Jean Métellus, « Voyance »


Dans les replis de la nuit une colère pourpre raconte l’histoire de la fraîcheur
À l’appel des couleurs, des parfums ensorceleurs
Mon cœur s’ouvre à la pulpe de la vie
Des plages de rage brillent sur la sève de mes sens
La buée des regrets brouille mon regard
La fièvre brûle l’haleine de ma douleur

Le temps de caresser l’encolure d’un cauchemar
De marier ma détresse aux lèvres de ma liesse
Le temps d’entonner mon chant de solitaire
Et les blessures de l’homme se déploient sur la croix
Des générations folles se bercent dans le souffle d’invisibles mutilations
À grandes brassées des saisons entières de l’esprit s’évanouissent

C’est voyance qui s’avance
Voyance, patience de l’attente et dépassement des limites
Bruissement des heures éventrées
Tourbillon d’un destin sans demeure
Geste hardi vrillant l’espace
Mesure trouble d’une aube alourdie d’insomnie

Voyance, l’oreiller du soleil
Tu affines les paumes de la beauté
Tu amendes le sol du bonheur
Tu secoues l’épaule sombre des peuples

Voyance, rosée luxuriante de la méditation
Voyance, temple de ma purification

Pleine lune,
Promesse où flotte l’écume sans souillure des rêves
Plongée dans les contrées où séjournent les pieux, où tremblent les ombres
L’élan du signe se dresse dès le matin
J’élève mon regard vers ton mystère
Et la nictation de mes paupières voile une profonde oraison

Autrefois, le voyageur prenait le temps de lire
        sa boussole dans le campement des épines,
        dans l’épaisseur dense des feuilles
L’éclair et l’averse ravivaient son désir d’éternité

Ô voyance
J’ai enfermé l’errance de la tristesse, son gouffre mauve et bleu
J’ai paralysé la turbulence et figé la foulée de l’ivresse
Dans la fanfare des odeurs, une chanson sollicite mes sens
Des cantilènes s’allument sur les cendres de l’innocence
C’est le temps du désordre sacré

Les forfaits sanglants sont effacés
Toute lave d’amertume s’adoucit
Des prophètes semblables chantent des épopées différentes
Ainsi brûlent et se consument toutes les grandes légendes

La mélancolie enchaînée dans l’enfance se délie
L’impatience du chagrin lacère la chance
Et libère l’obscurité rouillée
La trame du geste et du silence tisse la gloire d’Anacaona

Anacaona, la tempête muselée
Tes ennemis ont muré ta parole dans l’océan du feu
L’armée des caciques est revenue sans armes et sans chefs
Elle a enlacé de ses bras des têtes avides d’or et d’épices
Les fleurs brillantes de la pensée, en ces temps-là, nourrissaient le crime et la traîtrise
Elles exhalaient des amours hamuleuses, porteuses d’agonie
Des amours pressées, sans pétales
Des joies cramponnées aux marées de la chair

Ainsi resurgissent les Caraïbes mutilées


Lu par l’auteur, ce poème de Jean Métellus, « Voyance », inaugure son recueil de poésie du même nom, Voyance, publié pour la première fois aux éditions Hatier (Paris, 1984), pages 5-7. Il est reproduit sur Île en île avec la permission de l’auteur.

© 1984 Jean Métellus ; © 2004 Jean Métellus et Île en île pour l’enregistrement audio (3:31 minutes)
Enregistré à Paris le 30 mars 2004


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mis en ligne : 25 mai 2004 ; mis à jour : 27 décembre 2020