Imasango, « L’avenir enraciné »

L’avenir enraciné

                                                                                     Le passé colonial a ses jumeaux aux quatre coins du monde
                                                                                                   chacun porte en son cœur la barbarie d’une brûlure
                                                                                                                                               qu’il est temps d’apaiser

 

Je parcours le chemin à la source de l’histoire
brisure des os à reconstruire en enfantant l’espoir
je bouture un présent pacifié aux tertres des aïeux
apprivoisant écartèlement et divisions je tends ma main

Quand la France impériale arriva sur ces côtes
l’île avait souffle ventre cosmos enracinement sacré
espaces mythique et rationnel offraient profil au même visage
et voix des arbres palabres chemins d’alliances
équilibraient le temps originel d’un ciel sans religion

Chassant l’inaliénable des entrailles de la terre
d’autres hommes sont venus pour peupler ces rivages
joignant aux tubercules mutilés jusqu’au sang
les tourments des pionniers venus tenter leur chance
les affres de l’exil des bagnards rescapés
le courage des mineurs travaillant sans relâche
la volonté des pères venus fonder famille

On entendit gémir l’âme déchirée de l’île
éternelle nourricière malgré ses chairs brisées
elle proposa son sein à l’ensemble de ses fils
exilés de leur sang exilés de leurs fibres
cherchant un flux de vie à mettre dans leur cœur

Pour qu’adviennent du passé des limons fondateurs
frères de lait dispersés sachons construire ensemble
gardiens des lieux sacrés et des espaces modernes
tissons la sève d’hier aux contours du présent
pour le pain des dialogues et le levain des actes
pour les pactes assumés sans mensonge ni calcul

Les jours cicatrisés voguent vers le futur
où ébaucher une natte tressée par des mains blanches
où dresser une case avec fierté en ville
pour les seuils métissés où nous nous retrouvons
famille aux mille visages offrant ses fondements

Nous traitons les vertiges stériles de nos chevilles
cri éternel d’oiseau ne voulant pas mourir
nous choisissons d’ensemencer l’exaltation des différences
pour recouvrer nos âmes et déposer les armes

C’est par la source que l’on devient et pour éclore que l’on s’adapte
pour chasser la froideur d’un monde en noir et blanc
offrir l’irréductible de nos gènes endémiques
enracinés à la présence kanak riche de son être
aux multiples ethnies rencontrées sur cette terre

Je sens vibrer mon sang quand j’enlace les paysages de l’île
quand j’écoute la magie d’un chant en langue vernaculaire
quand j’admire les danseurs et sculpteurs incarnant les ancêtres
quand je sais l’avenir abreuvé de promesse de semences

Je me sens traversée par le feu émanant du ventre de la terre
énergie tellurique pour mon âme et le sang de mes veines
greffant l’altérité aux épaules de bonté
j’avance sur les chemins où nous nous retrouvons

Sertie de bienveillance je tends au changement ses premiers pas
pour la vérité des êtres et l’universalité de chacun
pour l’essence des choses et les valeurs que l’on partage
pour cette part sacrée de vie que l’on incarne

Pays-île allaité au potentiel de ta richesse humaine
tu ne saurais trouver ta force dans la mort ou la rancœur
tu mérites de renaître de tes cendres et bien plus que cela
ne disons pas à l’autre : tu n’as pas ton arbre ici
apposons un sceau éthique sur tout pacte signé

Que notre résistance profonde se nourrisse de conscience
respectons la nature les hommes l’océan que l’on soigne
abreuvons chaque rhizome de patience et d’hospitalité
pour la métamorphose gravée sur notre peau
son soleil son regard tamarin et ses sillages complices

Terre d’ici caillou fertile pour les instants vêtus d’écoute
offre-nous la compréhension des êtres qui s’étreignent
offre-nous le respect pour l’oasis où jeter l’ancre
malgré les heures houleuses offre-nous de naviguer ensemble

Terre d’ici hanches d’azur terre aux yeux qui s’éveillent
livre ton destin aux hommes qui respectent ta langue
tu es refuge lucide et vérité de la parole qui désaliène
tu es l’initiée à venir acceptant notre commune présence
sans mentir au crissement des mousses sous nos pieds

Sortant de la torpeur des sommeils de l’histoire
tressons gestes nourriciers aux mythes et légendes
pour envisager l’autre comme la mère son enfant
pour qu’affleure la lumière de l’errance de nos âmes
en absorbant les ombres dans un élan de don

Chassant l’aride passé rapetissant les corps
il est temps d’abreuver sous nos pieds conquérants
des sillons d’ouverture et de compréhension
pour que circule fluide le sang neuf de nos veines
allaitant l’émergence de nos mains de sagesse

Le temps en marche efface l’entrave des souvenirs
chacun recèle la réponse et la source
le présent passerelle jaillissant du berceau
et les chemins d’offrandes d’un quotidien d’échanges

Dans la rue le quartier à l’école en tout lieu
sur les sentiers où avancer la tête haute
donnons repères aux projets de nos jeunes
proposons-leur un baume pour panser les blessures
soyons à leurs côtés pour fomenter la paix

On entendra le chant de la terre et des hommes
pour que sonne sonne sonne l’écho sans tabou
qu’advienne l’union des traditions et de la modernité
désarmant méfiance et ignorance qui indiffèrent

Kanaky -Calédonie femme île femme sans âge
belle métisse plus loin que l’ADN par la force des rencontres
si tu veux vivre mets-toi debout apaise tes naufrages
propose ta renaissance aux conflits de ce monde
déploie ton cœur en la lumière pérenne de ton être

Partage la plénitude des élans empaumant la matière
pour les espoirs qui aboutissent à l’abandon de soi
à la lisière où l’on se perd et où l’on se retrouve
grâce à l’autre et pour l’autre que l’on regarde enfin
offrir résurrection à la parole nourrie de sève

Mon frère mon autre ma sœur ma mère mon pays
vous êtes ma verticalité sans cesse renouvelée
cardinale traversée de mon puits de lumière
cycle de l’existence pour nos mains gîtes

Que la mémoire de nos ancêtres ne soit pas profanée
que cette terre que l’on partage ne soit pas abusée
que vallées et rivières ne subissent pas l’avidité
pour que l’on puisse encore enlacer et dessiner un arbre

La planète est en souffrance notre terre l’est aussi
soyons divins cultivateurs de l’essentiel à préserver
ne nous perdons pas dans le poison des puissances
sachons féconder l’inertie libérons l’hirondelle du passé

Suspendons nos actes épanouis aux origines que l’on partage
sachons offrir récoltes et vertus à l’existence que l’on assure
pour la sérénité des familles exhaussées de leurs vœux
partageons la beauté du sincère engagement de chacun

Je suis terrassée par la fidélité de mon amour pour l’île
je sais que nous sommes nombreux à vivre cette passion
faisons jaillir l’identité solaire de chacun grâce aux liens
rendons hommage au temps uni de l’acte et de la parole
enracinés au flux de vie que tissent nos mains fertiles


Imasango, photo par Hélène Jeannet

Imasango au musée de la Nouvelle-Calédonie, photo © Hélène Janet 2017

Le poème « L’avenir enraciné », par Imasango, a été publié pour la première fois dans Sillages d’Océanie, Empreintes 2018, paru aux éditions de l’AENC (Association des Écrivains de la Nouvelle-Calédonie) à Nouméa en 2018, pages 27 à 31. Il est offert aux lecteurs d’Île en île par l’auteure, le 4 novembre 2018, jour du premier référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. © 2018 Imasango.


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mis en ligne : 4 novembre 2018 ; mis à jour : 2 novembre 2020