Esther Nirina, À Esther

par Raharimanana

D’un rien que lune, tirer un simple rayon de poésie
D’un rien que lune, se frayer un chemin entre les racines

Tu dis

Pourquoi l’ombre
Mesure-t-elle sa hauteur
Au ras du sol ?

Traçant ainsi tes pensées dans le sillage de nos aïeux. Enigme sans fin, ouvert à la poésie. Etonnement perpétuel d’une âme qui se demande encore à quoi est dû le privilège de son existence. Car c’est ce qui me frappe en toi Esther –permets-moi de te parler encore au présent, cette délicatesse devant la vie, je veux dire cette délicatesse portée à la vie, cette vie que tu soignes comme un œuf lumineux qu’on ne devrait jamais briser. Malgré les aléas, la brutalité souvent du destin, les actes trop souvent des hommes. Tu en sais quelque chose de ces violences qui ont traversé notre terre. Récemment ou enfouies dans la mémoire, dans ta chair…

Tu dis

Corps gonflé de cicatrices
Il n’y a plus de place
Pour des nouvelles blessures.

Mais je voudrais ne pas interpréter ton départ comme une nouvelle blessure. Mais je voudrais ne pas penser que plus jamais nous n’aurons de ces échanges si riches d’émotion, de poésie et d’humanité. Me ressouvenir simplement du rien que lune qui se posait sur les collines d’Ambohimifangitra, du silence qui enveloppait ton village, de ses tantara que tu exhumais de l’oubli et que tu m’offrais en souriant. Et la sérénité qui s’en dégageait, la lumière…

Pour te comprendre vraiment, ne serait ce qu’une seule ligne de tes poèmes, il faut avoir vu au moins Ambohimifangitra, ressentir ces liens intraduisibles…

Elle n’est pas à déterrer
La racine
Qu’elle immerge et circule…
Dans le sol majeur
Pour joindre les pages blanches
Seul lieu
Où tu défis la mort
Et rencontre tes semblables.

La dernière fois que je t’ai vue. Il y a à peine un mois, tu avais les épreuves de ton dernier manuscrit à la main. Je ne l’ai pas lu encore. Tu devais me l’envoyer incessamment. Tu as rejoint la langue malgache, tu as rejoint la terre de tes ancêtres. Et ce jour-là, tu m’as dit que tu avais hâte de lire les miens de poèmes. En malgache. Je te les lirai un jour. À Ambohimifangitra…

Car,

L’horizon retirera
Sa limite
A vitesse lente

Et comme toi,

En attendant le miracle
Du Silex
Avec les os de mes aïeux
J’enfile le vêtement
De la folie
Et
Je chante.

Je te salue, la plus grande poétesse que l’île ait jamais eue…

Noisy-le-Sec
le 21 juin 2004


Ce texte hommage à Esther Nirina, par Raharimanana – publié pour la première fois dans le quotidien de Tananarive, La Gazette de la Grande-Île le 23 juin 2004 – « À Esther » est reproduit sur Île en île avec la permission de l’auteur.

© 2004 Raharimanana


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mis en ligne : 30 avril 2007 ; mis à jour : 15 novembre 2015