Iona Ieronim, poésie – Boutures 1.3

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Poésies
vol. 1, nº 3, pages 21-22

 

Ars poetica

Poésie pour quand tu es myope,
éreinté, usé jusqu’à la corde
au gros pinceau sur les murs
visible jusque dans le noir
en attendant que
pousse quelque part un beau jour
la génération spontanée des nuances

Jeu

Ne te cache plus
l’instant t’appartient pour de bon
c’est avec toi qu’il va se mesurer
il n’est ni grand ni petit
il n’a pas de corps
il est fait tout entier de cruauté.

Non in idem flumen

illustration de Pasco

page 22: illustration de Pasco (Pierre Pascal Mérisier)

Le pays est à l’heure de la gêne
usée jusqu’à la corde fut notre fibre
ayant vécu la plus grande frayeur historique
la plus forte des extases
les mains dans les poches vides
vidées de tout ce que nous fûmes
– avec le fantasme du lendemain,
cerf-volant arraché à sa ficelle, vagabond, sans
attaches

Nous avons pris un fardeau sur le dos
mis un signe sur nos jours
vécu un espoir à l’image du désespoir
notre âme, notre corps avaient pris des formes
aveugles, indéchiffrables,
sept ans, onze ans
et plusieurs fois d’autres aunes
jusqu’au seuil le plus bas des ténèbres
vers l’aube

Maintenant, on se recueille
comme le firent nos ancêtres depuis la nuit des
temps
avant tout voyage.

Portrait de femme

Elle a mis un manteau noir en velours
connivence entre nuits blanches et secret des
arcades,
fardée sur une seule joue,
le gros bonnet enfoncé sur la tête
les bras sortis de son éternelle capote bleue
un petit sac égaré à la main
une grosse sacoche, bottes souillées par la boue
de la banlieue à HLM
et l’enfant à côté
parmi les étalages à légumes
fleurs peintes en rouge, vert Nil, jaune doré
miel au parfum de soleil
avec son sourire discret et altier de Madone
elle serre bien fort, dans le coin d’une serviette
les papiers noircis pendant la nuit,
les défendant contre les tentacules humides du céleri.

Parce que

On joue aux relais, à cache-cache
sorcière, plus d’une fois
j’ai laissé dans tes bras mes mesures toi, tu m’as recouverte de signes
en raflant au passage plusieurs
continents de ma vie
sept fois tu t’es emparée pour de bon de mon
corps

je viens de repeindre ma chambre
les bouquins déjà nés sont sur les rayons
ceux à naître tournent dans le ventre de
l’ordinateur
toujours plus à son image

permets-moi
dans cette saison
de t’oublier une fois de plus

bout

Ioana Ieronim
poète et essayiste, est née à Râsnov, Brasov. Elle a fait des études de langue et de littérature anglaise à l’Université de Bucarest.
Ses poèmes, traduits, ont paru dans des revues littéraires aux États-Unis, en Angleterre, en Suisse, etc. A publié Vara timpurie, 1979 et Triumful Paparudei (Litera, 1992).

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mis en ligne : 9 janvier 2002 ; mis à jour : 26 octobre 2020