Frédéric Ohlen, Le Marcheur insolent

(extraits de poèmes)

[…]
Tout est présence 
quand nos pas mordent au nougat du monde 
quand l'inconnu t'accueille et te 
reconnaît
[…]
Tout est présence 
malgré 
la chute abrupte 
et les mains qui se perdent 
malgré le sec et l'os 
acéré de l'absence
Tout est présence 
même pour qui ne croit plus à la victoire du fruit 
ceux à qui l'enfant parle replié sous la terre 
ceux qui n'ont pas nagé dans l'eau sacré des songe
*
             En toi 
comme la vieille étiquette d'un prix 
que l'ongle ne peut atteindre
             En toi 
comme un souvenir doux 
une bouche démente 
une lune voluptueuse 
un corps soûl de bonheur qui ne sait 
             pas danser 
une liesse où nos mains s'émoussent
             En toi 
comme une rage ouverte 
comme l'océan 
ce désir-mer toujours resté 
au bord des gestes 
comme la page toujours à écrire 
où tout serait de nos balbutiements
             En toi 
comme une musique sourde 
une maison de lumière 
immergée dans le vent 
Pas comme cet alcool 
qui te décapite d'un coup 
feu et fausse chaleur 
qui rendent tes pas flous 
et tes mains étrangères 
caveau noir pour ceux 
qui ne savent que faire 
du miracle de vivre 
et du jour qui revient
[…]
mais comme un visage d'eau verte 
un instant habité d'une douceur aiguë 
comme un acte de justice 
comme un geste juste
*
Ne parle pas du sens si tu ne sens cela 
tous ces lieux traversés 
que ton pas seul apprend 
tous ces sols jonchés de comètes humaines 
leur musique sous le sable comme une cité ancienne 
un palais souterrain plein de fresques muettes 
Ne parle pas du sens si tu ne sais cela 
le cri celé sous le scintillement
cette violence lasse qui voudrait tout changer 
Ne parle pas du sens si tu ne peux cela 
prêter ta bouche au monde et ta poitrine aux morts 
mettre tes reins au cœur remuant des ténèbres 
devenir de mains douces l'arbre en leur sang laissé 
Ne parle pas du sens si tu n'allumes au soir 
une lampe dans la montagne

Le recueil de poésie de Frédéric Ohlen, Le Marcheur insolent (Nouméa : Grain de sable, 2002) regroupe des ensembles écrits dans les cent derniers jours du XXe siècle sous les titres suivants : « Les Mains claires » ; « Les Manguiers de la République ; « Le Soleil assassin » ; « Dernier été » ; « Destination jour » ; « La Porte de jade » ; « Le Nom du monde est colline » ; « Le Sang fusillé » ; « Une Lampe dans la montage » et « Tu pars ». Offerts aux lecteurs d’Île en île par l’auteur, les extraits cités ci-dessus proviennent de la neuvième partie du recueil, « Une Lampe dans la Montagne », pages 183-185.

© 2002 Frédéric Ohlen


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mis en ligne : 10 mai 2005 ; mis à jour : 26 octobre 2020