Galerie Monnin, Carlo Jean-Jacques

L'attente des jours meilleurs de Carlo Jean-Jacques (1977) Collection de Michel Monnin, photo de Bill Bollendorf.

L’attente des jours meilleurs de Carlo Jean-Jacques (1977)
Collection de Michel Monnin, photo de Bill Bollendorf.

Carlo Jean-Jacques est né le 1er mai 1944 à Port-au-Prince. Il fait ses classe primaires au Lycée Pétion et ses études secondaires jusqu’à la 3ème au Collège Odéïde. Attiré dès sa plus tendre enfance par le dessin, il suit très tôt les cours par correspondance de l’École ABC de Paris. En 1963, il entre à l’atelier d’art de Joseph Jacob. Bernard Wah et Daniel Lafontant sont ses professeurs de dessin alors que Dieudonné Cédor et Jacob l’initient à la peinture. Élève talentueux, il a la joie de voir l’un de ses tableaux sélectionné pour participer au Concours Esso. Cependant, dès 1964, il recherche désespérément sa voie. Sentant l’influence de Cédor s’appesantir de plus en plus sur lui, attiré par l’impressionnisme, il se débat avec lui-même, n’arrivant pas à trouver dans sa peinture la clarté à laquelle il aspire.     Finalement, il rompt avec le groupe en 1966 et alors, commence pour lui une vie de bohème oisive et débauchée. Durant trois ans, il hante les estaminets du Portail Léôgane, les bas-fonds de la Saline et du Bel-Air. Profondément touché par la misère qui l’entoure, désarmé et à la recherche de lui-même, il se saoule de liberté et de clairin.

Durant cette période, il fera provision d’images qui seront comme nous le verrons plus tard, le leitmotiv de son inspiration. En 1969, harassé, sans le sou, il se présente à la Galerie Monnin avec une petite toile représentant une ruelle de la Saline. C’est un nouveau départ; Carlo, d’une timidité excessive, revient périodiquement à la Galerie, donne un tableau, encaisse son argent et repart. Je sens qu’il ne faut pas précipiter les choses, laisser patiemment l’artiste prendre le pas sur la bohème.

Cette approche difficile m’est facilitée par le concours bienveillant de Calixte Henri qui a son atelier à la Galerie. Carlo commence à s’attarder, nous échangeons quelques mots. Doté d’une honnêteté foncière vis-à-vis de ses oeuvres, il est sensible et attentif à nos critiques. Nous l’encourageons à persévérer, à travailler sur de plus grands formats. Ainsi, pendant plus de deux ans, nous flirtons avec ce jeune talent qui s’affirme. Peu à peu, c’est le retour de l’artiste prodigue qui, de lui-même abandonne les bars, décide un beau jour de venir planter son chevalet à la Galerie.

Nous sommes à la fin de 1972, et dès lors, Carlo, complètement libéré de ses craintes et obsessions passées, devient l’ami attentif et disert qui n’a cessé de nous faire réfléchir et rire grâce à ses récits colorés et ses observations judicieuses, tirés de son passé tumultueux. Ses dessins d’une rare pureté échappent pourtant à la moulure classique: grâce à ses déformations longitudinales qui frisent parfois la caricature, il rend à la perfection les attitudes timorées et altières, les gestes gauches et grâcieux qui caractérisent l’allure du campagnard-citadin qui loge dans les bas-fonds de la ville et qui est l’homme de la rue.

Après une nuit de débauche, à l’aube, Carlo se fait conduire dans les rues encombrées de détritus et de flaques d’eau pourrie, dans une brouette poussée par un gueux, « Roi Fatras » pour une heure, alors que le soleil de ses rayons timides déverse sur le port sa lumière purifiante.

Est-ce pourquoi il se jure de réaliser un jour un tableau représentant un immense tas d’immondices, tellement saisissant dans sa simplicité qu’il nous fera toucher du doigt les entrailles de la ville? Et à le regarder s’exprimer ainsi, on ne peut s’empêcher de saisir, dans la prunelle de ses grands yeux, l’éclat de la révolte.

– Michel Monnin, carnets écrits entre 1975 et 1979 (inédits)


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mis en ligne : 1 octobre 2002 ; mis à jour : 16 octobre 2020