Frankétienne, Melovivi ou le piège


Melovivi ou le piège, pièce de Frankétienne. Mise en scène par l’auteur, comédien unique, à la Bibliothèque centrale (sur Grand Army Plaza) de la Brooklyn Public Library, le 29 août 2010.

icon_video Vidéo de 70 minutes (7’30 minutes d’introduction).


En français (avec quelques passages en créole), la pièce Melovivi ou le piège, écrite en novembre 2009, est devenue mythique dans l’oeuvre de Frankétienne : l’auteur répétait la pièce au moment du séisme le 12 janvier 2010.

Melovivi ou le piège : prémonitoire ? La pièce évoque la destruction de l’environnement et de la planète à travers les paroles des deux personnages vivant le drame de leur espace dévasté à la suite d’un désastre.

Les représentations ont eu lieu dans des villes et des pays divers avec deux comédiens, Frankétienne et Gabriel Innocent. Elle a été jouée pour la première fois à Paris, le 24 mars 2020. Par la suite, elle a été jouée en avril 2010 au Parc Historique de la Canne à Sucre à Port-au-Prince, à Saint-Malo, en Suisse (à Genève, à La Chaux-de-Fonds et à Neuchâtel), à Montréal, lors du Festival International de la Littérature (FIL) à la Place des Arts en septembre 2010, à Québec et à Lille, au Palais des Beaux-Arts en novembre 2010. Dans la mise en scène à Brooklyn (le 29 août 2010), présentée ici sur Île en île, Frankétienne joue les deux personnages, seul sur scène (dans une petite salle de la bibliothèque).

Dans son compte rendu de la représentation à Montréal, Chantal Guy (dans La Presse du 23 septembre 2010) écrit :

On pense à Beckett, à Ionesco, à Arrabal, mais il n’y a qu’un Frankétienne. Melovivi ou Le piège, cette pièce «prophétique» écrite deux mois avant le séisme du 12 janvier, a peut-être un début, mais pourrait ne jamais avoir de fin. Les personnages, A et B, pris au piège dans des décombres après un désastre, délirent dans la langue de Frankétienne pendant plus d’une heure, pour ne pas sombrer. «Nous sommes partout et nous ne sommes nulle part» disent-ils à l’unisson. Ils sont dans un espace rempli d’objets devenus inutiles – sur scène, des boîtes, des pierres, un divan, un ordinateur, des papiers, pêle-mêle mais «le décor n’est qu’un prétexte existentiel dérisoire». Un espace «déchiqueté, écharpillé, déchalboré, découronné, débondaré, diffoiré, défalqué, débois »… en fait, il n’y a plus d’espace. « Nous sommes assiégés par les débris et les cadavres », ça sonne terrible quand on pense au 12 janvier.

icon_audio Pour écouter une version audio de la pièce, introduite par Frankétienne (« C’est peut-être ma dernière pièce… qui serait un bel adieu à [mon] écriture théâtrale »), voir les archives de l’émission L’Atelier fiction de France-Culture (du 1er novembre 2010). Enregistré lors de la mise en scène par l’auteur, avec les deux comédiens Frankétienne et Garnel Innocent, à Lille le 15 novembre 2010 (audio, 59 minutes).

Melovivi ou le piège a été publiée (avec Brèche ardente) aux Éditions Riveneuve Continents à Paris en 2010. La pièce est divisée en huit séquences. Vous en trouverez des extraits ci-dessous.


Melovivi ou le piège

(extraits)

Première séquence (extrait, le début de la pièce) : 

Deux individus, A et B, sont enfermés, prisonniers dans un espace délabré, dévasté, sans issue, à la suite d’un désastre. Pour ne pas crever dans ce lieu d’enfermement, ils parlent, déparlent, délirent sur les malheurs provoqués par les prédateurs de la planète. 

A – [Dossou Marassa ! Mwen vin chèche ou. Se pou ale.]

A – Ni dehors, ni dedans.

B – Ni jour, ni nuit.

A – Ni blanc, ni noir.

B – Ni ici, ni ailleurs.

A et B – Nous sommes partout. Et nous ne sommes nulle part.

A – Où que je sois
je babylone
m’embabylone
terriblement.
Et je m’encrapaudine
et je me débobine
de bîme en bîme
irréversiblement.

Quatrième séquence (extrait) : 

B – Épouvante et panique autour de la planète ! Les prédateurs ils sont partout. Les pillards, les profiteurs, les requins, les massacreurs, les assassins, les criminels impitoyables, les meurtriers scélérats, les égorgeurs, les alouphats buveurs de sang, ils sont partout !

A – Rougeoyance de la matrice vitale nouée de plaies incicatrisables ! Un volcan de douleur ! C’est la planète qui saigne. C’est toute la terre qui saigne.

Cinquième séquence (extrait) :

B – Logiciel en mélanciel
programmation automatique !
Google gagari gagann dotcom !
Yahoo (3 fois)
Facebook tête boulette !
Facebook tête de marteau !
Facebook visage constipé !
Visage m’as-tu vu ?
Visage m’as-tu bien vu ?
Ces jours-ci le signal est impeccable.
Le réseau fonctionne cent sur cent.
Toute la nuit j’ai été on line.
Kilobyte ap fè byebye.
Mémoire Ram ! Ô mémoire ram !
Où est la capacité de ta mémoire ?
Tous les systèmes d’exploitation bouillonnent en déblosailles.

A – Déblosailles ! Déblosailles ! Bruit en escombruit !
Boulvari charivari chalbari www.diarrhéesemailléesaisissement.net…

Sixième séquence (2 extraits)

B – […]
À moi ! À moi ! Au secours !
La planète prend feu.

A – C’est la folie qui explose.
C’est la coquille qui explose dans l’incendie de l’oeuf.
Tous les arbres brûlent jusqu’aux racines.
Il ne reste plus rien sur la planète érodée rasée tondue zéro !
Planète tête bobèche
planète tête brochette
planète tête frigette
planète tête cribiche
planète tête gridappe
planète tête gratin
planète tête grison !

B – Planète boule-boule
Planète calebousse
Planète enfouraillée
Planète déraillée
Planète débraillée
Planète décabossée
Planète enfoudroyée
Planète enfournoyée.

A et B – Par la faute des hommes
par l’inconscience des hommes
par la cupidité des hommes
par la stupidité des hommes
notre belle
très belle
petite planète
va peut-être mourir.

* * * * *

B – Mwen di ou veye zo ou ak machann lanmò ! Mwen déjà di ou lanmò pran lari. La mort est dans la ville. Et la mort est partout.

A – Pétrole ! Pétrole jackpot de la mort ! Pétrole malédiction ! Pétrole provision de malheurs et de tourments infinis ! Pétrole cargaison de désastres ! Pétrole monopole cimetière ! Émission de gaz à effet de serre ! Couche d’ozone dévaginée. Couche d’ozone déchalborée. Couche d’ozone évaporée, Réchauffement climatique. Forte des calottes glacières. Pollution morbidesse. Pollution pestilentielle. Pollution nauséabonde. Pollution dévastatrice. Ça pue. Ça pollue et ça tue. Atmosphère visqueuse. Atmosphère mortifère. Ciel rouillé. Ciel pourri. Ciel plombé. Ciel boulonné. Ciel ballonné. Ciel vert-de-gris. Ciel couleur badagris. Ciel crevé. Ciel défloré. Viscosité envahissante. Viscosité nuageuse poussiéreuse. Inondation chevrotine catastrophique. Déluge en cataphalle de cacarelle nocive ! Cholérine glaireuse ! Cholérine purulente et sanglante !

B – La fabuleuse chronique d’une apocalypse annoncée depuis des millénaires.

Huitième séquence (extrait, la fin de la pièce) : 

A et B – À la cuisson des cuisses
de la madichonnerie
séculaire
millénaire
j’ai décrypté
l’aura
le ça-ira
le deviendra
le reviendra
et le sera
de l’impossible !

A – Rat ! Cocorat ! Fouillarat !

B – Mazorat ! Boundara de rara !

A et B – Mangera…
Dévorera…
Exterminera…
Et cetera et rat !
C’était ! Ce fut ! Et ce sera !
Jusqu’à la fin des temps !


Frankétienne

Melovivi ou le piège, pièce de Frankétienne mise en scène et jouée par l’auteur.
Brooklyn, New York, 29 août 2010.
Vidéo de 70 minutes.

Caméra : Thomas C. Spear
Mise en ligne sur YouTube le 13 juillet 2020.

Extraits de la pièce publiée aux Éditions Riveneuve reproduits avec la permission de l’auteur.

© 1987, 2010 Frankétienne © 2010 Île en île (vidéo).


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mis en ligne : 13 juillet 2020 ; mis à jour : 2 novembre 2020