Édouard J. Maunick, « A-BO-LI-TION »


Brûler à vivre / Brûler à survivre

A-BO-LI-TION

À Doudou Dienne  

A !

… guitares/ravanes/nous assiègent/
triangles/maravanes/nous emportent/
c’est l’heure de feu campêche/
c’est l’heure du feu filaos/
c’est l’heure du feu rom-ti-lambik/
c’est l’heure d’une mémoire incandescente
remontée du plus loin
que l’Île fondée natale :
ruée houleuse enroulant rumeurs-racines
de l’arbre initial guinéen-wolof-malinké/
cris cadencés/appels syncopés/reins cassés/
musique/chant/paroles/danse/gestuelle
ne font qu’un/
une fois/
la nuit/
venue…

espace

BO !

… mo vini ! mo vini !
alé ! donn li ! alé !
sakuyé mama ! sakuyé !
séga na pas pésé !
séga na pas dané !
séga na pas malédiksiyon…
kik par séga
sa mémm nu la priyéer sa ! …

bandié tu séll koné
ki longérr cimin nu finn marsé
ki maniyérr pikan finn désirr nu lipiyé
parsski nu rass ti galup/
ni patt ki kantité malérr nu finn traversé
ki kalité lasoaf ki kalité lafin finn
désirr nu lagorze fuye nu vantt …

BO !

Je viens !
Allez ! donne / Allez !/
secoue-toi maman ! secoue-toi/
séga n’est pas pêché/
séga n’est pas damné !/
séga n’est pas malédiction !/
quelque part séga/
c’est cela même notre prière !/

Dieu seul connaît/
quelle longueur de chemin nous avons marché/
de quelle manière les piquants ont déchiré nos pieds/
parce que notre race galopait les pattes nues/
quelle quantité de malheurs nous avons traversée/
quelle sote de soif/ quelle sorte de faim/
ont déchiré nos gorges et fouillé nos ventres.

espace

LI !

… Bondié tu sél koné !

mé nu gran dimune finn tuzurr dirr
nu zamé bliyé mo ban zanfan
lavi pli forr ki lamorr !
létan pasé létan galupé létan fonn
mé nu nu pu ankorr la nu pu tuzurr la
dan nu désandanss
dan zott zanfan
dan tizanfan zott zanfan
mo papa ti kontan répété
lavi napa énn laliyne droatt
lavi férr énn léron énn foa
to arriv dan so butt
li rékomancé zamé bliyé zamé !

LI !

Dieu seul sait !

mais les grandes personnes
nous ont toujours dit/
n’oubliez jamais ma bande d’enfants à moi/
la vie est plus forte que la mort/
le temps disparaît/
mais nous/ nous sommes encore là toujours là/
dans votre descendance/
dans vos enfants/
dans les petits enfants de vos enfants/
mon papa n’est pas une ligne droite
la vie fait le rond une fois
que tu arrives au bout/
ça recommence n’oubliez jamais jamais !

espace

TION

… sauf pour l’ébène au cœur parfait/
sauf pour les rats/les drontes vagabonds/
sauf pour l’eau claire des rus/des rivières/
terra incognita qu’on nommait
au gré de cent errances géographes/
éclat possible de quel Gondwana :
ceux qui l’accostèrent au nom du Prince/
puis au nom de bien d’autres Chrétiens/
asservirent/enchaînèrent/et marquèrent/
fouettèrent/émasculèrent/et crevèrent
bon nombre d’hommes/
de femmes/d’enfants…
ce fut le même noir holocauste
dans d’autres îles en terre océane :
mêmes cargaisons vers même golgothas
de la mer et de la très amère solitude :
au nom du Père/du Fils/
et du Saint-Esprit/Amen !…
mais la vie est plus forte que la mort
et nous avons survécu au pire :
Eia ! pour l’ébène au cœur noir parfait/
Eia ! pour le masque taillé Soleil/
Eia ! pour la Vie sculptée profonde :
nu né pli dulérr ! fini ploré !
nu destin destin dimunn vivan !
si bann la santi zott kupab
dirr zott vinn zoénn nu dans énn séga :

so titt énn diyaman : A-BO-LI-TION !

aboliciyon tu malédickciyon !
aboliciyon tu mavé mémoarr !
aboliciyon tu kutt piyé dan féss !
aboliciyon tu ban linzistiss !

é ! bonzur Limanité ! bonzur !

si l’histoire de l’humanité était à refaire/
nous la referions à hauteur de tous les êtres au monde/
nous la referions couleur de tous les épidermes/
nous la referions au son de toutes les musiques/
nous la referions dansant toutes les danses/
nous la referions saluant tous les cultes/
nous la referions au goût de toutes les cuisines/
nous la referions en adieu à tous les malheurs !

bien sûr que je rêve/
que tu rêves/
que nous rêvons/
quel mal à tout cela ?
seule différence/
c’est que nous rêvons
les yeux ouverts/
seul/unique moyen
de nous regarder
tous en face/
de moins tricher/
de moins mourir à nous-mêmes !

alé ! o vini ! mo vini !
alé donne li ! han ! donn li !
sakuiyé papa !
sakuiyé mama !
sakuiyé piti !
séga na pa pésé !
séga na pas dané !
séga lamurr !
séga la vi !
séga la sirvi :

SOLEIL

Nous ne sommes plus douleur ! fini de pleurer !/
notre destin este destin de monde vivant !
si la bande (les autres en question) se sent(ent) coupables/
dites-leur de venir nous joindre dans un séga :

son titre est un diamant : A-BO-LI-TION !

abolition de toute malédiction
abolition de toute mauvaise mémoire/
abolition de tout coup de pied aux fesses !/
abolition de toute injustice !/

hé ! bonjour L’humanité ! bonjour !

Allez ! ô viens ! je viens !
Allez donne-le ! han ! donne-le !
secoue-toi papa !
secoue-toi maman !
secoue-toi petit !
séga n’est pas pêché !
séga n’est pas damné !
séga c’est l’amour !
séga la vie !
séga la survie !

 

Glossaire:

ron-ti-lambik : rhum de fabrication clandestine préparé dans des alambics de fortune.
séga 
: chant et danse mauriciens d’origine africaine.

Les traductions en français dans la colonne de droite figurent en notes en fin de volume dans l’édition imprimée du poème.


Dit ici par l’auteur, le poème d’Édouard J. Maunick, « A-BO-LI-TION », est publié dans le recueil Brûler à vivre / Brûler à survivre (Sarcelles: Le Carbet / Maison de l’Outre-Mer, 2004, pages 23-28). Avec une musique de fond de l’orchestre Clifford Boncœur, l’auteur est enregistré pour Île en île le 14 janvier 2006 à Tamarin (Île Maurice).

© 2004 Édouard J. Maunick ; © 2007 Édouard J. Maunick et Île en île pour l’enregistrement audio (6:58 minutes)


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mis en ligne : 6 juillet 2007 ; mis à jour : 25 avril 2021