se répondre de morne en morne et les bonnes des voisins alentour se retrouvaient sur la terrasse, et attentives écoutaient leurs messages qu’elles interprétaient, surtout en période de troubles politique. Revenu adulte en Haïti il en retrouva les battements. Les tambours haïtiens sont loquaces et volubiles.

« Réjouis-toi mon cœur,
J’ai retrouvé mon peuple et mon pays
Avec ses chansons, ses complaintes […]
Emplissez l’espace de vos rythmes sacrés
Ô tambour ancestral !
Suivons leurs rythmes sacrés qui nous entraînent vers le vaudou. » (Lafontant 75).


3 – « Le syncrétisme religieux »

Le VAUDOU et le CATHOLICISME

Le vaudou (34) est prégnant dans la Caraïbe, dans la culture, les traditions, les croyances autochtones. Certes, il est hors de propos d’en faire une analyse, mais compte tenu du rapport texte et image, il est inévitable d’en faire un bref commentaire pour éclairer le propos. Dans les ouvrages du corpus, tout comme dans nombre d’œuvres caraïbes, il est à la fois part intégrante du discours, et intimement lié aux traditions et habitudes des protagonistes dans les intrigues narrées, qu’elles soient imaginées, plus ou moins réalistes, voire idéalisées, tout s’imbriquant.

Pendant ces périodes de plus ou moins longue maturation, le sens artistique prend ses sources dans les traditions ancestrales dans des cérémonies vaudoues, même si le peuple a été christianisé par des frères (principalement bretons), la religion des ancêtres africains est vivace et indéracinable. Autour des lieux de culte, si les images de l’église chrétienne demeurent, les représentations de leurs dieux, les loas*, ont une très grande qualité graphique, et une force mystique indéniable. Les dessins des signes conventionnels « vévés « , tracés sur le sol, sont d’origines indienne et africaine lointaines. Ce sont de véritables illustrations d’une composition recherchée et au graphisme codifiée d’une très grande technicité et remarquable beauté. Chaque loa, chaque divinité a ses signes propres, chaque domaine le sien. On doit dire qu’il est impensable qu’un Haïtien ne soit pas chrétien, en majorité catholique, souvent protestant (35), et toujours vaudou. Les saints catholiques côtoient les dieux vaudous en toute complicité et souvent partagent les mêmes prérogatives ou les mêmes signes. Ces vévés sont tracés sur le sol avec de la farine de maïs ou du marc de café, chaque saint ou loas qu’il soit chrétien ou vaudou a ses propres emblèmes, fluctuants selon que la requête touche tel ou tel élément de la nature. Ce sont des figures géométriques d’une très grande beauté aux motifs obsédants de serpents, de croix, de volutes, porteurs de messages précis : fécondité, éléments naturels tels que la pluie ou l’eau. On peut dire que de nombreux peintres ou artistes haïtiens trouvent leurs inspirations au cœur du vaudou, qu’ils soient pratiquants ou non.

VÉVÉ D'ERZULIE - (FRÉDA DAHOMEY) - MÉTRAUX

VÉVÉ D’ERZULIE –
(FRÉDA DAHOMEY) – MÉTRAUX

D’origine africaine, il existe toujours une religion assez similaire au Dahomey. En Haïti, le vaudou actuel est une synthèse des religions chrétiennes et africaines. On ne peut pas aborder le thème du vaudou sans une réflexion sur ce qu’il est et ce que furent les étapes de son actuelle structure. Le vaudou haïtien se réfère à un lieu hors du social, un au-dehors de la société, soit à l’empire même des dieux, des ancêtres ou des génies, espace symbolique inoccupable hors du dispositif de la sorcellerie, empire où il puise ses sources dans un espace intemporel. C’est une « religion décentralisée, chaque temple vaudou est autonome et rend possible un culte aux esprits… individuel, familial ou collectif » (Hurbon, Comprendre 136, 151). Sa symbolique se répand dans tous les interstices de la vie sociale secrètement, les cérémonies sont toujours nocturnes, mais le facteur temporel semble mis entre parenthèses. Comme nous l’avons vu, la légende veut que la révolte et la lutte pour l’indépendance prirent naissance au cours d’une cérémonie vaudou en août 1791, immortalisée par de nombreux textes, tous plus étonnants les uns que les autres, et de quelques tableaux célébrant « La cérémonie du Bois Caïman ». Il est certain que le vaudou offre une possibilité permanente de subversion de l’esclavagisme. Depuis le code noir de 1685 où les esclaves acceptent de se rendre dans les églises catholiques, ils n’en gardent pas moins leurs pratiques et convictions vaudoues et annexent les dieux chrétiens et leurs représentations en les assimilant et les adaptant à leurs propres dieux d’où une symbiose parfois étonnante. Si après la révolution qui eut lieu entre 1804 et 1806, le président Dessalines établit la liberté des cultes, dès 1806 cependant le vaudou avait été systématiquement et régulièrement combattu. Les campagnes « anti-superstitieuses » souvent sanglantes et radicales, notamment entre 1896 et 1899, avec une brève trêve en 1930, reprirent de plus belle en 1941. Jacques Stephen Alexis les évoque cruellement dans Les Arbres Musiciens. Le personnage de Diogène Osmine, ayant accédé à la prêtrise par calcul et compromission, en est le principal acteur. Son destin tourne autour de ces événements et de la politique gouvernementale, soutenus par le clergé breton et sous l’égide de l’Archevêque Évêque, cardinal camerlingue récemment nommé par le Vatican et canadien de surcroît ! Lorsque Diogène lui annonce que l’archevêque lui a proposé de devenir son secrétaire, son frère Carles, car celui ci n’est pas dupe, et le lui dit sans ménagements :

Je sais, tu souhaitais vivre bien benoîtement dans un petit coin de campagne odoriférante bénissant, confessant, communiant les gens en échange de bons petits poulets bien dodus, d’œufs très frais, de fruits dorés… Tu ne te rends pas compte que c’est un marché qu’il te propose… peut-être y a-t-il dans ton attitude de frère convers une volonté de puissance cachée… (Arbres 35-37)

VÉVÉ - MÉTRAUX

VÉVÉ – MÉTRAUX

Dans la mission confiée à Diogène figure en première place la destruction des temples vaudous. « Pendant trois cent ans le houmfort avait défié la cathédrale !… un jour l’archevêque blanc avait dit : Allez détruire les dieux de l’Afrique immémoriale. Toi, le premier -… Brûle les jusqu’au dernier!… » (63). On voit bien dans les textes que les auteurs condamnent cette campagne, Alexis cite, on l’a dit, Pierre Roumel, personnage et pseudonyme, sous lequel il a caché Jacques Roumain qui désapprouvait lui aussi contre les « campagnes antisuperstition ». Il est intéressant de confronter les textes d’Alexis avec la réalité historique. « Communiste ? Qu’est-ce que c’est que ça ?… Tu ne te rappelles pas on parlait beaucoup de Pierre Roumel… l’écrivain… un homme de valeur… Les jours de 1929 sont bien morts ! » (Arbres 152). Carles dialogue avec Edgar et leur mère qui était une admiratrice de Roumel. Plus avant, c’est le narrateur qui très précisément relate des faits concernant la bataille épistolaire entre le militant écrivain et le représentant de l’église catholique de Port au Prince :

Pierre Roumel avait, dans la presse, courageusement attaqué la campagne d’abjuration forcée. Pour lui répondre, le Révérend Père Bloissin, esprit borné et boiteux… le plus fameux et le plus fumeux plumitif de l’Église d’Haïti éructait avec ivresse contre-vérités premières… La Phalange, quotidien du haut clergé, ne tarissait d’articles filandreux… de l’apologétique jésuitique. (296-7)

Dans la réalité on l’a vu, Jacques Roumain a effectivement eu un virulent échange d’articles par presses interposées, entre le 25 février et le 31 juillet 1942, par l’intermédiaire de ses écrit dans Le Nouvelliste, quotidien d’opposition, avec le Révérend Père Foisset, à fleurets non mouchetés !. Ce détail nous permet de situer l’action du roman à cette époque, au début de la présidence d’Élie Lescot qui fut renversé en 1946 à la suite des articles parus dans La Ruche, journal qu’Alexis avait créé. On vérifie ainsi le pouvoir de la presse !

Le peintre Eddy Jacques n’a pas eu besoin de lire Les Arbres Musiciens, pour connaître et ressentir la frustration et l’injustice de la campagne menée de front par le gouvernement et le clergé. On a à tort accusé le clergé breton d’être seul en cause. Il suffit de relire les passages ci-dessus concernant Monseigneur recevant un futur ecclésiastique noir. Alors que ce dernier vient lui demander sa « protection », l’autre négocie en lui faisant insidieusement comprendre le rôle qu’il devra alors jouer.

Il avait décidé de prêcher sans retard la campagne contre les dieux vaudous… avant de passer… à la destruction des temples… et attaquerait les houmforts de Terre Salée, La Fosse Desmares… il briserait… la résistance par une offensive éclair la résistance des sanctuaires de… Fonds Parisiens et Poisson.… Oui Monseigneur l’archevêque avait bien calculé son coup. Il l’avait envoyé dans… une citadelle du vaudouisme. (148-9)

ANTISUPERSTITION - EDDY JACQUES

ANTISUPERSTITION – EDDY JACQUES

Dans le tableau que nous analysons on aperçoit un ecclésiastique à cheval. Est-il métissé, noir, difficile à dire! Mais c’est peut-être Diogène. En revanche les militaires qui l’assistent sont incontestablement des « moun-pays ». Ils ont tout détruit, à gauche les drapeaux et oriflammes, à droite les vévés, les colibris, les tambours assotos, et tous les objets du culte imaginables. On voit à l’extrême droite et à l’extrême gauche des paysans s’enfuir. Il est clair que les autorités ont une volonté absolue de détruire et de dégrader. Remarquons que, dans cette scène, il s’agit du houmfort d’un gros bourg, se détachent à l’horizon le clocher de l’église et des maisons bourgeoises. Le houmfort est certes situé dans une zone modeste avec des cases aux toits de tôles ou de chaumes, la foule est pauvrement vêtue, quelques arbres dont des palmiers, un flamboyant en pleine floraison embellissent le paysage et, comme bien souvent dans la peinture haïtienne, l’horizon est barré d’une chaîne de mornes nues, se détachant sur un ciel chargé de nuages, paysage réaliste et qui, malgré son ciel bleu, porte un message pessimiste. Il y a souvent dans ces tableaux une part de merveilleux pour contrebalancer le drame latent ou sous-jacent.

Le seul fait de sa survivance tenace montre à quel point le vaudou représente une volonté d’affirmer sa singularité culturelle, même si, dans le peuple, elle est inconsciente. Malgré les persécutions réitérées, il demeure puissant et profondément enraciné. C’est un lien familial, comprenant le respect des morts, des ancêtres, et il est également lié aux pratiques pharmacologiques des plantes, dont les célèbres « docteur feuilles » (36). La magie et la convivialité y sont conjuguées avec les rites ancestraux. Reprocher à un Haïtien d’être vaudouisant, c’est comme lui reprocher d’être haïtien ! Le rapport entre vaudou et haïtianité est intime. C’est un moyen de s’enraciner dans sa propre histoire. Il aura fallu attendre la chute de Duvalier en 1986, pour que la dépénalisation du vaudou soit déclarée par la constitution de 1987. Cependant le débat est loin d’être clos ! Si, officiellement l’élite, la bourgeoisie, ne sont pas officiellement vaudouisantes, elles le sont secrètement. Alexis nous en donne une image dans la double fête, l’une officielle et brillante, et l’autre cachée, secrète, qui se déroule au même moment dans les dépendances de la villa, de « Maître Jérôme Paturault… un de ces politicards professionnels… ce mauvais grimaud… avait épousé une petite mulâtresse, éperdument belle, vertigineusement creuse et sotte » (Compère 83). On peut noter le mépris que l’auteur exprime pour ces deux personnages, qui confirme son opinion défavorable sur les femmes de la bourgeoisie. « Vaudouisant il l’était de toute son âme… pendant que se déroulerait dans les salons… la brillante réception mondaine, tout au fond de l’immense cour le houngan, dessinant ses vêvês et faisant cliquer l’asson célèbrerait la gloire des dieux africains » (186). Dans le même chapitre Alexis va décrire le bal puis la cérémonie vaudou. Il est donc intéressant de montrer les deux aspects de cette soirée .

Vers cinq heures du soir… les invités commencèrent à affluer. Des hommes en spencer ou en smoking noir et blanc, des femmes aux robes froufroutantes… des femmes minaudantes… L’orchestre jouait, discrètement des Lambeth Walks et des méringues* langoureuses. Tout était lumineux, étincelant, sélect.… toutes ces robes merveilleuses, toutes ces tenues de soirée… L’orchestre lançait dans l’air du soir ses roulades et ses chorus… ses Lambeth Walks endiablés. (188-9)

BAL MONDAIN - RIGAUD BENOÎT

BAL MONDAIN – RIGAUD BENOÎT

Le peintre Rigaud Benoit nous donne deux versions où perce son humour représentant le ridicule des participants, sans oublier l’orchestre. L’une des versions est plus protocolaire et proche du bal de Jérôme Paturault, la seconde moins formelle, offre elle une vision plus populaire. Les deux mises en parallèle confirment le propos.

En fin de chapitre Alexis décrit la cérémonie vaudoue avec un réalisme cru et plausible, reprenant en les inversant les mêmes formules pour le bal mondain, marquant ainsi sa réprobation !

Du fond de la cour, un tambour assourdi par les hurlements de l’orchestre annonça le début de la cérémonie en l’honneur des dieux infernaux. Le ministre s’était discrètement éclipsé. Le houngan possédé jonchait le sol de maïs et de pistaches grillées noblant le langage sacré. On amena un bouc vêtu d’une jaquette rouge. Ce fut Jérôme Paturault, dansant autour du poteau mitan et des vévés dessinés sur le sol qui sacrifia l’animal. Le tambour mystérieux, gluant, funèbre, disait des litanies sourdes. On but le sang chaud à la ronde tandis que cliquetait l’asson du grand prêtre sur la tête des assistants.

L’orchestre… sans discontinuer, lançait ses congas, ses méringues, ses boléros… tout était lumineux, sélect, étincelant, enchanté. (192)

BAL POPULAIRE - RIGAUD BENOÎT

BAL POPULAIRE – RIGAUD BENOÎT

Pour illustrer les cérémonies vaudoues plusieurs peintures très différentes ont été sélectionnées. Faire une synthèse est difficile car, on trouve et retrouve divers traits particuliers de tableau en tableau. Certains regroupent en une scène composite tous les éléments traditionnels, tel celui de Raymond Désiré, où la scène se passe autour du « poteau-mitan », élément essentiel qui permet aux dieux de descendre rejoindre les officiants, c’est l’ axe de la cérémonie. Au fond à gauche, un autel pour le loa invoqué, son couvert est mis. A gauche, un groupe danse, accompagné par les trois tambours traditionnels, l’Assoto, le Manman et le Boula, dont les positions sont respectées. Les « hounsis » vêtues traditionnellement de blanc sont omniprésentes, pieds nus, elles dansent ou préparent le sacrifice, certaines d’entre elles portent sur la tête d’autres offrandes, les autres ont le traditionnel foulard haïtien, rouge. Au premier plan à gauche, les animaux qui vont être sacrifiés sont tenus en laisse, les hommes fument leur habituelle pipe et dans leur ceinture on peut voir les longs couteaux. Les larges récipients attendent le sang sacrificiel. Au pied du poteau mitan on peut voir des offrandes, des bougies, allumées et la « Mambo », chef de cérémonie, assistant le sacrificateur, le Houngan tout de noir vêtu. Certaines des hounsis portent des drapeaux brodés aux signes des loas invoqués. Il y a dans ce tableau un résumé d’une cérémonie vaudou et l’illustration du rôle primordial des tambours. Le tableau d’ A. Lusimond présente également une scène emblématique.

On peut remonter aux mythologies grecques, égyptiennes, romaines ou autres, décrites par Homère, Hérodote, Tacite, César, Ammien Marcellin, pour retrouver de nombreux points communs tant sur le sacrifice rituel, que sur le partage festif de la boisson et de la nourriture. En revanche la possession est purement africaine : le dieu invoqué investit le corps et l’esprit de l’un des assistant qui perd tout contrôle conscient et agit selon les ordres du loa, conduisant à l’identification de soi avec le dieu mi-vaudou mi-chrétien. Le rôle du poteau est primordial car c’est par son intermédiaire que l’esprit du dieu viendra. C’est pour cela que tous les signes rituels tels les tracés des vévés, les bougies, et les danses se font tout autour. »Autour du poteau mitan […] les vêvês rituels dessinés avec de la farine » (130). Jacques Roumain était avant tout un ethnologue reconnu, et dans Gouverneurs la cérémonie à laquelle il nous convie est plausible même si elle n’est pas authentique, elle s’inspire d’analyses précises de cérémonies, Rose Marie Desruisseaux a représenté non seulement les hounsis, le vévé et tous les détails se rapportant à une cérémonie, elle y ajoute le recueillement et la foi perceptibles chez tous les participants.

VAUDOU - ROSE MARIE DESRUISSEAUX

VAUDOU – ROSE MARIE DESRUISSEAUX

On retrouve des sacrifices antiques, l’acceptation supposée de l’animal ainsi que le respect de la tradition qui veut que l’animal ait mangé avant le sacrifice, signe éventuel de son acceptation, (cette tradition est racontée par René Depestre), sans oublier le sang sacrificiel, la dignité acquise par l’animal, la hiérarchie des officiants, leur rituel, leurs vêtements correspondant aux rites accomplis, qui sont soit blancs soit rouges. Dans la cérémonie vaudou de Gouverneurs, on assiste au sacrifice d’un coq et à l’arrivée du loa d’Ogoun-Férraille :

« Au milieu du vêvê, le La Place avait déposé […] un coq couleur de flamme […] buisson ardent de plumes et de sang.
Doméus saisit le coq et l’agita en éventail au-dessus des sacrifiants.
[…] D’une torsion violente, Dorémus arracha la tête du coq et en présenta le corps aux quatre directions cardinales.
[…] le houngan refit le même geste d’orientation et laissa tomber trois gouttes de sang par terre.
Saignez, saignez, saignez
Chantèrent les habitants.
[…] Le sang du coq s’égouttait, élargissant un cercle rouge sur le sol.
[…] La victime […] n’était plus un coq ordinaire, mais le Koklo du loa, revêtu de ce nom rituel et de la sainteté que lui conférait son meurtre sacré.
[…] Cet homme qui bondissait sauvagement, la face convulsée, c’était Ogoun, le loa redoutable, dieu des forgerons et des hommes de sang. » (Gouverneurs 64-65)

VAUDOU - ABNER LUSIMOND

VAUDOU – ABNER LUSIMOND

La musique, la danse et le chant soutenu, provoqués par les tambours relèvent uniquement du vaudou haïtien. Selon leur battement les tambours sont supposés provoquer la venue du loa invoqué. Lorsque Roumain nous invite à la veillée puis à l’enterrement de Manuel, les traditions mêlées sont respectées. Le culte des morts est très proche des traditions antiques. Tant les dieux que les morts sont présents dans leur quotidien. En guise de partage, quelques gouttes de café, clairin, tafia, rituel traditionnel pour à la fois étancher leur soif et respecter leurs mémoires, doivent être versées sur le sol de terre battue.

Les auteurs nous convient à plusieurs manifestations vaudoues. Elles sont l’âme du pays, et ils les intègrent à leurs récits.

Elle se mit à chantonner. C’était comme un gémissement, une plainte de l’âme, un reproche infini à tous les saints et à ces divinités sourdes et aveugles d’ Afrique. […] Ô Sainte Vierge, au nom des saints de la terre, au nom des saints de la lune, au nom des saints des étoiles, au nom des saints du vent, au nom des saints des tempêtes, protège, […] mon garçon, […] ô Maître des Carrefours, ouvre lui un chemin sans dangers, Amen. (26)

VAUDOU - SCÈNE INTÉRIEURE - RAYMOND DÉSIRÉ

VAUDOU – SCÈNE INTÉRIEURE – RAYMOND DÉSIRÉ

Cette religion participe à la vie quotidienne, elle est populaire, animiste, et venue avec les premiers esclaves déportés de leur Afrique natale et gardée farouchement comme seul soutien. Ces dieux garants d’un patrimoine culturel leur permettaient de résister à la férule inhumaine des colons. Au fil des siècles elle s’est profondément modifiée et adaptée, les cérémonies ont certes gardé la tradition d’un sacrifice sanglant, mais c’est celui d’un animal. Il n’y a aucune sauvagerie, si ce n’est l’absorption rituelle du sang de l’animal, sans oublier les quelques gouttes versées sur le sol pour les morts, toujours omniprésents. Les rituels sont souples et variés selon les régions de l’île, les dieux honorés, appelés, correspondent au destinataire de la cérémonie, les roulements des tambours ont un rythme particulier et précis pour chaque étape et chaque loa. Ce ne sont pas des cérémonies secrètes, mais peu (ou pas) de Blanc peuvent croire avoir assisté à une cérémonie totalement authentique. Les nombreux récits folkloriques qu’en font les auteurs étrangers, les non « né-natifs », bien souvent affabulent, ou racontent des cérémonies organisées pour les touristes. En revanche, tant Roumain qu’Alexis peuvent être crédibles dans leur discours et semblent transcrire certains rituels dans leur authenticité. Lorsque Délira appelle à son secours à la fois les dieux guinéens, les dieux vaudous, ainsi que la Vierge Marie et les saints catholiques, elle est totalement dans l’esprit vaudou, et le syncrétisme des deux religions…

Je vous salue Marie Altagrâce. […] Oh Mes Saints, oh mes loas, venez me secourir : Papa Legba, je vous appelle, Papa, je vous appelle, Dambala* Siligoué, Saint Joseph, […] je vous appelle, Ogoun* Shango, je vous appelle Saint Jacques le Majeur je vous appelle, ay, Loko Atisou, Papa, ay Guédé* Hounsou, je vous appelle Agoueta Royo, DokoAgoué,* je vous appelle, mon garçon est mort, il s’en va traverser la mer, il s’en va en Guinée, adieu , je dis adieu à mon garçon. (183-184)

OGOUN - ANDRÉ PIERRE

OGOUN – ANDRÉ PIERRE

Métraux décrit Saint Jacques Le Majeur qui est à la fois un saint catholique, mais aussi le dieu Ogoun-ferraille, dieu de la guerre et forgeron : « personnage casqué et armé chevauchant un cheval cabré, qui n’est autre qu’ Ogoun-ferraille sous les traits de Saint Jacques le Majeur. Leur couleur rouge est celle du dieu guerrier » (Vaudou 143) Ce dieu bivalent est présent dans  Gouverneurs à plusieurs reprises, dans le passage cité ci-dessus Délira le mélange à tous les dieux africains et notamment à son double, Ogoun Shango, dans la scène vaudou il nous dit « c’était Ogoun, le loa redoutable, dieu des forgerons et des hommes de sang » (Gouverneurs67). et Manuel qui ne trouve pas le sommeil regarde « l’image d’un saint… C’est l’image de Saint Jacques et en même temps c’est Ogoun, le dieu dahoméen… Il a l’air farouche avec sa barbe hérissée, son sabre brandi… et le bariolage rouge de son vêtement : on dirait du sang frais » (67). On doit remarquer que dans ces quelques mots c’est le narrateur, et certainement pas Manuel qui parle, cependant c’est Manuel qui est censé penser. Dans la description qu’Alexis fait d’une fresque murale d’un houmfort, il y a le même loa : « Sur le retable mural… se détachait… un dieu guerrier en grand uniforme, sabre au clair au milieu d’une nature exubérante… La peinture était composée en masses… d’une palette très chaude où dominaient les ocres et les rouges, des verts soutenus et des bleus » (Arbres 342) Le peintre André Pierre a représenté un Ogoun qui ressemble par bien des points à celui-là.

Jamais peut-être depuis la Grèce antique, les dieux n’ont autant cohabité avec les hommes. Dieux païens, dieu chrétien en symbiose avec une foi vibrante et naïve, cela aussi fait partie du réel merveilleux haïtien. Dans la peinture haïtienne d’inspiration vaudoue ou mystique, il y a de nombreuses illustrations des saints, fruits du syncrétisme à la fois vaudou et chrétien.

OGOUN - ANDRÉ PIERRE

SAINT JACQUES LE MAJEUR ET ERZULIE
(PHOTO PATRICK WOOG)

Sur des murs de houmfort, cette même image se retrouvait souvent. Les photos et les tableaux illustrent et cautionnent la démarche de l’écrivain ethnologue. La connaissance des rituels qui transparaît dans son récit, authentifie et rapproche le roman de la vie réelle qui, de nos jours, n’a pas du tout changé… Alexis en donne une image jumelle : « Devant l’oratoire… les gravures représentant les saints. Erzulie, la grande femme blanche avec son voile bleu, souriait sur l’image, les mains jointes… à côté étaient Saint Jacques le Majeur et saint Georges » (Compère 122-3). La photographie qui illustre le syncrétisme religieux, prise au hasard d’une promenade dans l’arrière-pays, en 1998 donne une réalité saisissante au texte d’Alfred Métraux, et à ce que voit Manuel. On y reconnaît à gauche, peint sur les murs du houmfort, le saint terrassant un dragon, (ce n’est pourtant pas Saint Michel, ni Saint Georges, mais Saint Jacques le Majeur) drapé de rouge sur son cheval cabré et, à sa droite, Erzulie somptueusement parée comme de coutume, sans oublier l’évocation de son vévé des cérémonies vaudoues en forme de cœur. Quelle meilleure illustration du syncrétisme : Saint Jacques le Majeur alias Ogoun faisant face à Erzulie soit à la fois la Vierge Marie et Aphrodite ou Vénus, déesses de l’amour et de la beauté. On retrouve la même scène dans des tableaux d’origine brésilienne.

Si l’on détaille la photographie, on peut y remarquer les nombreux objets dédiés au culte, symboles chrétiens et vaudous confondus. Dans le tableau sur la campagne « anti-superstition », la même cohabitation est frappante.

Il est intéressant de noter que Manuel participe à la cérémonie organisée par Délira, sa mère. Mais s’il se prend au jeu « Manuel s’abandonnait au ressac de la danse, mais une singulière tristesse se glissait en son esprit » (Gouverneurs 68) « …Vaincu par la pulsation magique des tambours au plus secret de son sang » (63). On a l’impression que ce n’est pas seulement du fait de l’envoûtement de la cérémonie, mais également à cause d’une certaine condescendance aux loas et aux officiants, et par respect à ses parents, qu’il y participe. Il n’y croit plus vraiment, n’entre pas en transes et n’a pas pris part au rituel, il est presque spectateur. Il a voyagé, il a appris, il sait que ces croyances sont réservées aux ignorants, à ceux qui ne savent pas … encore. Sa mission en rentrant au pays est d’apprendre aux paysans une vérité, dont ils sont porteurs sans le savoir. Il le dit clairement et en est irrité. « À ce service de Legba … j’ai pris mon plaisir en tant que nègre… mais c’est tout » (86). Il n’est plus dupe des superstitions ancestrales. »Vous avez beau offrir le sang des poules et des cabris pour faire tomber la pluie, tout ça a été inutile. Parce que ce qui compte c’est le sacrifice de l’homme, le sang du nègre » (190). Il incarne en cela une démarche politique conforme à l’idéal et à l’engagement marxiste de l’auteur qui, comme on l’a vu, transparaît en filigrane dans le roman.

Parmi les personnages clés du vaudou il y a les Loups-Garous, qui soit dans les faits, soit dans les mémoires surgissent, tout comme dans les textes.

« Tu te cachais comme si j’étais le loup Garou* lui même – (Gouverneurs 80) Lydia Poppée, le loup garou aux longs cheveux, celle qui pouvait apparaître à n’importe quelle heure de la nuit sous, l’apparence d’un chat aux yeux enflammés, se muer en truie blanche, s’élancer, devenue orfraie, sur un arbre ou se dissiper en un jet de fumée noire spiralant jusqu’au ciel. (Arbres 102)

Mme Louis Balin, la femme du spéculateur, réputée pour être une « loup-garou » fieffée, avait été communier le dimanche précédent… (en) bonne chrétienne. (175)

Les « Ouinguebindingue », cette affreuse confrérie (des) champoèles*… Cette confrérie de loups-garrous… héritiers d’un rituel démoniaque. » (253)

Il y a plusieurs décès dans les romans et les auteurs nous narrent les préparatifs, les coutumes, les traditions respectés par leurs paysans, et l’enterrement est un moment très important et solennel, quelle que soit leur condition. À défaut d’un curé, les paysans font appel à leur substitut !

Aristomène, le Père Savane… porte une lévite qui a du être noire au temps jadis… Il feuillette son livre… il lit à toute vitesse… il avale les mots… Il est pressé… pour ces malheureux deux piastres et cinquante centimes qu’il va toucher… ce n’est pas nécessaire… de se donner du mal… Malgré sa hâte il se réjouit des mots latins qu’il va prononcer, de ces vobiscumsaeculum, et dominum qui sonnent comme une retombée de baguettes sur un tambour… Si les mots avaient des os il s’étranglerait. (Gouverneurs 182)

L'ENTERREMENT - JEAN-BAPTISTE CHÉRY

L’ENTERREMENT – JEAN-BAPTISTE CHÉRY

Chéry, peintre de grande renommée, donne dans un tableau un immense réalisme à cette cérémonie. Porté par de jeunes hommes, un cercueil, celui de Manuel ? on pourrait l’imaginer, part pour son dernier voyage. On y remarque l’absence du curé, seule une simple croix est tracée sur un cercueil de bois sombre. Le cercueil y est un peu moins modeste que celui décrit par Roumain, il a des poignées, luxe impossible pour Manuel :  » Si seulement j’avais pu avoir… quelques ferrures, comme celles qu’on vend chez M’sieu Paulma au bourg. Mais c’est cher, hors de portée » (Compère 173). La vénalité d’un certain clergé de l’époque, comme on l’a vu à majorité bretonne (37), y est dénoncée de façon claire :

Ils doivent sacrifier leurs derniers sous à des messes, à des requiems pour le repos des morts, et puis à implorer les vieux dieux sourds de l’Afrique […] Le père Le Guillec lui, il prend cinquante centimes pour la confession, vend l’eau bénite, demande trois poulets pour un baptême, tant pour les messes et tant pour les libéra des morts. (111)

Délira et Annaïse marchent, appuyées et se soutenant l’une contre l’autre derrière le cercueil : « Délira…] dans sa robe noire, la tête enveloppée d’un mouchoir blanc » (170) et « Annaïse… a passé sa robe noire, (et) elle s’est coiffée d’un mouchoir blanc » (174), elle pleure. Sur le tableau, elles semblent toutes deux représentées : « Délira a ouvert ses bras en croix, les yeux levés vers quelque chose que seule elle voit » (182) soutenue par Bienaimé. La famille et les amis suivent, tous ont mis leurs meilleurs habits pour honorer le disparu, et ils portent même des chaussures. Le cortège a quitté la case, l’on voit une femme vidant par la fenêtre un liquide, avant d’aller se joindre au cortège car, selon la coutume, les voisins sont venus accompagner le défunt. La tradition veut que toute jarre ou cruche soit vidée afin d’éviter que l’âme du mort ne revienne boire. La case est une caye* campagnarde traditionnelle, au toit de chaume. On reconnaît celles que les écrivains ont décrites. La route est bordée de quelques bananiers, à l’horizon se profilent sur un ciel nuageux, les dos dénudés des mornes, piqués de quelques rares pieds bois. La tradition, certainement venue d’Afrique, dit que l’âme du disparu va traverser l’océan pour retourner vers la Guinée.

Tu as beau prendre des chemins de traverse, faire un long détour, la vie c’est un retour continuel. Les morts, dit-on, s’en reviennent en Guinée et même la mort n’est qu’un autre nom pour la vie. (Gouverneurs 36)

Il est indispensable de prendre des chemins détournés jusqu’au lieu de la sépulture afin d’empêcher le mort de chercher à revenir sans se perdre, le chemin sera long et l’itinéraire compliqué. Pour l’anecdote, on peut remarquer que l’un des porteurs a ses souliers sur l’épaule. Une loi stupide a pendant quelques années obligé les habitants à êtres chaussés pour descendre en ville ! Habitués qu’ils étaient à marcher nu-pieds, l’inconfort de porter des chaussures parfois empruntées était total. Compte tenu de leurs faibles revenus, la dépense était disproportionnée et il est évident qu’ils étaient mal chaussés ! La femme en blanc qui porte des sandales à talons et brides relève d’un rêve d’artiste. Le peintre fait ainsi allusion et non sans humour, à ce que fut cette aberration !

L'ENTERREMENT - FABOLON BLAISE

L’ENTERREMENT – FABOLON BLAISE

D’une facture plus fouillée, Fabolon Blaise, sur une route bordée d’une nature verdoyante, peint avec un grand réalisme un enterrement paysan. Ils sont tous nus-pieds, les femmes aux cheveux cachés sous leur foulard, les hommes en chapeaux de paille. L’enfant qui conduit la procession porte une croix ornée de signes vaudous, semblable à celles de Liautaud, le cercueil de bois brut est porté par les hommes, leurs visages sont graves, l’un d’eux pleure. « Ils marchent lentement vers la lisière des bayahondes* et le cortège des habitants les suit : les femmes pleurent et les hommes vont en silence » (184). On doit là encore remarquer qu’il n’y a pas de curé. (Tout comme dans le tableau de Chéry.) Les frais occasionnés par les ecclésiastiques sont trop élevés pour des paysans aussi pauvres . On avait auparavant assisté à la veillée funèbre où, déjà l’intervention d’un Père Savane, représentant prétendu de l’église, était venu débiter des textes latino-français, moyennant salaire, charge déjà fort lourde. On se souvient de Délira priant tous ses dieux : « Agoueta Royo, Doko Agoué, je vous appelle, mon garçon est mort, il s’en va traverser la mer, il s’en va en Guinée, adieu, je dis adieu à mon garçon » (162), sans pour autant oublier la religion catholique : « Mon Dieu, mes saints, la Vierge, mes anges, t’en prie, t’en prie… toi la Maman de Jésus… oh, Vierge des Miracles, je te demande grâce » (162).

Avec un peu d’imagination, il est facile dans les deux tableaux de recouper les visuels avec les descriptions de Roumain et d’Alexis. La campagne, l’arrière-plan du paysage aux mornes déboisées, et le peuple paysan dans toute son authenticité et sa quotidienneté sont tellement proches du discours qu’il est facile de rapprocher textes et images, sans oublier la fraîcheur des sentiments exprimés.

Pour conclure ce développement consacré au syncrétisme sous une de ses formes visuelles les plus pittoresques et intéressantes, il faut mentionner la grande innovation que fut la décoration de l’église épiscopalienne de Sainte Trinité à Port-Au-Prince, sous la houlette de l’Évêque Voegeli, par huit peintres haïtiens : Philomé Obin, Castera Bazile, Gabriel Leveque, Rigaud Benoit, Wilson Bigaud, Préfête Duffaut, Adam Léontus, et Jasmin Joseph, qui s’est avéré être une réussite totale, et est devenue de notoriété internationale. Ce travail permet l’osmose de huit sensibilités et styles différents, juxtaposés et unifiés par un ciel commun et l’horizontalité des axes principaux. Bien sûr Marie est parfois noire, les saints judéo-chrétiens sont confondus avec les loas ou les serpents vaudou qui s’y sont glissés, dans un arrangement de nature caribéenne. L’événement fit scandale tant auprès du gouvernement que dans les milieux bourgeois, noirs ou mulâtres, et pour tous les Chrétiens ! Ces fresques murales sont devenues un chef d’œuvre internationalement reconnu de l’art haïtien.

LES NOCES DE CANA - WILSON BIGAUD

LES NOCES DE CANA – WILSON BIGAUD
(voir la note dans la liste des illustrations)

Les Noces de Cana en est un bon exemple : Wilson Bigaud n’a pas hésité outre les personnages principaux liés à la cérémonie emblématique de l’évangile selon Saint Jean à y inclure des tambours vaudous, des participants noirs ou blancs. Au premier plan un enfant noir et nu attise le feu sous un animal égorgé, sans doute sacrificiel, boucané en train de rôtir. Une femme à genoux, qui pourrait être une mambo*, prêtresse vaudou, est représentée avec deux tambourineurs accompagnés de vaccines rythmant la scène sur leurs assotos, puis divers personnages dont un « gros nègre », en costume de ville et mocassins vernis, ce dernier fume un énorme cigare dans sa dodine*, la chaise à bascule traditionnelle du repos, qui sont l’association pour décrire les capitalistes, les possédants, les riches exploiteurs haïtiens. C’est Cana de Galilée, mais revu en Haïti ! La scène est intégrée à un paysage réaliste et ironique d’arbres et de plantes tropicales, où l’on voit à l’horizon, se détachant sur le ciel nuageux, les mornes dénudées et même un « Maître Coq » qui s’y pavane !

On ne peut oublier combien les coqs sont importants. Souvent victime sacrificiel, le coq est investi de pouvoirs magiques, et participe à sa manière au panthéon des dieux vaudous. Ils sont aussi les célèbres « Maîtres Coqs » de combats homériques et quasiment sacrés, inspirateurs de nombreux textes et de multiples œuvres d’art, ce sont ces héros que nous allons maintenant découvrir.


4 – « Les coqs »

COQ - ANONYME

COQ – ANONYME

« Le soleil se lève, dit Délira. […] Les coqs s’affrontaient, une fraise de plumes hérissées autour de leur cous. Ils échangeaient quelques becquées, quelques coups d’éperon. […] Et dans chaque cour c’était pareil. Le jour commence ainsi » (122), Les coqs de basse-cour sont virulents, mais en outre il y a le Coq de Combat, et c’est un vrai personnage !

Le tableau d’André Normil présenté en préambule, composite d’images résumant la vie d’Haïti comporte bien évidemment un combat de coqs (8) et nous permet d’ouvrir cette rubrique. On peut voir que c’est la gaguère* (38) d’un gros bourg, construite en dur sous un toit de tôles, les parieurs s’y bousculent, le combat bat son plein. Un paysan arrive son animal sous le bras pour le prochain affrontement.

Le combat de coqs est l’un des passe-temps favoris du peuple caraïbe. Qui dit combat de coqs dit gaguère, lieu de convivialité où les hommes se réunissent traditionnellement : « Le dimanche à la gaguière, le clairin à la cannelle, au citron ou à l’anis, montait vite à la tête des habitants, surtout des perdants, et il y des cas où les bâtons se mirent de la partie » (74). On y parie et l’argent passe de main en main, le clairin coule à flot. Nous allons étudier différents tableaux, on y verra que la gaguère peut être un simple lieu circulaire sous un toit de feuilles, dans les petits villages pauvres, ou un endroit structuré au milieu du bourg, lieu de l’animation urbaine. Il y a autour du coq de combat toute une symbolique, à la fois guerrière et cruelle, mais où l’honneur du coq et donc de son propriétaire sont primordiaux. Le coq de combat est traité avec des soins vigilants et il fait l’orgueil du paysan. On tient compte de la vaillance, des qualités physiques, de la combativité des coqs dont l’origine est importante.

COMBAT DE COQS - WILNER ETHEA

COMBAT DE COQS –
WILNER ETHEA

Les auteurs font souvent allusion à ces combats, et dans Compère Général Soleil Alexis nous convie à un combat truculent qui se passe en République Dominicaine, cependant le même récit pourrait tout aussi bien se dérouler de l’autre côté de la frontière, en Haïti. « Les coqs de combat de Saint Domingue n’ont pas leurs pareils » et de tout temps la rivalité entre les Haïtiens et les « Pangnoles » fut de mise. On retrouve une même rivalité chez les premiers colons espagnols, avec leurs taureaux de corridas : rivalités entre élevages au prestige plus ou moins grand dans les arènes. L’acquisition d’un coq de combat est un acte important : « Fais dire à Félicien qu’il doit attendre pour avoir son coq de combat pangnol » (Compère 241).

COMBAT DE COQS - LUCKNER LAZARD

COMBAT DE COQS – LUCKNER LAZARD

Le peintre Luckner Lazard, en donne une représentation d’un réalisme stylisé absolu. Dans la gaguère typique d’un petit village, toute simple avec son toit de feuilles de latanier, les paysans vêtus du « gros bleu » traditionnel, vareuse et pantalon assortis, l’un d’eux a son pantalon roulé au dessus d’un genou, tel que nous l’ont décrit Roumain et Alexis, tous nu-pieds, discutent ardemment autour de deux coqs couleur or, en plein feu du combat. Ce sont des coqs sans crête, aux cuisses nues, tels ceux décrits par Alexis : « Un coq de combat se rengorge au soleil avec la tête sans crête et ses cuisses nues qui laissent entrevoir un sang rutilant » (73), ce même sang qui ruissellera lors des blessures du combat. Plusieurs paysans ont leur animal sous le bras, attendant le prochain combat. Sous leurs chapeaux de paille tressée, semblables à ceux que Manuel fabrique, ils s’abritent du soleil. « Manuel revint vers la case.… Il se mit à tresser un chapeau de latanier… Les doigts diligents… laçaient et entrelaçaient la paille » (Gouverneurs 147). Les couleurs en camaïeux des bleus du fond de toile entre le toit de paille et la scène donnent une impression d’intense chaleur. On peut remarquer la naïveté de la peinture, aucune ombre portée, des à-plats de couleurs, et une économie de moyens d’un choix de couleurs très limité. Il est à noter qu’il n’y a pas de femmes.

GAGUÈRE VILLAGE - FRITZNER LAMOUR

GAGUÈRE VILLAGE – FRITZNER LAMOUR

D’une toute autre facture, Fritzner Lamour donne une autre représentation (de sa première époque), ce peintre ultérieurement deviendra célèbre pour ses interprétations joyeuses et pleines d’humour, (il s’est spécialisé dans le traitements d’animaux humanisés avec drôlerie, ironie et talent : tel le coq coiffeur, le coq général, le mariage des pintades, des généraux, insérés dans notre quotidien). Si le thème central est un combat de coqs, l’artiste a composé une scène aux multiples facettes. Au cœur d’un village, en dehors de l’enclos, on peut voir au premier plan, en bas à droite, une marchande et un enfant, des paysans pieds-nus ou chaussés, divers personnages et des volatiles qui courent, certains sont des coqs de combat, d’autres sont simplement des coqs de basse-cour ou des poules en liberté. Dans les bras d’une jeune femme, ce qui est inhabituel, on aperçoit un coq de combat. Une marchande d’oranges attend le client. Sur la gauche, une partie de cartes animée se déroule, entre hommes, sous l’œil attentif de quelques femmes, ce qui est une occupation traditionnelle. Les Haïtiens sont de grands joueurs de cartes. Rappelons nous la veillée mortuaire de Manuel, « Les habitants sont assis autour et jouent au Trois Sept. Ils tiennent leurs cartes en éventail et ils ont l’air absorbés… c’est la coutume de jouer au cartes dans les veillées. Neuf de carreau je coupe » (174). Tout comme dans le village, « l’officier de police rurale jouait au Trois Sept…dix de carreau, baille moi ton as » (77-78). Alexis y fait une brève allusion : « Le samedi ! Il allait faire une partie de cartes avec les amis. Le dimanche il soignait le coq de combat qu’il avait acheté à un Dominicain, puis l’après midi, de temps en temps, l’emmenait batailler dans les arènes de quelques gaguères » (Compère 155). L’un des joueurs est assis sur son tambour, sa présence est symbolique, il est évident qu’il est là pour battre le tambour et fait une pose ! À l’arrière il y a un champ de canne à sucre. La gaguère située à droite nous montre deux coqs clairs, à la queue magnifique, en plein combat. Les coqs s’affrontent sous le regard passionné des parieurs. Les combattants sont écrêtés et les cuisses nues, conformément aux descriptions d’ Alexis. C’est le combat de coqs intégré dans la vie d’un village, un dimanche, jour de repos et de loisirs. Les peintres ou les boss-métal ont traité la charge émotionnelle et visuelle du folklore attaché aux gaguères. Chaque village a la sienne où, dans un climat d’enthousiasme extraordinaire, se déroulent les combats organisés et arbitrés selon des règles immuables et codifiées. Les paris en sont le moteur, ils vont bon train, et l’argent circule. Les coqs, on le voit, sont des personnages importants. Le coq haïtien chante nuit et jour, et le coq de combat est un Seigneur. « Le coq de combat… battit ses ailes couleur de cannelle et chanta. D’autres coqs… lui répondirent » (137). Prétexte à la convivialité, ces combats sont souvent aiguisés par l’appât du gain. « Tu peux parier sur mon coq demain ; il n’y a pas plus vaillant » (55). La tradition veut que les combats n’aient lieu que le dimanche, car seul jour de repos, dans un pays aux traditions à la fois chrétiennes et vaudoues. Roumain et Alexis respectent la même tradition « Dimanche on ira à la gaguère pour faire combattre mon coq » (264), mais Alexis est beaucoup plus prolixe. Dès le prologue de Compère Général Soleil, dans la nuit port-au-princienne, « Un coq se mit à chanter. Le coq de combat de Ti-Luxa… Un bon coq pour la gaguère… ‘Cocohico!… Tous les coqs de Port-au-Prince lui répondirent. À Port- au-Prince les coqs chantent toute la nuit… … Coco… cocohico…! » (9-10). Puis vient l’aube où « La nuit… morte gisait … après l’ effroyable lutte des coqs d’ombre et de clarté qui s’époumonaient encore. Le coq du jour avec sa crête de soleil chantait éperdument victoire, battant ses ailes ruisselantes de feux… » (22). On peut voir combien c’est un animal flamboyant et superbe dans la tradition haïtienne. Les peintres ont d’ailleurs reproduit la beauté de l’animal avec des couleurs lumineuses. On perçoit dans les deux tableaux une convivialité chaleureuse qui rappelle celle d’Alexis décrivant le combat :

L’arène était un grand cercle de terre battue entouré d’une courte palissade… Aujourd’hui la gaguère connaissait la foule des grand jours… on voyait même sans tenir compte des marchandes, quelque femmes des enfants… Le coq de Bracho était une bête plutôt petite, nerveuse, mais très haute sur pattes… Les deux bêtes étaient maintenant bec contre bec… boules de plumes hérissées, tels de vieux plumeaux. (Compère 299, 302)

On retrouve également le coq emblématique lié au vaudou chez René Depestre, qui nous raconte l’histoire bien particulière d’un coq :

Vous avez sans doute reconnu dans ce papa-coq… le préfet de Port au Prince.… Ce magistrat-coq, après avoir avalé sept grains de mais, s’arrêtera de manger pour chanter, avant les autre coqs de la ville… au chiffre sept il chantera… Après de nombreuses becquetées il leva la crête et se remit à s’empiffrer de plus belle… au bout d’un long moment il (le coq) se dressa à nouveau sur ses éperons… il gonfla le cou et soudain il chanta. Je vous l’avais dit… au chiffre sept exactement Crafkir a chanté… Co-hoco ricô-ô-ô. (Depestre 179-180)

Ensuite ce coq personnifié sera l’un des participants officiant à la cérémonie traditionnelle :

Pascal… maîtrisa papa-Crafkir et le ramena au bokor, Tonton Sept-jours saisit le coq… il le tint par les pattes, la tête en bas. Il le ventailla aux sept point cardinaux. Ensuite il souffla du mavangou sur sa crête et sur ses éperons ; Il l’embrassa affectueusement… Merci, magistrat… au nom… de toute la confrérie des Vlanbindingues. (Arbres 180)

SOIGNAGE DU COQ - MANÈS DESCOLLINES

SOIGNAGE DU COQ –
MANÈS DESCOLLINES

Le tableau de Descollines Manès, peintre autodidacte, est troublant de vérité. Il recoupe la description d’Alexis lorsqu’il écrit : « Bracho donnait le dernier soignage à la bête. Il avait tiré une fiole de sa poche arrière, et s’étant rempli les joues avec la mixture qu’elle contenait il la vaporisait en soufflant très fort sur l’animal à deux mains saisi » (Compère 301). Dans cet extrait, l’auteur nous décrit comment se déroule l’hommage aux points cardinaux que l’on retrouve dans toutes les cérémonies vaudoues, et la vaporisation du mavangou est similaire à celle de la préparation du coq de combat. Il est intéressant de voir comment deux auteurs reproduisent les onomatopées simulant le chant du coq, pour Alexis c’est « Coco… Cocohico » et pour Depestre « Co-Hoco Ric Ô Ô Ô » . Peut-on dire que tous les coqs ne chantent pas de la même façon ?…

Alexis dans sa description du coq de combat offre un passage métaphorique d’une grande beauté stylistique, où l’écrivain y peint un portrait emphatique et merveilleux.

Il détendit l’une après l’autre ses cuisses fuselées, dont la peau déplumée laissait voir, en transparence, un sang vin de Bordeaux et des muscles nerveux, frémissants. Des fins ergots, en lames de faux, se détachaient des pattes d’un bleu mordoré, comme un envol de flèches… La coupe du plumage était soignée, le panache de la queue avait été abattu, faisant au coq de combat une sorte de vêtement d’abbé de cour. Ainsi que les ailes bleu de nuit, soutachées de fauve, formaient un haut d’habit crevé d’un jabot de plumes dorées, tandis que l’arrière-train, se relevait en basses sur les cuisses chaussées de cramoisi. La tête fine, sans crête, s’agitait fébrilement sur un cou nu et musclé, marqué de la cicatrice des fanons coupés. Les petits yeux rouges étincelaient. (299)

Dans cet extrait l’admiration, le respect pour l’animal lui donne toutes ses lettres de noblesse. Dans l’imaginaire romantique haïtien, le coq incarne un seigneur. Des fers martelés représentent des combats, œuvres de boss-métal anonymes qui, dans un but esthétique, leur ont laissé leur crête et ont magnifié leur danse et leur plumage. Les coqs ne sont pas citadins et tout naturellement nous entraînent vers les mornes et la campagne d’Haïti où ils chantent à tue-tête.


Notes:

29. Ces informations sont une synthèse de différentes sources, sur lesquels les avis diffèrent L’adaptation de « convite » en « coumbite » semble la plus fiable car, en espagnol ancien le mot signifie « festin. » « Coumbite » est l’adaptation francisée du mot créole « koubit ». Selon les écrivains, il est masculin ou féminin ! Dans Le Paysan haïtien, Paul Moral explique que le mot vient de l’espagnol, importé récemment par les coupeurs de canne revenus de Cuba et de République Dominicaine, mais qu’auparavant c’était le « corvée » dont l’origine coloniale est manifeste. « Il constitue un complexe ethnographique et ne se conçoit pas sans l’entraînement du rythme instrumental ou choral » (190-191). [retour au texte]

30. Dicton traditionnel haïtien [retour au texte]

31. See Hoffmann,  Oeuvres Complètes de Jacques Roumain (1071-1140). [retour au texte]

32. Le Mahaudème est un bois veiné de rouge et lorsqu’on l’ouvre il en coule une sève foncée et abondante qui s’apparente au sang, alors que l’acajou a une texture plus dense donnant un suc moins important. [retour au texte]

33. Il y a différentes sortes de dieux et les loas changent à la fois de nom et de rôle avec le passage du jour à la nuit, ceux de la nuits sont plus dangereux selon les croyances liées au mystère nocturnes. [retour au texte]

34. Dans la langue dahoméenne, le fon, le mot « vaudou » signifie « esprit ». Le fon est souvent la langue que les houngans emploient mêlée au créole et devenue totalement hermétique, ce sont des phonèmes reproduits par les officiants, en imprécations, seuls les initiés en possèdent la signification. Tout comme le latin est considéré comme la langue noble de la religion catholique et utilisée par les « pères savanne »* dans les discours religieux des cérémonies. Les loas sont les dieux vaudous qui investissent le corps et l’esprit de certains des officiants. Le vaudou est une religion essentiellement pratiquée par la plus grande partie de la population noire, prolétarienne ou paysanne, elle est constituée d’un ensemble de croyances issues des rites africains et qui s’est enrichie des rites et croyances catholiques, à la fois polythéiste et animiste, avec pourtant un seul dieu commun et tout puissant, qui crée ce paradoxe d’un monothéisme relatif. [retour au texte]

35. Il faut souligner que les pasteurs protestants, à majorité canadiens francophones, développent t une évangélisation adaptée et efficace, y intégrant une aide pédagogique humanitaire. [retour au texte]

36. On appelle ainsi les guérisseurs qui connaissent le secret des plantes et soignent à l’aide de décoctions, de tisanes et d’onguents, souvent assimilés a des incantations vaudous. [retour au texte]

37. On doit toutefois signaler que ces prêtres blancs vivaient très chichement, souvent abandonnés dans des campagnes ou des mornes inaccessibles autrement qu’à dos d’âne ou à pieds, et sous un climat torride. Leur postulat s’en trouvait difficile à assumer, les autorités ecclésiastiques des villes les ayant quasiment oubliés. [retour au texte]

38. Gaguère ou gaguière, le lieu où se passent les combats. Ce sont des enclos circulaires comme de petites arènes, sous un toit de chaume, lieu de réunion du village où l’on parie, où l’on boit, où les hommes se retrouvent [retour au texte]


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mis en ligne : 17 avril 2013 ; mis à jour : 25 avril 2021