Georges Mauvois, « Plus nu tu es, plus chien te hale »


( Proverbe créole : « Pli ou touni, pli chien ralé’w » )

Il était une fois un cambrioleur qui n’avait pas d’égal dans son art. Il opérait de préférence là où se trouvaient des chiens, profitant de sa connaissance de leur mentalité.

Il soutenait que le chien épouse tous les préjugés de l’homme. Parmi ceux-ci l’idée que les personnes bien mises valent mieux que les autres. En attesteraient, selon lui, les parures des rois, des reines et des nobles, les costumes des messieurs et dames, le haut-de-forme, la cravate, le gilet, etc.

Féru de sociologie, notre chenapan prétendait qu’en matière vestimentaire, le chien est un connaisseur. Il a suivi l’évolution. Il a connu le temps des colons habillés de blanc qui fut aussi celui des esclaves porteurs de pagnes. Il a, de tout temps, été bon gardien sur les propriétés, sachant distinguer d’une part les gens honnêtes qui venaient bien vêtus et de l’autre les coquins qui approchaient de la maison en cachant des mains les trous de leurs vêtements. Aujourd’hui, il sait distinguer les élégants des minables.

Quand il allait dévaliser une maison, le premier soin de ce brigand était de bien s’habiller.

Donc, par un bel après-midi, le voilà à pied d’oeuvre. Il avait jeté son dévolu sur une appétissante villa, retirée derrière un petit lotissement. Pour y arriver, il fallait passer devant d’autres maisons, qui, chacune, avait son chien. Les chiens de ces villas le virent avancer de loin. Mais eux qui d’habitude aboyaient sans raison sérieuse furent si impressionnés par son allure qu’ils le regardèrent traverser sans piper mot.

Il portait costume trois pièces, souliers vernis, panama, collier d’or massif, montre-bracelet, breloque, chevalières etc. etc. Il arborait aussi une pochette et agitait une badine.

La villa à dévaliser, au milieu d’un petit jardin, était vide. Il franchit le portail, et là, trouva devant lui un chien minable, qui semblait dormir si profondément qu’aucun bruit ne semblait pouvoir le réveiller.

C’était un chien vicieux, d’une infinie méchanceté. Il aurait dévoré sa propre mère. Il feignait de dormir pour laisser approcher sa victime. Il attendait, pour la prendre au mollet, que toute esquive soit impossible.

C’est dire si ce chien se moquait de l’habit. Le bel accoutrement du cambrioleur eut plutôt pour effet d’aggraver sa mauvaise humeur. Costume trois pièces, chemise brodée, caleçon, collier, tout cela vola à la ronde. Il ne resta que les souliers vernis.

Notre voleur put s’échapper. Mais alors il était nu. Et les chiens des autres maisons, le voyant passer ainsi, lui appliquèrent une loi, depuis bien longtemps érigée en dicton :
« Plus nu tu seras , plus chien te halera. »


« Plus nu tu es, plus chien te hale », par Georges Mauvois (inspiré par le proverbe Pli ou touni, pli chien ralé’w), a été publié pour la première fois dans Contes des quatre croisées ou Kont lé kat kwazé. Kourou / Schœlcher: Ibis Rouge / Presses Universitaires Créoles, GEREC, 2004, pages 50ff.

© 2004 Georges Mauvois pour le texte ; © 2011 Georges Mauvois et Île en île pour l’enregistrement audio (3:48 minutes)
Enregistré à Schœlcher le 19 octobre 2011


Retour:

/georges-mauvois-plus-nu-tu-es-plus-chien-te-hale/

mis en ligne : 31 octobre 2011 ; mis à jour : 10 octobre 2021