Georges Mauvois, 5 Questions pour Île en île


Dramaturge, essayiste, conteur et romancier, Georges Mauvois répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 41 minutes réalisé à Schœlcher le 19 octobre 2011 par Thomas C. Spear.
Caméra : Janis Wilkins.

Notes de transcription (ci-dessous) : Marie Denise Grangenois.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Georges Mauvois.

début – Mes influences
05:16 – Mon quartier
10:03 – Mon enfance
16:25 – Mon oeuvre
24:06 – Mon engagement politique
35:28 – L’insularité


Mes influences

Je ne suis pas influencé par les écrivains modernes. J’ai fréquenté le lycée Schœlcher, j’y ai travaillé les auteurs enseignés à l’époque c’est-à-dire ceux du 17e au 19e siècle. Je ne veux pas parler des auteurs modernes. Je suis attaché aux auteurs classiques : Molière, Voltaire, Victor Hugo, Cervantes. J’ai fait du grec, j’ai traduit Aristophane : c’est peut-être de là que remonte mon goût du théâtre. J’ai fait de la philosophie en classe de philosophie, mais je n’ai pas continué ; j’ai été vite pris par le militantisme et absorbé par la littérature militante.

J’admire Césaire, le Cahier d’un retour au pays natal en particulier qui m’a beaucoup marqué, et le Discours sur le colonialisme, mais je n’ai pas lu tout Césaire. Je ne suis pas poète ; par accident j’ai écrit quelques poèmes courts que je n’ai pas diffusés. Par contre, le théâtre, oui ! J’ai commencé par Agénor Cacoul en 1964. En 1966, quand le mouvement anticolonialiste était fort, cette pièce fut d’actualité, elle traitait de la situation dans les mairies. Les étudiants martiniquais en France l’ont jouée dans plusieurs villes (mais je ne l’ai su que bien après).

Je suis resté ensuite des décennies sans écrire, mais à ma retraite, j’ai repris. J’ai écrit onze pièces dont deux sont des traductions de textes classiques, une traduction de Dom Juan adaptée puis Antigone à peine adaptée. Mon intellectualité se limite à cela !

[note de MDG: En réalité, Georges Mauvois se flagelle trop complaisamment en proclamant son ignorance de la littérature du 20e siècle. Il suffit de le pousser un peu pour entendre ses éloges de quelques grands Américains, Dos Passos et Faulkner les premiers, des latino-américains (Neruda, García Márquez), des « géants russes » (Tolstoï, Dostoïevski, Gorki) sans compter Le dernier des Justes de Schwartz-Bart, Chronique des sept misères de Chamoiseau… et Voyage au bout de la nuit de Céline.]

Mon quartier

Le premier contact avec ce quartier [où nous sommes] remonte à ma petite enfance. Mon père était agent de police ; il habitait près du Vieux Moulin non loin de la résidence du gouverneur de l’époque. De là partait un petit chemin qui conduisait à Ravine Touza, je ne voyais pas le quartier, je le devinais, car je voyais fumer une distillerie au delà, je savais que mon père y allait.

Comment est-ce que j’ai vraiment fait connaissance avec ce quartier ? Après ma révocation des PTT pour action révolutionnaire, je cherchais un endroit où mettre mes ruches, car j’étais passé de la fonction publique au métier d’apiculteur. Je n’avais pas d’argent, et un ami m’a proposé de me mettre en contact avec un de ses amis, propriétaire de cet espace. Le propriétaire voulait me vendre le terrain, je lui ai dit que cela m’était difficile. J’entrais alors tout juste au barreau, et j’allais commencer à regagner ma vie normalement, alors finalement nous avons pu faire l’affaire. J’ai acheté ce terrain qui était un bois que j’ai essayé de préserver : je n’ai pas voulu saccager cette nature. Je me suis installé et j’ai beaucoup travaillé ici. Là où j’habite, je suis isolé et seulement dérangé par les animaux.

Par contre, j’ai connu beaucoup de gens à Ravine Touza car j’ai été candidat à la mairie de Schœlcher et j’entrais dans presque toutes les maisons. Mais maintenant, les jeunes, je les connais moins ; il y a eu de nouvelles habitations.

Je peux distinguer deux périodes, la période de mon activité politique où tout le monde me connaissait et la période de la fin ma retraite où je vis presque en ermite ici.

Je ne suis pas mécontent d’habiter ce quartier : je peux travailler à l’aise, j’ai des amis qui viennent me voir et je peux encore sortir avec ma voiture. Ce n’est pas plus compliqué que cela !

Mon enfance

J’ai habité dans ma petite enfance sur la route de Didier, près du vieux moulin, une espèce de vieux château où habitait à l’époque le gouverneur. Mon père était agent de police chargé de la sécurité du quartier et de celle du gouverneur. Un des souvenirs que j’ai, que j’ai d’ailleurs raconté dans mon récit Monologue d’un Foyalais : mon père partait la nuit pour faire arrêter le son du tambour que jouaient les gens de la campagne, cela dérangeait le gouverneur. Mon père devait faire arrêter ce bruit. Comme il était très doux, très humain, il le faisait en douceur ; il rapportait le tambour à la maison. Mais, comme il aimait le tambour – il avait été petit-fils d’esclave – il connaissait ce que c’était. Je voyais qu’il caressait le tambour. Trois jours après, il le ramenait aux gens chez qui il l’avait saisi. Mon père avait des vaches et tout petit j’ai su comment m’en occuper. C’est peut-être ce qui m’a amené, quand j’ai été révoqué des PTT, à choisir un métier agricole puisque j’ai été apiculteur puis aviculteur.

Quartier Didier et mon enfance, c’était aussi l’école, les parents d’autrefois étaient soucieux de la scolarité de leurs enfants, pour mes parents c’était une passion ; il fallait que mon frère et moi nous réussissions à l’école et comme j’étais l’ainé, les espoirs reposaient surtout sur moi.

Il y avait une classe tout près du château ; maintenant c’est une grande école. Quand je suis rentré à l’école, j’avais six ans ; il fallait attendre mon frère qui était plus jeune que moi de 18 mois.

J’ai appris très vite. À l’école, j’étais devenu un « petit phénomène », la maîtresse me poussait beaucoup. À huit ans, nous avons dû partir à l’école en ville, aux Terres Sainville. Le quartier se bâtissait, et mon père s’y est fait construire sa maison. À l’école, en ville, je suis premier en tout. Là aussi, je suis encore le petit phénomène, passant de classe en classe… Je me rappelle qu’il y avait une rivalité entre nous des Terres Sainville, école de la banlieue pauvre, et Perrinon, école des bourgeois. Il y avait rivalité pour savoir où se trouvait l’élève le meilleur. Mon directeur voulait que ce soit moi. J’avais un rival, devenu ensuite un ami. Au lycée par la suite : pareil, je suis sorti avec le prix d’honneur, mais c’était la guerre, il me fallait travailler. Je suis entré aux PTT et je n’en suis pas sorti sauf quand j’ai été révoqué, quand je suis devenu apiculteur puis aviculteur, puis je suis rentré au barreau et j’ai fait mon droit à 50 ans. Ensuite j’ai réintégré les PTT pour bénéficier de ma retraite. Mon enfance a été vraiment heureuse, dans la nature à Didier, aux Terres Sainville. Ma vie, c’était la chasse aux passereaux, la rivière les oiseaux… bref, pas plus compliqué que cela non plus !

Mon œuvre

J’ai commencé en 1964. j’ai écrit une pièce de théâtre [Agénor Cacoul] (publié en 1966). Je voulais dénoncer certains aspects de la société martiniquaise que je combattais comme militant et j’ai voulu les combattre en tant qu’écrivain bien que je ne me considère pas comme écrivain (je suis quelqu’un qui écrit des choses de temps à autre). Dans cette première pièce, j’ai fait le portrait des maires de l’époque qui étaient au service des békés. Cette pièce a eu un gros succès : elle a été jouée en Guyane et en France, mais je ne sais pas pourquoi jamais en Martinique.

Ensuite j’ai écrit une sorte d’autobiographie où j’ai raconté ma vie de militant, je voulais surtout brosser un tableau de la société martiniquaise telle que je l’ai connue. Dans tout ce que j’écris, c’est la société martiniquaise qui m’intéresse. Je ne suis ni photographe ni cinéaste ; je pense que l’écriture doit laisser les portraits des hommes, de l’humanité que l’on a traversée.

J’ai écrit d’autres pièces qui ont eu leur succès, par exemple Man Chomil, pièce qui fait le portrait de la vie dans un bureau de poste, pièce très connue. J’ai écrit aussi sur la cupidité de certains que j’ai vu vivre. Je dénonce aussi l’exploitation des jeunes femmes qui, à cause de l’évolution de la société martiniquaise, sont obligées de se prostituer. Depuis quelque temps, je me suis pris d’intérêt pour les grands personnages de la Martinique. Je n’ai pas écrit sur Césaire, d’autres auteurs s’en chargent. J’ai écrit sur Georges Gratiant, un avocat avec qui j’ai travaillé, et j’ai fait un recueil de textes de Victor Schœlcher. Récemment, j’ai écrit sur Lémery, né à Saint-Pierre, fils de mulâtre devenu ministre de Pétain qui, donc, n’aurait pas pu plus mal tourner ! Mon intérêt, c’est la Martinique, les Martiniquais.

J’ai aussi écrit des contes entendus dans mon enfance et d’autres qui sont de ma pure imagination, inspirés de proverbes créoles. Je suis en train de rééditer tous ces contes et quelques nouvelles dans un seul ouvrage. J’ai écrit pour les petits enfants ; on m’a demandé d’écrire pour eux. Le sujet était tout trouvé : j’ai écrit la vie d’une abeille. Cela m’était facile ; quand j’ai été apiculteur, j’ai approfondi ma connaissance des abeilles et ce texte a été pour moi l’occasion de donner aux enfants cette image de la vie de l’abeille depuis sa naissance jusqu’à sa fin. Il parait que le livre a été bien accueilli par les lecteurs.

Mon engagement politique

J’ai commencé à militer relativement jeune quand j’ai quitté l’armée, plus exactement la marine, que j’ai quittée en 1945. J’avais 23 ans. Je me suis jeté tout de suite dans l’action politique. Cette vie politique était vivace, Césaire devenait maire de Fort-de-France et les communistes partaient à la conquête de la plupart des communes. J’ai été mêlé à cela tout jeune. Je ne me suis pas inscrit aux jeunesses communistes, je trouvais que le mot « jeune » n’était pas approprié ; je voulais être un militant d’emblée.

C’était quoi, la vie militante à l’époque ? Des réunions de cellule où on discutait pour savoir comment faire bouger les gens, les choses, créer des syndicats, défendre les personnes face à plus fort qu’elles, face aux usiniers békés ; le travail interne n’était pas le plus important, le plus important était d’aller chaque soir au contact du peuple, du nord au sud. Et puis, il y avait les élections. Pour moi, la question de devenir maire ou conseiller était la dernière des choses.

C’était même mal vu d’avoir envie d’occuper des postes. Ce qui valait la peine était le combat de tous les jours. C’est ce qui, peut-être, nous différencie des générations actuelles qui sont préoccupées par les postes, mais c’est comme ça que les choses évoluent !

Nous étions persuadés que la révolution était possible. Elle avait réussi à Cuba ; nous comptions sur Cuba pour nous aider. Certains d’entre nous allaient à Cuba en voyage d’études. Les dirigeants se déplaçaient souvent. Je suis allé plusieurs fois en Union Soviétique et en Tchécoslovaquie. Après coup, on prend conscience que cela ne nous apportait pas grand-chose ; cela nous donnait seulement le sentiment de ne pas être isolés, d’être forts au plan international.

Et puis il y a eu cet échec du socialisme en URSS, cette dénonciation du Stalinisme. Certains, comme Césaire, sont partis du PC. D’autres – moi, par exemple – nous sommes restés, en pensant que ce n’était pas parce que ça avait mal tourné en URSS que l’on ne pouvait pas arriver à quelque chose de bien en Martinique.

J’ai milité pendant plusieurs années. J’ai quitté le parti en 1982 parce que j’avais l’impression que mon sens de la discipline me conduisait à des positions contraires à ce que je pensais. Par exemple, quand il y a eu les élections du président de la République, le parti voulait l’abstention et moi, je voulais la participation, car les Martiniquais sont trop imprégnés du sens des élections dans le cadre démocratique pour croire que nous pouvions, nous, nous mettre à côté. J’avais dit aux dirigeants que si l’on se maintenait sur ses positions outrancières, je démissionnerais, ce que j’ai fait, mais je suis parti en restant en bons termes avec les camarades. Je ne me suis jamais senti adversaire des communistes et je n’ai jamais été considéré comme un adversaire ; ce fut une séparation à l’amiable ! Il y a quelques jours [en commémoration de la création de « Justice »], ils m’ont remis un trophée [, comme à Armand Nicolas].

Le monde ne pourra continuer à vivre sous la dictature de la finance ; il y a aura des changements.

La formule soviétique est dépassée. Est-ce que la formule chinoise est la bonne ? Je n’en sais rien. Je n’ai pas fixé mon choix sur une solution quelconque, cela viendra des jeunes. Mais il faut une réorganisation fondamentale de la société.

L’idée du communisme, du socialisme, va revenir en force, je ne sais pas comment, mais elle va revenir !

La société va changer, à moins qu’elle ne disparaisse, car les moyens sont réunis pour sa disparation. Un simple faux pas sur le plan international peut nous conduire à la catastrophe. J’ai écrit une pièce de théâtre là-dessus que les gens n’ont pas compris, elle s’appelle Le Guichet, qui montre comment nous sommes dans un engrenage et si on ne s’en sort pas, on va à la catastrophe.

L’Insularité

Pour moi, je pense que c’est mieux de vivre sur une île que sur un continent. J’ai vécu six ans en France quand j’étais jeune. À un moment donné, j’avais vraiment envie de rentrer, j’étais au bord de la déprime, tellement j’avais envie de rentrer. J’avais quitté un bureau à Desclieux où il y avait des feuilles de cocotiers que le vent balançait et qui entraient par la fenêtre et, là-bas, j’y pensais irrésistiblement. Je voyais surtout en hiver des moineaux sur un lierre qui poussait sur un mur. En France, je ne sortais pas beaucoup, mais j’avais des amis. Mais il me manquait cette chose difficile à dire : le paysage autour de nous. C’est un peu sommaire de voir l’insularité par ce côté-là, mais j’aime vivre dans mon île.

J’ai peu voyagé d’une île à l’autre, il n’y pas eu d’allées et venues. Les relations étaient plutôt avec la France. Mais au fond de moi-même, j’attache du prix à cette image de ces îles semées en demi-cercle autour de la mer. Le texte de Victor Schœlcher m’a beaucoup frappé, texte dans lequel il dit qu’il voit pour l’avenir ces petites îles, rattachées l’une à l’autre, de petites nations qui formeront un ensemble. Cette unité de la Caraïbe ne se fera pas dans un siècle, mais cela se fera, car c’est dans la nature des choses, dit-il. Quand je vois ainsi les Antilles, je sens de façon très intime que nous sommes ensemble. Ce qui m’a toujours frappé, c’est la proximité que nous avons par le créole avec la Dominique et Sainte Lucie. Je suis très sensible à cette similarité de la langue créole dans ces îles.


Georges Mauvois

« Georges Mauvois, 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Schœlcher (2011). 41 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 25 mai 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 29 novembre 2011 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Janis Wilkins.
Notes de transcription : Marie Denise Grangenois.

© 2011 Île en île


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mis en ligne : 29 novembre 2011 ; mis à jour : 26 octobre 2020