Entretien avec Myriam Warner-Vieyra, par James Gaasch

Vous vivez depuis longtemps au Sénégal. Quels sont vos premiers souvenirs du pays lors de votre arrivée des Antilles, de la Guadeloupe?

Tout d’abord, avant de venir au Sénégal, j’ai vécu en France et plus particulièrement à Paris, donc il y a eu cette transition très importante qui a laissé une empreinte profonde: l’éducation, la vie parisienne, ma rencontre avec des jeunes filles de mon âge, la vie d’internat et surtout ma découverte de «l’Afrique sur Seine», les étudiants africains des années 1950, dont mon mari et ses frères et cousins l’été 1955, j’avais 16 ans.

En août 1960, j’ai rencontré tout à fait par hasard Paulin Vieyra qui était venu en mission pour la fédération du Mali, il se trouvait bloqué à Paris, ne sachant pas s’il devait retourner au Sénégal, regagner le Mali ou rentrer dans son pays d’origine le Dahomey, l’actuel Bénin.

En avril 1961, nous nous sommes mariés et je suis venue vivre au Sénégal.
Mon époux avait lui-même quitté son Dahomey natal depuis l’âge de dix ans.

Donc j’ai découvert le Sénégal avec beaucoup de bonheur, sans la contrainte d’un milieu familial, sans interdit; j’étais sans tabou ni préjugé. Nous fréquentions un cercle d’amis qui était l’élite africaine des indépendances, une Afrique sans frontières. Dakar était encore la métropole pour les pays de l’Afrique de l’Ouest.
Les Sénégalais étaient tous souriants, heureux, la joie de vivre se lisait sur les visages dans les rues. Les contacts étaient faciles, l’accueil chaleureux.

Il y avait un club Antilles-Guyane, et un grand nombre d’Antillais au Sénégal, la vie culturelle était florissante. Le Festival des Arts Nègres en 1966 reste un événement inoubliable. Je n’avais durant ces premières années aucune nostalgie des Antilles ou de la France.

Ailleurs, vous avez dit que le contact avec l’Afrique «oblige à réévaluer une perception de soi-même». Pourriez-vous situer cette citation dans le contexte de votre vie au Sénégal?

Ma réponse à cette question pourrait paraître en contradiction avec ce que je viens de dire mais une âme sensible ne peut pas se contenter de façade. Aussi, en examinant plus attentivement les choses, j’ai pu constater qu’ayant quitté la Guadeloupe pour la France, je pensais être acceptée à bras ouverts, je me suis rendu compte, que la carte d’identité française ne suffisait pas pour se sentir un citoyen à part entière, parce que tous les Français ne vous reconnaissaient pas comme tels, et après avoir subi vexations et frustrations de tout ordre, on pensait qu’en Afrique, enfin, on retournait aux sources. Mais voilà qu’au-delà de l’accueil, vous restez une étrangère, avec votre nom d’ailleurs, votre parler, votre comportement empreint d’étrangeté. Même quand vous faites l’effort de porter le boubou ou parler la langue nationale, vous n’êtes pas «la fille de…». Vous ne descendez pas d’une lignée. Donc, après l’Europe, la rencontre avec l’Afrique vous renvoie à votre antillanité, sur votre île. Alors remonte du fond de votre mémoire la saveur de l’enfance, les couleurs, les odeurs, la richesse de la terre généreuse, le panache de la fumée du volcan. Aussi Sénégalaise, oui mais avec une âme guadeloupéenne. Formule heureuse du professeur et critique, Madior Diouf.

Quelles activités professionnelles, culturelles, ou sociales poursuivez-vous?

Après trente ans d’activités professionnelles au Sénégal dont vingt-sept comme documentaliste de l’Institut de Pédiatrie Sociale à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Mes activités sont maintenant surtout culturelles et sociales.

Je suis la représentante au Sénégal de l’Africa America Institute, qui intervient dans le domaine de l’éducation. Je suis membre de l’Association des Écrivains du Sénégal. Membre des Amies du Musée de la Femme «Henriette Bathily» de Gorée. Je participe aux séminaires, colloques et ateliers littéraires au Sénégal et ailleurs.

Cependant, c’est dans les activités sociales que je m’investis le plus depuis trente ans. Membre fondateur d’un club service à Dakar «Zonta International» né à Buffalo, USA en 1919 et dont le siège est à Chicago.
Je suis actuellement présidente de ce club pour la troisième fois. J’ai été aux années 80 Présidente, en 1990-1992 gouverneur et présidente d’un comité sur le plan international de 1992-1994. J’ai accepté à la demande de la majorité des membres de reprendre la présidence du club de Dakar pour apporter mon expérience à la rénovation du club. Nous participons au financement de plusieurs projets sur le plan international et national en direction des personnes défavorisées et plus particulièrement les femmes et les enfants.

Que représente pour vous l’acte d’écrire?

Pour moi, c’est un besoin de communion, d’épanchement, c’est mon cri, ma thérapie du mal être, ma vision, mon témoignage plutôt qu’un besoin de communication ou de transmission d’un message. Je ne m’adresse pas à un public défini, néanmoins, je suis toujours heureuse lorsqu’un lecteur ou une lectrice se retrouve dans un de mes personnages. J’écris lorsque j’éprouve profondément le besoin. D’où une écriture lente et peu abondante.

Dans votre nouvelle «La nièce de ma voisine-cousine», la narratrice essaie de venir en aide à une jeune adolescente en détresse. Elle y échoue. L’histoire de cette jeune victime se répète-t-elle souvent dans les sociétés de l’Afrique de l’Ouest d’aujourd’hui?

L’Afrique de l’Ouest est une mosaïque de peuples, de cultures ethniques différentes. Cependant, il y a une certaine similitude concernant le fond. En effet, des adultes et enfants sont enlevés, vendus pour des raisons diverses: travail sur les plantations, pédophilie, prostitution et même, vente d’organes selon les révélations d’une association «SOS personne disparue», basée à Dakar.

Au-delà de ce récit qui se passe en Afrique, le phénomène de l’enlèvement par ruse ou autre procédé se pratique ailleurs dans le monde. Je me rappelle que, très jeune à Paris, j’ai entendu parler de la «traite des blanches». Il s’agissait de jeunes femmes qui, enlevées, se retrouvaient dans des établissements de prostitution partout dans le monde.

Les thèmes de l’isolement et de l’enfermement que l’on trouve ici ne sont-ils pas des sujets que vous approfondissez dans d’autres récits? Lesquels? Quel rapport voyez-vous entre ces thèmes et la folie?

Isolement et enfermement sont des thèmes que l’on retrouve aussi bien dans Le Quimboiseur l’avait dit…, Sétou est exilée affectivement et géographiquement. Juletane, refusant de partager son mari choisi la solitude. Dans Femmes échouées, Sidonie vit son infirmité rongée par le doute; Bernard l’a-t-il épousé par amour, ou par pitié? et ici dans «La nièce de ma voisine-cousine», parce que mes personnages sont des êtres sensibles en difficulté, souvent déprimés, écorchés par l’égoïsme, la duplicité et l’injustice des hommes.

La folie de mes personnages, si folie il y a, n’a rien de comparable avec la maladie mentale. Pour moi ce sont des personnes en détresse en manque d’affectivité, et qui ont besoin simplement d’être compris et aimés. D’autre part, j’écris selon mon inspiration et c’est plutôt aux critiques littéraires de faire ce genre d’analyse.

propos recueillis par James Gaasch
(Humboldt State University)
à Dakar, le 26 mars 2000


Cet entretien a été publié pour la première fois dans La Nouvelle sénégalaise, texte et contexte, par James Gaasch. Saint-Louis (Sénégal): Xamal, 2000: pages 214-216, avec la nouvelle inédite de Myriam Warner-Vieyra, «La nièce de ma voisine-cousine». Utilisé avec permission.

© 2000 James Gaasch


Retour:

/entretien-avec-myriam-warner-vieyra-par-james-gaasch/

mis en ligne : 7 octobre 2003 ; mis à jour : 21 octobre 2020