Josaphat-Robert Large, « Le poème à mon père »

Photo © Hervé Large Orlando, Florida 1994

Photo © Hervé Large
Orlando, Florida 1994


Lors ton souffle éteignait la petite lampe-à-papillons
une vie à vagues sur le rivage de nos épaules
lors les portes du sable nous cloisonnaient d’échos
musique du sang sur le geste de la route
tambours de mains ravagés par la mer
un bras de vent naît de toi-même pour soutenir le ciel
fêlé
légende à nous et démunie d’essence de légende vraie
la machine à coudre de ton passé ne peut rien pour
mes haillons
sentir en soi les frissons d’enfants glorieux que
nous fûmes
les coeurs remplis de rêves tissés avec le fil de ta présence
sentir le sens du soi monter par les pentes de ton regard
mes arcs-en-ciel privés entre les prismes de tes yeux
mais l’armée des fous interrogeant nos pas
mon amour à moi arbre-à-fruits de la mémoire
source de coquilles cassées
les doigts de mon rêve ont décrit ton sourire
car le pas de la nuit s’interpose à ma fenêtre
le ciel peigné d’éclipses
mais à quoi bon cet amour qui se limite à partir du
naufrage de tes yeux
à quoi bon ton absence qui délimite ma silhouette
quand dehors mon ombre attend mon cercueil
les fantômes se querellant aux carrefours de mes vides
moi la victime de moi-même
la nuit du rêve sur les chevaux de mes échos
moi à la recherche du mot de passe de la vie
moi dans le vide du mot
passe-partout de ma merde éternellement belle

ô temps de l’enfance des présences
anneaux aux noces de nos sens
couteaux de soleil lancés sur ma fenêtre
les mains se fondent sous un tremblement de lune
et j’écris ce poème à l’angle de tes doigts
car la nuit de ta chair m’a soûlé atrocement
sous la gifle des oiseaux des sens futurs
et c’est un poème que mon sang écrit pour toi
car il n’y a qu’une image au miroir de l’aube
et c’est celle de ton pas à la mesure de la poussière
aux cordes de tes cheveux de pluie
doigts coupés du silence en haillons de droits
je descends en filigrane par les cordes de la mer
et saute
poisson à tête truffée d’éclairs
entre tes liens à toi de fêlures de croix
agenouillé aux sentiers de l’orage à rennes
prie prie que je sois pluie sur ta sécheresse
mille doigts sur la guitare des oubliettes
c’est aussi une symphonie de chiffons pour nier la nuit
cette nuit rêvant d’amour
séries de brumes d’or
dors au-dessus de tes épaules
car le temps de la jeunesse s’est sauvé avec l’étoile
nos temples soudés aux arches de la mer
nous qui fûmes livrés à notre époque sous l’étiquette
des menottes


« Le poème à mon père », © 2000 Josaphat-Robert Large


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mis en ligne : 6 janvier 2001 ; mis à jour : 10 octobre 2021