Franz Benjamin, « Montréal au mois d’aimer » et « Hanukah »


Montréal au mois d’aimer

J’ai mis une lettre à la mer
destination
ton cœur

Pliée en deux
parfumée d’angoisse
je l’ai composée dans un dépotoir à journaux

Elle te parviendra
timbrée
cloîtrée dans une complainte
perchée à mon existence

Elle te parviendra
timbrée
nichée à l’homélie
du requiem des va-nu-pieds

Moi
enfant d’île
fendillant le jour
de mes doigts décadents
j’ai ligoté le Saint-Laurent
à mes larmes

Moi
enfant d’île
déployant mon reliquaire
au cœur du Mont-Royal
je t’écris
l’espérance
en lettres mortes

En ce mois d’aimer
mon être
s’éteignant
dans le creux de ta froidure
vivifie ta semence de trouvère

En ce matin d’exil
parcourant tes repères
ma dérive prend la forme des mots
pour te nommer
Anathème

Ô Montréal
au mois d’aimer
tu m’as donné un mot fanal
que j’ai accroché à ma lettre d’eau vive

Un mot
Banal
le dieu de la banalité
a dressé
dans la fraîcheur des filles-cactus
un soupir
en ruelles
en falaises

Un verre de soleil
arrose le regard
des hommes aux mains de pierres
jalonnant tes montagnes

De falaises en ruelles
les couloirs de mon pays profané
se ferment à petites gorgées

Couleur de toutes les tristesses
l’eau des lassitudes
pénétrant ton village
enveloppe mes pieds
jusqu’à la mémoire

Femme salée
Saveur du monde
papillonnant sur mes papilles

Ton odeur tatouée
dans l’oblique
de ma gorge d’immigré
bourdonne
l’automne
sans amour

Rempart de mes pas
brûlés aux quatre vents

Mon solstice éternel

Figé
à la barbarie des exils
Montréal enlace
mon île
déradée
au gazouillement du nordé

Ô poète
Toi qui m’as donné une ville
Dis leur que j’appartiens à c-te monde-là
Qui se lève encore de bonne heure

Ô poète
ma lettre à la mer
voyage sous les ailes
d’un harfang
dit enfant des neiges

Montréal
guéret d’azur
incinéré
au firmament de mes entrailles
réveille-toi
nous sommes au mois d’aimer

D’île en île
versant
ces vers d’eau
sur ton rêve assoiffé
j’ai planté
le gaïac des espérances
au milieu des vendanges

Quel temps fait-il
sous ton maquillage
le temps d’aimer
de marcher
de vivre
le temps de t’aimer

Loin de ce ciel
saigné par la rumeur
je me fais passeur
pour t’emmener avec moi

J’ai mis une lettre à la mer
destination de ton cœur
elle devrait arriver un jour
quand il fera clair
quand il fera beau
quand tu seras re…belle

 

Hanukah

Au commencement
il y avait un regard

Et le regard s’est fait chair

Rue des érables
un jour de verglas
aux pas du désespoir

Rue des érables
soudain
le regard se brisa

L’amant tend la mer
à ta bouche
au voyage

L’amant tend un mot
en kaléidoscope
dans ma tête scellée

Ferveur de l’émail
d’un coucher d’arc-en-ciel
mes doigts allument ta nuit

L’équinoxe de nos voix
sous une cargaison de lunes
agite l’automne
dans toutes ses feuilles

Rosée en ponctuation
accouplée à ma peau

De glace et de feu
je célèbre l’hiver
dansant
sous ton corsage miroir

Hanukah
Fête des étoiles
Fête de toi

Unanimes
les astres
évanouis
dans tes yeux clos

Géographie de toutes les errances
germant l’amour
par flots
par vagues

Les midrashim
Naufrage sur ton corps-mime
Dessinent la courbe du jour

Hanukah
fête des étoiles
faites de toi

Vers les murailles
de tes seins brûlants
je lève mon regard
ma prière ensoleillée

un baiser
maculé de transe
un baiser mouillé
en abîme
sur tes notes incendiaires

Tes yeux étincelles
dans le lustre opaque
de mes doigts limpides

Tes mains en cale
dans ma chair
tes mains luminaires
la voix des passereaux
endormis sous la neige

Hanukah reviendra

L’été ne meurt jamais
dans ton coin d’ivresse


Les deux poèmes de Franz Benjamin, « Montréal au mois d’aimer » et « Hanukah », ont été publiés pour la première fois dans son recueil, Dits d’errance (Montréal: Mémoire d’encrier, 2004), pages 35-40 et 9-12. Ils sont reproduits sur Île en île avec la permission de l’auteur.

La lecture de « Montréal au mois d’aimer » de Franz Benjamin provient du disque compact, Montréal vu par ses poètes (Montréal: Société Paroles, 2006) ; utilisé avec permission. Vous entendrez la voix de l’auteur et des extraits de Robert Charlesbois lisant « Je reviendrai à Montréal » (Éditions Conception). L’auteur est accompagné par Oswald Durand, Jr., qui joue des variations de chansons haïtiennes traditionnelles (« Dambala » et « Mademoiselle je vous aime ») et par Jean-Claude Julien au piano. Enregistrement audio de 5:11 minutes.


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mis en ligne : 30 décembre 2006 ; mis à jour : 24 décembre 2020