Galerie Monnin, Préfète Duffaut

Un passage gardé de Préfète Duffaut (1975). Collection particulière de Michel Monnin, photo de Bill Bollendorf.

Un passage gardé de Préfète Duffaut (1975).
Collection particulière de Michel Monnin, photo de Bill Bollendorf.

Notre Dame des Anges de Préfète Duffaut (1982) Collection de Michel Monnin, photo de Bill Bollendorf

Notre Dame des Anges de Préfète Duffaut (1982)
Collection de Michel Monnin, photo de Bill Bollendorf

Préfète Duffaut est né à Jacmel le 1er janvier 1923. Enfant, il aide son père qui est constructeur de « bâtiments ». Seul, il commence à dessiner. Quelques mois après l’ouverture du Centre d’Art de Port-au-Prince en 1944, Rigaud Benoît et un groupe d’artistes se rendent à Jacmel à la recherche de nouveaux talents. Le jeune Duffaut se présente à eux, certain que son destin va changer. Durant la nuit, il fait un songe. La Vierge lui apparaît main tendue, perchée au sommet d’une montagne en forme de pain de sucre. Elle lui ordonne de peindre sa ville: Jacmel. Soucieux de s’acquitter au plus vite de cette dette céleste, le jeune Duffaut s’acharne à reproduire Jacmel dans ses moindres détails. À l’instar du Douanier Rousseau qui pour ses portraits prenait les mensurations exactes de ses modèles et les rapportait sur la toile à l’aide d’un compas et d’une règle graduée, Duffaut s’efforce de reconstituer dans un réalisme forcené rues sinueuses et verticales, maisons délicates et colorées construites au début du siècle qui caractérisent Jacmel. Afin de ne rien laisser au hasard, il inscrit sur son tableau les noms des édifices représentés: école, douane, police, hôpital. L’effet obtenu est saisissant. Sens inné de la composition, génie des couleurs, maladresses picturales font de ses premiers tableaux des chefs-d’oeuvre de l’art naïf. On sent une révélation, c’est-à-dire un effet de jamais vu. Comme le dit André Derain, « un vrai tableau naïf, c’est un coup de fusil reçu à bout portant ». Certains propos d’Anatole Jakobsky au sujet des peintres naïfs collent à merveille au talent de Duffaut:
« On ne devient pas naïf, on naît peintre naïf ou on ne le sera jamais. C’est un don comme un autre et ça ne dépend ni de la profession, ni de l’âge, ni du sexe… Les oeuvres des naïfs ne reflètent pas en général le peintre, l’homme; ce qui prouve une fois de plus que tout vient d’ailleurs… Il y a un mystère de l’art naïf, un mystère que l’on finira tôt ou tard par élucider; en attendant je ne trouve rien de mieux à dire que ces gens sont habités. »

     Duffaut – comme Hyppolite, Benoît, Obin, Pierre-Joseph Valcin, André Pierre et plusieurs autres – est un peintre habité qui contribuera à part entière au phénomène pictural. Sensiblement, au fil des années, Duffaut « évolue ». Son imagination s’alimente de nouvelles réalités, sa technique s’affine. Symétrie, perspectives linéaires et couleurs le poussent vers une certaine sophistication. Dans ses villes satellisées, villes plongées en Enfer ou élevées jusqu’au Ciel, Duffaut se joue des lois de la pesanteur, de la résistance des matériaux et du principe des vases communiquants. Édifices et maisons particulières perdent leur identité et n’ont plus de rôle utilitaire. Symphonie de couleurs et de lignes mettent en valeur une architecture globale: urbanisme de l’imaginaire et de l’absurde. Parfois, le niveau de la mer est plus haut que celui des rivières; des ponts gigantesques relient de hautes montagnes; les chemins s’entrelacent, forment des spirales qui montent jusqu’aux cieux.

Pour certains critiques en mal d’interprétation, Duffaut devient un visionnaire conscient avant l’heure des problèmes et des fléaux qui vont s’abattre sur notre planète surpeuplée. Dans l’une de ses dernières toiles, un groupe de « naufragés » se presse et se bouscule sur le pont d’un bateau à la dérive: les naufragés s’aggripent et remontent le long d’une corde immense venant d’une ville de l’espace sidéral, satellite de l’espoir, bouée céleste, dernière chance de fuir notre planète, préfiguration de la survie de l’humanité par la conquête cosmique.

Science fiction ou tout simplement sourire narquois du paysan madré qui, d’instinct, a trouvé le plus sûr moyen de faire vibrer les cordes sensibles de nos intellectuels en mal de solutions de rechange: génie sans aucun doute et possibilité pour lui et sa nombreuse famille de faire face aux vicissitudes journalières. Désirs comblés pour cet artiste qui enfant, rêvait de devenir architecte, et qui voit deux de ses fils poursuivre à l’étranger des études universitaires… Laissons aux psychologues, psychanalystes, psychiatres et autres le soin de décoder les messages contenus dans l’oeuvre de Duffaut… Quant à lui, il sait qu’il a la baraka. « Préfète » qui, en créole, veut dire « né avant terme », prématuré, et qui plus est né « coiffé » ce qui ici en Haïti veut dire: élu des Dieux.

– Michel Monnin, carnets écrits entre 1975 et 1979 (inédits)


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mis en ligne : 1 octobre 2002 ; mis à jour : 16 octobre 2020