Georges Castera, XIe festival international de poésie de Medellín – Boutures 2.1

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Medellin
vol. 2, nº 1, page 5

 

MedellinAu seul nom de Medellin, le sentiment d’infallibilité de la presse internationale nous taraude l’esprit. Nous sommes assaillis de partout par des idées toutes faites et les techniques d’intoxication gomment l’essentiel, nous apprenant à dénigrer tout un peuple. Bien sûr, Medellin, comme toute ville, amène ses cadavres au cimetière. Mais elle ne fait pas que cela.

À Medellin, la poésie se tient debout et salue le monde en plusieurs langues. Soixante-dix pays invités, des poètes de tous les continents.

Medellin, c’est aussi la ville de Fernando Botero, peintre et sculpteur colombien. Les grosses bonnes femmes de Botero, couchées ou debout, se donnent aux passants qui furtivement touchent leurs fesses pulpeuses tout en faisant semblant de ne pas les toucher.

Un enfant espiègle, pour bien montrer qu’il a vu, demande à sa mère : dis maman, pourquoi la dame a un si gros derrière ? Embarrassée, la mère répond que c’est de l’art et que les artistes exagèrent toujours, et puis regarde où tu marches.

Ainsi marche la vie à Medellin, l’art étant au centre de tout. Mais la presse internationale, qui vit de connotations ridicules, de clichés s’appesantit plutôt sur des détails qui font sensation. Elle cherche la poudre aux illusions dans le vent qui passe, dans le regard des enfants, dans les mots des poètes, et bien, sûr, elle ne dit rien de ce festival de la fraternité, de la liberté de parole.

De ma chambre, au neuvième étage de l’hôtel Nutibara, Medellin ressemble à une grande cuvette remplie jusqu’au bord de grosses abeilles lumineuses. Et la lumière qui se dégage de tout cela héberge les cris de la ville qui cherche en vain le sommeil. Mais Medellin est une ville qu’on ne voit pas dormir.

On a l’impression que le soleil ne peut attendre, qu’il est déjà au rendez-vous. La foule aussi d’ailleurs qui se dirige vers le Teatro Camilo Torres, l’institut Bellas Artes, ou encore vers le Teatro Lido, le Jardin Botánico, le Parque Obrero, etc., etc. Des adolescents, des enfants par centaines parcourent le rues avec le dernier numéro de la revue Prometeo, revue latino-américaine de poésie, publiée à l’occasion du festival et contenant la traduction des textes qui seront lus pendant les dix jours du festival de poésie.

À l’université d’Antioquia, à l’atelier de poésie indigène de Vito Asphana, des petites filles de sept à huit ans posent avec perspicacité des questions sur la poésie, sur la pensée magique. Elles sont émerveillées par l’unité de l’homme et de la nature, la protection des arbres et des plantes, et on lit sur leur visage une grande émotion. N’allez pas croire que ces enfants sont à court de distraction : à Medellin, il y a des parcs, des cinémas, des théâtres, des magasins, des cafés, des carrousels. Il n’y a pas de coupure d’électricité et l’eau du robinet est bonne et fraîche.

Monsieur, je voudrais quelques mots de vous dans mon cahier. C’est une petite fille de six ans. On n’a pas le temps de réfléchir, il faut vite écrire quelque chose à la hauteur de la petite voix qui réclame une dédicace. Six ans, et déjà une fidèle amie de la poésie du monde ! devant un tel spectacle, je me dis que le monde de demain se fera avec les filles, n’en déplaise aux machistes et aux marioles. Chaque petit fait est une heureuse surprise.

Les jours passent avec la simplicité d’un bonjour ou d’un sourire onirique. C’est ainsi que sont les villes accueillantes. On se sent chez soi, en confiance.

J’ouvre la fenêtre de ma chambre.

Un nuage passe devant moi, il se prend pour un voisin de palier.

Tout m’arrive en vrac. Par fragments. Le Festival installe à l’intention du public une librairie itinérante de plus de mille titres. La poésie est partout dans l’hôtel, partout dans la ville. La musique de langue espagnole s’empare de moi. Des mots me viennent dans cette langue qui n’est guère la mienne :

El cielo tan de cerca

La luna te lleva por la mano

Amor mío…

Et me voila en train d’écrire un poème. Je sens que je peux atteindre l’espace dans ses ruses, ses ruelles, ses rumeurs bénéfiques qui arrivent avec des odeurs de cierges et de friture, de mangues et de bananes.

Medellin est sous l’emprise de la poésie.

Elle témoigne par la voix des poètes en arabe, en anglais, en français, en italien, en portugais, en chinois, en espagnol bien sûr, et puis en plein d’autres langues entendues pour la première fois.

Medellin témoigne par la voix des organisateurs du festival pour notre revue, pour les amis de la poésie.

Georges Castera

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mis en ligne : 29 mai 2009 ; mis à jour : 17 octobre 2020