Dieudonné Fardin

Dieudonne Fardin

photo © Claude Bernard Sérant
Port-au-Prince, 2018

Dieudonné Fardin est un nom qui sonne fort dans l’historiographie de la littérature haïtienne et marquera encore longtemps les cœurs et les esprits de moult générations. Passeur de mémoire, de livres et d’idées, il représente à lui seul le fer de lance de la vulgarisation de l’histoire et de l’évolution de plus de deux siècles de la production intellectuelle haïtienne. Ce trésor national a le mérite de réaliser, en l’espace d’une cinquantaine d’années, avec les maigres moyens mais beaucoup d’efforts, de passion et de volonté, l’un des plus grands exploits de toute l’histoire du livre et de l’édition en Haïti en mettant en circulation les œuvres rares, entendre par-là les fondamentaux de cette si vaste et riche production.

De son vrai nom Louis-Marie Benoit Pierre, Dieudonné Fardin naît à Saint-Louis-du-Nord, dans le département du Nord-Ouest, le 18 novembre 1936. Journaliste, professeur, éditeur et critique littéraire, il est le petit-fils du général Thimoléon Jadotte, ancien chef de la maison militaire du Président Florvil Hyppolite et cousin de Benoît Batraville, grande figure de la résistance face à l’occupation américaine de 1915. Il fait avec brio ses études primaires et secondaires chez les Frères de l’Instruction chrétienne et au Lycée Tertulien Guilbaud de Port-de-Paix. Il devient par la suite, instituteur dans un établissement scolaire primaire de la ville, puis secrétaire de direction et professeur au Lycée Tertulien Guilbaud. Sa passion pour les livres lui est venue sur les bancs de l’école, car déjà à 12 ans il commence à griffonner des vers sur son cahier d’écolier.

En 1953, à 17 ans, on le retrouve comme apprenti imprimeur chez l’ingénieur Byron Donat Bouzi, un ancien directeur du lycée Tertulien Guilbaud. Animé des idéaux du progrès, du sens du développement et du vivre-ensemble, il met sur pied en 1961, avec la collaboration des jeunes de sa génération dont Cauvin Paul, Hérodote Mégalos, Gilbert Gayot, Lhérisson Alezi, Jérôme Mazard, Jean Théagène, le Mouvement de la Régénération du Nord-Ouest d’Haïti. Une structure qui, comme son nom l’indique, entend travailler pour l’avancement de ce département en proie à toutes les formes de sous-développement. C’est ainsi qu’il crée les Vendredis littéraires, sorte de rencontres hebdomadaires agrémentées de conférences, sketchs, spectacles de toutes sortes mettant en valeur la richesse des lettres haïtiennes. Naît également Le Petit Samedi, journal hebdomadaire qui donne la parole aux plus belles plumes de l’époque. Avec la complicité de ses collègues, il crée de petites bibliothèques scolaires en vue d’inciter les jeunes écoliers à la lecture.

En 1964, il entre à Port-au-Prince et s’installe à la ruelle Vaillant. Il fait la rencontre de son cousin Hérard Jadotte, et s’entoure de personnalités qui marqueront plus tard la production littéraire et culturelle du pays : Théodore Achille Jr, Max Cantave, son ancien professeur de latin à Port-de-Paix, Charles Alexandre Abellard, homme de théâtre, le poète et romancier Gérard Étienne, le comédien François Latour, l’homme de radio Gérard Résil. Il entre à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques pour des études de Droit qu’il abandonne trois ans plus tard. À la Faculté d’Ethnologie, il commence des études de Sociologie qu’il abandonne également. Professeur de lettres dans plusieurs écoles publiques et privées dans la capitale, il fonde les Éditions Fardin en vue de la libre circulation des textes d’auteurs haïtiens. Dans cette capitale regorgée de belles figures de l’intelligentsia du pays, il côtoie des aînés tels Léon Laleau, Pompilus, Fouché et Roumer. Boursier, il part pour des études en planification de l’éducation à l’Université Catholique de Louvain, en Belgique et c’est là dans une imprimerie en face de sa pension qu’il découvre et apprend à fond le métier d’imprimeur.

De retour au pays, il se lance corps et âme dans l’édition et travaille sans relâche pour donner un nouveau souffle au secteur. Pour marquer sa ténacité, sa croyance en l’avenir et la vitalité des éditions, Pierre-Raymond Dumas écrit à son sujet :

Par sa volonté, mais aussi par son talent, Dieudonné Fardin a beau avoir affaire à un milieu difficile, hostile même, il ne renoncera jamais à sa passion. Les Éditions Fardin qui portent son nom ont subi non seulement l’épreuve du temps, mais aussi celle des hommes. Avec horreur, parfois, et dépit, souvent.

En 1991, Dieudonné Fardin assiste à l’un des évènements les plus tristes et les plus douloureux ayant marqué sa vie. Après avoir échappé de justesse à une tentative d’assassinat lors des scènes de violence et de dechoukage du mois de janvier, des individus ont mis le feu à sa maison de Butte-Boyer et vandalisé les ateliers des Éditions Fardin à Fontamara 27. En dépit de tout, il ne se laisse pas faire. Sans l’aide du gouvernement, avec ses maigres ressources, il recolle les morceaux et remet tout en marche. Plus loin, Pierre-Raymond Dumas salue son courage et lui rend un hommage à la hauteur de sa dimension d’homme animé d’une vision et d’un patriotisme hors du commun :

Que Dieudonné Fardin ait été un promoteur assidu et solitaire de l’héritage mémoriel haïtien lui vaut aujourd’hui une réputation méritée de clairvoyance et de patriotisme. […] En mettant sur le marché plus de 400 titres de la littérature haïtienne des XVIIIe, XIXe, XXe siècle totalisant environ 3 000 000 d’exemplaires à des prix dérisoires, il donnait une leçon de survie par la littérature et la culture parce qu’en face il n’y avait pas, ou presque, d’alternative.

Dumas n’est pas insensible aux multiples travaux réalisés par ce garçon de la province, sans fortune et sans recherche de gloire, qui a su promouvoir avec quel talent et quelle énergie la production littéraire et culturelle d’Haïti :

Il faudrait un jour écrire dans les détails l’histoire à la fois passionnée et agitée de ces Éditions qui, au fil du temps, ont fait revivre pour la jeunesse des années 60 – 80 – 90 la richesse cachée (et à un prix de vente misérable), des œuvres littéraires haïtiennes vieilles souvent de deux siècles, et jalousement gardées dans les rares bibliothèques de familles aisées ou dans les sanctuaires des écoles congréganistes. Il nous faut saisir comment le jeune Fardin, issu de la province, de condition modeste, devient après plus de soixante ans une incontestable figure de la défense et de l’illustration de notre culture.

Le Dr Eddy Arnold Jean avant son départ pour l’Orient éternel considère toujours Fardin, l’homme derrière les grosses lunettes, comme :

Une bête de somme, un homme qui a vendu son âme aux diables pour faire avancer la cause du livre en Haïti. Au Petit Samedi Soir, Fardin a été pour moi un guide, celui qui, avec Jean-Claude Fignolé mon maître, m’a insufflé le goût de l’écriture. Je n’oublierai jamais le premier jour où je suis arrivé au Petit Samedi Soir en 1973, et c’est Pierre Clitandre qui m’avait emmené, Fardin m’avait pris sous sa garde en publiant mon premier article. C’est un homme de bon cœur, un valeureux travailleur et un grand intellectuel qui a toujours cru au relèvement de son pays.

En plus d’un demi-siècle, Dieudonné réalise avec la maison d’édition un travail gigantesque. Dans des conditions extrêmement difficiles, il publie des auteurs qui sont devenus plus tard des célébrités des lettres et de la pensée haïtiennes : Jean-Claude Fignolé, Franckétienne, René Philoctète, Pierre Clitandre, Gerson Alexis, Aubelin Jolicoeur, Maurepas Auguste, Pauris Jean-Baptiste, Alix Mathon, Max A. Etienne, Pierre Bambou, Dominique Batraville, Gérald Dorval, Jean Robert Simonise, Wilhem Roméus, Emile Célestin Mégie, et tant d’autres. C’est grâce à lui également que plus d’un ont pu lire les classiques comme Bergeaud, Hibbert, Lhérisson, Hibbert, Alexis, Roumain, Marcelin, Boisrond Tonnerre, Bellegarde, Firmin, Delorme, Janvier et Price-Mars. Éditeur, Dieudonné Fardin a beaucoup enrichi le patrimoine écrit haïtien, mais ne s’est pas pour autant enrichi personnellement.

En signe d’hommage et de reconnaissance de son travail d’éditeur, Le Nouvelliste et la Unibank l’ont choisi, en 2018, comme l’un des deux invités d’honneur de la 24e édition de Livres en folie, la plus grande foire du livre du pays. Dieudonné Fardin est décédé le 4 juillet 2021 à l’âge de 84 ans.

– Mirline Pierre et Dieulermesson Petit Frère


Oeuvres principales:

Poésie en français:

  • Sur les rives de l’histoire; Poèmes et pensées. Port-de-Paix: Imprimerie la Petite bourse, 1958.
  • Lyre déclassée. Port-de-Paix: Atelier Capois-la-Mort, 1962.
  • Mon poème de chair. Port-au-Prince: Fardin, 1972; 2014.
  • Les grandes orgues suivi de Aux saisons de moi-même. Port-au-Prince: Fardin, 1973.
  • L’allée des tombeaux. Port-au-Prince: Fardin, 2009.
  • Toutes les femmes sont belles. Port-au-Prince: Fardin, 2010.

Poésie en créole:

  • Collier la rosée. Port-de-Paix: Atelier Capois-la-Mort, 1964.

Poèmes parus dans des anthologies:

  • « Port-de-Paix Multicolore et autres poèmes ». Poésie vivante d’Haïti, sous la direction de Sylvio Baridon et Raymond Philoctète. Paris: Maurice Nadeau, 1978 : 135-136.

Articles sélectionnés de Dieudonné Fardin:

  • « Autour des Poèmes d’Haïti et de France d’Emile Roumer ». Le Nouvelliste (8 et 9 juin 1972) et dans Le Petit Samedi soir 1 (10 juin 1972): 7-8 et 14-18.
  • « Pour présenter les cent plus beaux poèmes d’amour de la littérature haïtienne ». Le Petit Samedi soir 14 (23 décembre 1972): 6-10.
  • « Carl Brouard ». Le Nouvelliste (4 décembre 1969).
  • « Pour lire et comprendre Ultravocal de Frankétienne ». Le Petit Samedi soir 13 (9 décembre 1972).
  • « Ultravocal de Frankétienne, une œuvre étrange ». Le Petit Samedi soir 13 (9 décembre 1972): 7-8.
  • « Qui êtes-vous Alix Mathon ? ». Le Petit Samedi soir 6 (26 août 1972): 4 et 6.
  • « Croire au printemps. Sur Et Caetera de René Philoctète ». Le Petit Samedi soir 43 (2-8 février 1973): 5.
  • « Qu’est-ce que le pluralisme ? ». Le Petit Samedi soir 16 (27 janvier 1973): 6.
  • « Tendresse et mélancolie d’une poétesse : Marie-Thérèse Colimon-Hall ». Le Petit Samedi soir 38 (17-23 novembre 1973): 8.
  • « Vision et volupté interrompues dans l’œuvre du poète Gérard Etienne ». Le Petit Samedi soir 21 (7 juillet 1973): 6-11.
  • « Mon opinion sur Andromak de Saint-Arnaud (Nono) Numa ». Le Petit Samedi soir 52 (6-12 avril 1974): 5.
  • « Une saison avec Les Pouilleux, roman de Gérald Dorval ». Le Petit Samedi soir 47 (2-8 mars 1974): 12-13.
  • « Bouquets de glanures d’Emile Célestin Mégie ». Le Petit Samedi soir 49 (16-22 mars 1974): 5-7.
  • « Gérald Dorval romancier ». Le Petit Samedi soir 3.89 (15-21 mars 1975): 7.
  • « Hommage de Dieudonné Fardin et à Michel Cyrill Wooley ». Le Nouvelliste (27 septembre 2012).

Essais:

  • Anthologie des poètes et écrivains du Nord-Ouest d’Haïti (en collaboration avec Eddy B. Pierre). Port-de-Paix: Ateliers Capois la Mort, 1962.
  • Cours d’histoire de la littérature haïtienne, 4 vols (en collaboration avec Hérard Jadotte). Port-de-Paix: Mouvement de la Régénération du Nord-Ouest, 1969.
  • Histoire de la littérature haitienne.
    • Le 19e siecle. Tome I (1804-1960): Les Pionniers-L’École de 1836 (en collaboration avec Hérard Jadotte. Port-au-Prince: Fardin, 1993; 2002; 2004; 2009.
    • Tome 2 (1860-1898): L’École Patriotique (en collaboration avec Hérard Jadotte. Port-au-Prince: Fardin, 1993; 2002; 2004; 2009.
    • Tome 3 (1898-1915): L’École Eclectique (Le mouvement de la generation de la ronde). Port-au-Prince: Fardin, 1993; 2002; 2004; 2009.
    • Tome 4 (1898-1915): L’École nationale (Le mouvement de la generation de la ronde). Port-au-Prince: Fardin, 1993; 2002; 2004; 2009.
    • le 20e siècle. Tome 5 (1915-1960) : Le mouvement indigéniste. Port-au-Prince: Fardin, 2009.
    • Tome 6 (1960-2004): Les nouveaux courants littéraires. Port-au-Prince: Fardin, 2009.

Distinction littéraire:

  • 2018     Invité d’honneur de Livres en Folie.

Sur l’oeuvre de Dieudonné Fardin:

  • Fombrun, Wilfrid. « Mon poème de chair de Dieudonné Fardin ». Le Nouvelliste (22-23 juillet 1972).
  • Voir aussi les liens ci-dessous.

Liens:

ailleurs sur le web:


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Dossier Dieudonné Fardin préparé par Mirline Pierre et Dieulermesson Petit Frère

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mis en ligne : 1 novembre 2020 ; mis à jour : 5 juillet 2021