Extraits choisis de l’œuvre de Gary Klang

La terre est vide comme une étoile

page 52
Pris dans les mailles des mots
Le poème est la bouée
page 31
Je t'allongerai dans un rayon d'eau vive
Les pieds ouverts sur la toile brune
Et je perdrai le fil du rêve
Et la notion du temps

Je m'enfoncerai les mains déliées dans le creux vert
Sans regret
Sans amarres
D'avoir pris les chemins de traverse

Emporté comme un songe
Par la houle
Et par ta lumière
page 51
Le vieux paysan s'est assis sur la pierre
Et voit passer les heures
Ses doigts ressemblent au cordage des navires
Ses vêtements sont des puits de lumière

L’adolescent qui regardait passer la vie

page 7 Assis à ma table de travail, je m’accrochais tant bien que mal à Crime et Châtiment. J’adorais Dostoïevski, mais ne pouvais pas fixer mon attention. Une sensation de vide m’enlevait toute envie de lire. Je voyais des lettres sans en comprendre le sens. C’était comme des chiures de mouche.

À mon âge, les jeunes sont enthousiastes. Moi je n’allais nulle part. J’étais en manque d’avenir et ne m’intéressais qu’à mes rêveries. Ma vie me semblait nulle même si j’étais un gosse de riches. »

page 42 Le petit Proust attendait le baiser de sa mère et mouillait son oreiller de larmes lorsqu’elle tardait à venir l’embrasser. Je détestais le baiser de ma mère et ne voulais pas imiter Proust. Chacun son monde. Il faut entendre le son de sa voix parmi tous les accords qui se présentent. Et la littérature, c’était de distinguer ce qui nous appartient en propre et non de singer les autres. J’avais l’impression d’avoir quelque chose à exprimer et de pouvoir trouver ce qui ferait qu’une phrase était de moi, juif tropical, et non de Proust, juif parisien. Il fallait viser au plus haut sans crainte d’être immodeste. Moi aussi, je deviendrais célèbre.

 

La vraie vie est absente

page 28
Nous écrivons avec nos hontes
Et nos suppurations

Nous écrivons dans la douleur
L'estomac noué

Nous écrivons la main tendue
Vers ceux qui nous ignorent

Là est notre manière
Poètes
De guérir nos blessures
page 51
Malgré le sable et la tempête
N'oublie jamais la mer
page 54
L'arbre s'est assis auprès de la rivière
Écartant ses grands bras dans l'azur
L'air du matin frissonne dans les broussailles
Et la rosée fredonne

Ex-île

page 5
Je me revois
Près des arbres de lune
Avec pour tout vêtement
La mer

Temps d'insouciance et d'innocence

De hauts vaisseaux s'étiraient près du port
Et les femmes noires et fières
Descendaient des montagnes
Avec des paniers d'ambre
Et de couleurs
page 16
Me manquent
Les bruits du soir et les senteurs
Le coq qui chante à la mi-nuit
Les chiens en rut sous la fenêtre

Me hantent
Le bruit sourd
Du tambour
Au creux du soir

Et cet homme
Qui fait rire les petits
En portant sur la tête un amas de bouteilles

Je veux chanter la mer

page 9
Au sommet de la plus haute tour
Il y a la mer et le poème
Et puis le songe qui naît de rien
Comme un souffle épuisé par l'absence
page 20
Où es-tu où es-tu ô mon âme
Je voudrais te parler
Te dire ces phrases cent fois redites

Où es-tu où es-tu
Je veux te voir te dire un dernier mot
Toucher ta main ton bras
Je te veux près de moi
Où es-tu
Parle
Dis-moi
Je n'entends point

Beckett attend Godot
Mallarmé n'écrit plus
Le monde se ferme comme un main

L’île aux deux visages

page 67 Malgré la chaleur, l’homme frissonna. La lune, enveloppée de nuages noirs, ressemblait à une divinité maléfique. Depuis son plus jeune âge, il avait peur de l’obscurité, mais ce soir c’était pire. Chaque ombre lui semblait une menace et les histoires d’horreur de son enfance lui revenaient à l’esprit. Les troncs d’arbre et les feuilles devenaient zombis et loups-garous.
pages 70-71 Jean X eut la conviction que l’homme allait mourir. Et lui ne pourrait rien faire. Il ressentit une frayeur jamais éprouvée, pas même à Port-au-Prince en présence des macoutes. Les masques lui firent penser à des démons. Il enfonça ses doigts dans le sol pour ne pas hurler et sentit quelque chose de froid lui glisser entre les jambes. Était-ce une de ces couleuvres qu’il craignait tant? Ses dents coupèrent ses lèvres et le sang coula. Il comprit alors que la couleuvre n’était que du liquide : il avait uriné sous lui sans s’en rendre compte.

 

Moi natif natal

page 11
Ô ce goût d'île et d'oisiveté
Ce goût de sel marin
Arôme d'ilang-ilang

Tous ces mois
Ces années
À bavarder de tout
De rien

Ô mon amour unique
Fraîcheur du grand jour tropicalRedis-moi je t'en prie
Les syllabes qui me hantent
Comme un rêve d'ex-île
page 28
J'aimai la fille fleur au seuil d'adolescence
L'être de nuit qui semblait une enfant

J'aimai la fille fleur
L'amande au buisson frais

Faut-il faut-il que je m'en ressouvienne

Les fleurs ont la saveur de l’aube

page 47
Je ne dis pas ce que je voulais dire
Les mots me viennent
Et ce n'est point la houle que je porte au tréfonds de moi-même
Je cherche je cherche une phrase qui
Peut-être
N'existe qu'en songe
Peut-être n'était-ce qu'un leurre
Une image qu'après l'on court
Et qui se cache
L'ombre d'une phrase

Je ne veux pas mourir chauve à Montréal

page 15 J’ai quitté Haïti pour les mêmes raisons que des milliers d’âmes errantes. Parce qu’un médecin de campagne au regard torve, las de soigner le «pian» qui ne lui donnait ni gloire ni sous, se masturbait symboliquement en terrifiant six millions de gens qui jusqu’alors vivaient paisiblement… Du jour au lendemain, la Perle des Antilles était devenue l’annexe de l’île du Diable.

La sélection ci-dessus de l’œuvre de Gary Klang a été spécialement conçue pour Île en île et renvoie aux pages de première publication de chaque texte.

© Gary Klang


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mis en ligne : 14 novembre 2002 ; mis à jour : 26 octobre 2020