Jean-François Samlong, 5 Questions pour Île en île


L’auteur réunionnais Jean-François Samlong répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 17 minutes réalisé par Thomas C. Spear le 9 juillet 2009 dans le jardin de l’État à Saint-Denis.

Notes de transcription (ci-dessous) : Fred Edson Lafortune.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Jean-François Samlong.

Notes techniques : pendant l’enregistrement, vous entendrez souvent le vent qui souffle dans le microphone.

début – Mes influences
01:30 – Mon quartier
03:50 – Mon enfance
06:16 – Mon oeuvre
13:22 – L’insularité


Mes influences

J’aime beaucoup Le Clézio, il est proche de notre univers. J’ai lu aussi Patrick Chamoiseau. J’aime les lectures dans lesquelles je trouve mon univers, les questions liées à l’identité et à l’insularité. Mes lectures vont dans tous les sens. Des lectures qui sont à la recherche d’elles-mêmes, la recherche d’autre regard qu’on porte sur le monde de façon générale. Ce sont des lectures qui m’apportent beaucoup au niveau d’une quête de l’écriture comme ce fut le cas avec Marguerite Duras.

Mon quartier

Je suis né à Sainte-Marie, une petite ville qui se trouve à l’est de La Réunion. Ce qui a beaucoup marqué mon enfance, ce sont toutes les belles journées passées avec les petits camarades à la rivière, dans les cascades et au milieu des champs de canne. C’est vraiment une enfance plongée dans la nature avec une totale liberté. Cette enfance vécue à la campagne est restée en moi jusqu’à maintenant. C’est là où je trouve de nouvelles ressources pour pouvoir continuer à écrire cette île de La Réunion avec tout ce passé historique. Je recherche encore ces coins de ma ville natale, ces rivières, ces forêts, ces jeux avec mes camarades. Je me nourris beaucoup de ces souvenirs dans les cases sans télévision, sans radio et sans journaux. On se retrouvait finalement seul en face de soi-même à méditer et à inventer de nouvelles façons de se cultiver. Je me rends compte que c’est l’homme qui se construit en même temps.

Mon enfance

La petite enfance pour moi est sacrée. J’étais abandonné par ma mère à l’âge de six mois. J’étais recueilli par ma grand-mère et j’ai vécu longtemps avec mes grands-parents. Je n’ai pas une image constructive de la mère, mais une image très positive et très bénéfique de la grand-mère qui m’a donné tout son amour et toute son affection. Aujourd’hui encore, je me rends compte que je retrouve l’image de tendresse de ma grand-mère dans celle de toutes les femmes que j’ai connues. C’était un moment très fort dans ma vie. À travers toute la tendresse qu’elle m’a donnée, elle m’a permis de me construire pendant mon enfance et mon adolescence. Si j’ai réussi à l’école, c’est grâce à elle. Elle a guidé tous mes projets avec une profonde motivation de toutes mes actions. Tout ce que je fais aujourd’hui prend source dans la petite enfance qui est très riche sur le plan affectif, même si on était pauvre sur le plan matériel. Mais au niveau du cœur, je ne manquais de rien.

Mon œuvre

Mon œuvre, j’essaie de la construire depuis déjà une trentaine d’années. J’ai commencé d’abord avec la poésie. Je fais également quelques essais, mais depuis une dizaine d’années, je me consacre essentiellement au roman. Ce qui m’intéresse dans ce genre, c’est cette possibilité de mettre en scène des personnages qui sont typiques de l’île de La Réunion. Ceux qui ont construit l’île année après année, siècle après siècle. C’est une place importante consacrée à la mémoire sans laquelle on ne peut construire rien de solide.

Le système éducatif de La Réunion prend en compte l’histoire de la France et celle des Gaulois et consacre très peu de place à notre histoire. Ce qui fait que des écrivains réunionnais comme moi et beaucoup d’autres ont la mission de faire découvrir aux Réunionnais leurs propres histoires. Sauvegarder à travers des romans historiques la mémoire de l’île. Notre objectif est d’écrire pour les autres. D’analyser ce qui s’est passé durant ces trois siècles d’histoire et de proposer, à travers l’œuvre romanesque, ce qui pourrait être l’avenir de La Réunion et comment le construire ensemble.

On parle d’ici comme une île paradisiaque. Nous avons de très beaux paysages, nous avons aussi de graves problèmes au niveau éducatifs avec plus de 120 000 illettrés. Nous avons des problèmes au niveau du chômage, au niveau de la quête identitaire, au niveau de la culture et de la langue. Tant de problèmes qui se posent à nous en tant qu’écrivains et qu’on ne peut pas ignorer.

Si j’écris, c’est parce que j’ai peut-être une mauvaise conscience par rapport à l’histoire de l’île et par rapport à ce qu’on a fait d’elle aujourd’hui.

Si problème il y en a, il y a matière à écrire, à réfléchir et à bâtir une œuvre au fil des années. La chose la plus terrible pour un écrivain, c’est le moment où il se dit qu’il n’y a plus rien à dire. En tant qu’écrivain, je me suis engagé dans le social, dans la politique, dans le culturel et dans le problème linguistique qui se pose à nous.

L’Insularité

En ce qui me concerne, l’insularité est quelque chose de très positif. Les îles de façon générale sont liées à un imaginaire. Elles sont liées au rêve, à l’évasion, à la possibilité d’invention, à l’imagination et à création artistique. Du point de vue esthétique, l’insularité offre des possibilités d’innovation immense.

Le concept de l’insularité est aujourd’hui bousculé du fait qu’on vit à la fois dans une île et dans le monde grâce aux médias. L’insularité serait une prison dorée, éclatée, ouverte sur le monde. Maintenant il nous reste à savoir comment vivre l’insularité dans sa propre île. C’est la question d’une conscience de soi par rapport à un espace défini. L’insularité serait, non pas un espace extérieur à l’artiste, mais un espace intériorisé. C’est au fond de soi qu’on doit rechercher cette insularité et cette solitude importante à la création et de créer en soi une identité nouvelle pour pouvoir aller vers l’autre.

Ce qui fait la richesse de l’insularité, c’est que ce qui est en nous, on ne peut pas l’oublier. C’est une richesse pour tout individu qui vit dans une île.


Jean-François Samlong
Samlong, Jean-François. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Saint-Denis (2009). 17 minutes. Île en île.
Mise en ligne sur YouTube le 25 mai 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 23 décembre 2009 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Notes de transcription : Fred Edson Lafortune
© 2009 Île en île


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mis en ligne : 23 décembre 2009 ; mis à jour : 26 octobre 2020